Jeudi 12 novembre 2020 à 08h08
Arbat (Irak), 12 nov 2020 (AFP) — Micros, perches, table de mixage: depuis un petit studio sombre, Chirine Mohammed présente le journal. Sur Gardenya FM, les informations sont syriennes tout comme le public, des réfugiés au Kurdistan irakien.
Casque sur les oreilles, cette Kurde de 31 ans, partie de Qamichli dans le nord-est syrien en 2014, tient l'antenne de la petite radio communautaire montée à Arbat, près de Souleimaniyeh, dans le nord-est de l'Irak.
Un jingle retenti, le flash info terminé, elle pose religieusement son casque sur le bureau de bois blanc.
Ancienne institutrice, elle a finalement pris la route de l'exil pour retrouver son mari parti pour éviter le service militaire imposé par le régime de Bachar al-Assad.
"Quand le groupe Etat islamique (EI) a déferlé dans le pays, le service militaire était juste un prétexte pour mater la rébellion" dans le nord-est kurde, qui réclame de longue date son autonomie, assure-t-elle à l'AFP.
- Smartphones et fausses informations -
Comme Chirine, la majorité des 9.056 résidents du camp sont des Kurdes syriens, selon le Haut commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR).
La plupart ont choisi Souleimaniyeh pour y trouver un emploi car des proches y travaillaient déjà avant la guerre.
Chirine, elle, qui a toujours rêvé de devenir journaliste, a sauté sur l'occasion quand en 2018, UPP, une ONG italienne, a proposé de former des journalistes pour la petite radio communautaire.
Depuis qu'elle est à l'antenne, elle lutte pour la véracité de l'information.
"Le problème ce sont les fausses informations diffusées par le régime" alors que "tout le monde a un smartphone et peut lire tout et n'importe quoi sur la Syrie", explique-t-elle.
Hors du studio, elle interviewe chaque jour des réfugiés pour "donner de vraies informations à ceux restés au pays via notre page Facebook, pour que nos familles voient que nous ne vivons pas dans des tentes".
D'un pas allègre, Khalil avale les rues du camp, veste siglée Gardenya FM sur le dos. On le salue de la main, lui offre un petit pain au thym. Tout le monde le connaît. "C'est comme ça qu'on se fait un réseau", glisse-t-il au jeune stagiaire qui court derrière lui.
Dans les rues tracées à la règle du camp d'Arbat, cet ancien professeur d'anglais d'Amouda, dans le nord-est syrien, enseigne à Youssef, 19 ans, son secret pour dénicher les bonnes informations.
"On utilise nos amis, nos proches, des collègues journalistes qui sont dans le pays ou à la frontière", explique l'aîné, qui, comme son cadet a fui la Syrie en 2014 et y a encore de la famille.
- "Dans nos coeurs" -
Mais Khalil s'appuie surtout sur le réseau de ceux qui font l'aller-retour clandestinement pour voir leur famille. C'est le cas de Goran, pizzaiolo du camp, que le duo interviewe aujourd'hui.
Après avoir répondu aux questions, l'homme couvert de farine s'enquiert, lui, si le poste-frontière est fermé.
"Avec la Covid, on ne sait plus trop. La radio peut nous dire chaque jour ce qu'il en est", affirme à l'AFP celui qui va régulièrement en Syrie amener des victuailles à sa femme.
Mais à chaque fois, il repart. "Pourquoi rentrer? Il n'y a pas d'électricité là-bas, pas de salaire, le dollar est à un taux exorbitant. Ici il y a du travail", explique-t-il.
Comme la grande majorité des maisons du camp, sa pizzeria est en pierres. A partir de 2017, les habitants ont laissé les tentes pour bâtir des maisons, semblant envisager un long exil.
Jusqu'ici, aucune famille n'est rentrée définitivement en Syrie, assure le HCR. Selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), 40% des 230.000 réfugiés syriens en Irak vivent encore dans des camps, majoritairement au Kurdistan.
Damas, qui compte 5,5 millions de réfugiés, organise mercredi et jeudi une conférence pour encourager leur retour. Mais les infrastructures manquent toujours. Et surtout, les familles de retour ne seraient pas en sécurité, assurent les défenseurs des droits humains.
"La Syrie reste dans nos coeurs", nuance Khalil le journaliste, mais "montrer que l'on peut construire avec nos propres moyens, c'est notre façon de dire qu'on peut rebâtir la Syrie sans Assad".
"C'est aussi à ça que sert la radio."
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Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.