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Turquie: Selahattin Demirtas, le leader kurde condamné à l'ombre


Jeudi 16 mai 2024 à 18h02

Istanbul, 16 mai 2024 (AFP) — Il avait fini par jeter l'éponge pourtant. Condamné jeudi à 42 ans de prison, le charismatique et populaire responsable kurde Selahattin Demirtas, emprisonné depuis 2016, avait quitté l'an dernier la vie politique.

Ancien co-président du Parti démocratique des Peuples (HDP, devenu DEM), deuxième formation de l'opposition, Demirtas a été arrêté en novembre 2016 pour "terrorisme" dans la ville à majorité kurde de Diyarbakir (sud-est), où l'on continue d'évoquer avec affection "Selahattin", ou "Selocan" : "mon cher Selo".

Resté très présent sur les réseaux sociaux malgré sa détention, figure de proue et autorité morale du mouvement kurde, le quinquagénaire qui a toujours nié les accusations portées contre lui n'a cessé de défier le pouvoir du président Recep Tayyip Erdogan depuis sa cellule d'Edirne (nord-ouest).

Par deux fois il s'est porté candidat à la présidence, en 2014 et en 2018, après avoir contribué à priver le parti présidentiel AKP de sa majorité parlementaire en 2015.

L'an dernier, en revanche, le HDP, souvent tenu comme le faiseur de rois des élections en Turquie en raison du poids de l'électorat kurde, première minorité du pays, avait soutenu selon son souhait le candidat de l'opposition unie. En vain.

Après ce nouveau revers et la réélection en 2023 du chef de l'Etat, Demirtas, depuis sa cellule d'Edirne (nord-ouest), avait annoncé "abandonner la vie politique active".

"J'espère vous voir aux jours libres", écrivait-il à ses partisans.

- Pas de pardon -

Ancien avocat des droits humains, "Selo" Demirtas est accusé de plusieurs dizaines de crimes et délits dont celui d'insulte au président et d'être lié au PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), classé comme "terroriste" par Ankara et ses alliés occidentaux.

"Je n'ai jamais espéré le pardon de quiconque et encore moins celui d'Erdogan. C'est plutôt à moi de lui pardonner, c'est lui le coupable", écrivait-il en janvier 2023 à l'AFP, via ses avocats.

Par ses talents d'orateur et son charisme, et en modernisant son parti, Demirtas a su séduire au-delà de la seule minorité kurde, qui représente un cinquième au moins de la population turque.

Né à Elazig (sud-est) dans une famille zaza - l'une des communautés anatoliennes autochtones -, il a grandi dans le quartier historique de Diyarbakir mais ce n'est qu'au lycée qu'il a pris conscience de son appartenance kurde.

Lancé en politique en 2007, il devient en 2013 l'une des principales figures du "processus de paix" initié par le gouvernement et le PKK pour mettre fin à un conflit qui a fait plus de 40.000 morts depuis 1984.

Comme député, il participe aux négociations avec Abdullah Öcalan, le chef du PPK emprisonné depuis un quart de siècle.

La tentative s'est achevée dans le sang en 2015-2016, par une guérilla conduite au coeur de Diyarbakir qui a dévasté son quartier historique de Sur.

En novembre 2016, près de 200 policiers et forces spéciales bouclent sa rue et l'expédient à l'autre bout du pays.

Derrière les barreaux, Demirtas qui ne reçoit que de rares visites, dont celles de son épouse et de ses deux filles, se consacre à l'écriture.

Ses ouvrages, dont l'Aurore, recueil de nouvelles traduit en plusieurs langues, ont trouvé écho chez des centaines de milliers de lecteurs.

Joueur de saz, sorte de luth populaire en Anatolie, il peint, compose et chante.

Il ne misait pas sur une éventuelle amnistie, confiait-il l'an dernier à l'AFP. Il gardait alors l'espoir que la "démocratie l'emportera (sur) cette culture de l'homme fort, raciste, discriminante, nationaliste".

Et celui de visiter Paris, ville chère à son coeur, en famille.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.