Samedi 17 septembre 2022 à 08h02
Lille, 17 sept 2022 (AFP) — Il est soupçonné d'avoir massacré le petit-ami de sa fille, après avoir surpris un rendez-vous amoureux: un franco-kurde de 52 ans comparaît lundi devant les assises de l'Oise pour le meurtre de Julien Videlaine, tué à coups de couteau en 2014.
Prévu en mars, le procès avait été renvoyé en raison d'une "difficulté déontologique": l'un des deux avocats de la défense se trouvait être le conjoint de l'avocate de la fille de l'accusé, à la fois partie civile et témoin clé du drame. Le couple d'avocats s'est depuis retiré.
Les parents et la soeur de Julien Videlaine "sont impatients que ce procès se tienne enfin, et comptent sur chacun des protagonistes pour qu'aucun nouvel évènement ne vienne l'empêcher", commente aujourd'hui leur avocate, Me Justine Devred.
Le 24 juillet 2014, vers 19H00, les secours appelés dans un pavillon de Nogent-sur-Oise découvrent le jeune homme de 20 ans mort dans la salle de bains, nu et recroquevillé dans une mare de sang.
Il présente une vingtaine de plaies profondes infligées à l'arme blanche, notamment au front, aux poumons et au coeur.
En état de choc et blessée à la main, Nuzan, 19 ans, accuse immédiatement son père, Muhittin Ulug.
- Extradition -
Elle explique avoir profité d'une absence de sa famille, son père étant supposé rentrer tard, pour inviter Julien, qu'elle fréquente depuis près de deux ans.
Ses parents, d'origine kurde, désapprouvent sa relation avec ce Français aux origines kabyles, mécanicien dans l'armée, dit-elle aux enquêteurs. Elle assure qu'un an auparavant, ils l'ont privée de son téléphone pour les séparer, son père la menaçant même de la tuer.
Ce 24 juillet, le couple se retrouve donc secrètement et prend un bain à l'étage, avant d'entendre du bruit au rez-de-chaussée.
Selon son récit, Nuzan regarde sous la porte et voit son père devant l'entrée de sa chambre, où se trouvent les vêtements de Julien.
Muhittin Ulug lui aurait alors crié de le retrouver en bas. Mais caché sur le palier, il aurait, à sa sortie, poignardé sauvagement Julien, malgré ses supplications. Elle affirme avoir tenté de s'interposer.
Très vite, la justice ouvre une information judiciaire pour meurtre. Mais le suspect a déjà fui, via l'Allemagne, vers la Turquie.
Les parents de Julien se battront pendant quatre ans pour obtenir son arrestation. Ils seront reçus par l'entourage de François Hollande puis d'Emmanuel Macron, les ministères de la Justice et des Affaires étrangères, et l'ambassadeur de Turquie.
"Il fallait un vrai courage politique, pour faire admettre au gouvernement turc qu'il fallait aller chercher cet homme d'origine kurde, dans l'est, près de la frontière syrienne", analyse Me Devred.
Interpellé en mai 2018, Muhittin Ulug est finalement extradé et mis en examen en octobre 2019.
- Revirement de la fille -
Il avoue au juge le meurtre de Julien mais nie avoir eu conscience qu'il s'agissait de l'ami de Nuzan. Il aurait vu en arrivant une fenêtre ouverte, entendu des cris à l'étage, et attaqué cet homme nu, croyant qu'il agressait sa fille, assure-t-il.
Cette dernière change alors de version: son père ne contrôlait pas ses relations et n'avait jamais entendu parler de Julien, assure-t-elle. Elle précise avoir menti sur plusieurs détails au début de l'enquête, en colère et sous le choc.
"Il s'est écoulé cinq ans, pendant lesquels cette jeune femme, qui avait pris ses distances" et "s'était réfugiée dans un foyer à Paris sous une autre identité", semble être "revenue progressivement dans le giron familial", regrette Me Devred.
Mais "le traditionalisme, voire le fondamentalisme" de l'accusé ressort du dossier, estime l'avocate.
Dans un reportage de l'émission "Sept à Huit", diffusé au cours de l'instruction, un neveu de l'accusé chargeait la jeune fille: "C'est elle la cause, pas mon oncle", disait-il, évoquant un "grand manque de respect", tout en admettant "qu'aucun acte ne mérite la mort".
Contacté par l'AFP, l'avocat de l'accusé, Me Frank Berton, était injoignable dans l'immédiat. L'avocate de Nuzan n'a elle pas souhaité s'exprimer avant l'audience. Le verdict est attendu le 22 septembre.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.