Vendredi 7 juin 2024 à 17h37
Paris, 7 juin 2024 (AFP) — Nouvelle offensive des gendarmes dans l'enquête sur la mort de 27 personnes migrantes dans la Manche en 2021: six militaires, mis en examen pour non-assistance à personne en danger, ont contesté vendredi la régularité de la procédure devant la cour d'appel de Paris.
La chambre de l'instruction a examiné les recours déposés par cinq militaires du Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage Gris Nez (Cross, Pas-de-Calais) et la commandante du patrouilleur Flamant de la marine française, chargé de secourir des embarcations de migrants.
D'après plusieurs sources proches du dossier, la décision sera rendue le 27 septembre.
Ces militaires estiment que cette affaire instruite à la Juridiction nationale de lutte contre le crime organisé (Junalco) de Paris devrait être disjointe avec d'un côté les passeurs et de l'autre leur affaire.
Ils estiment ainsi que leur enquête devrait plutôt être suivie par le juge aux affaires militaires de Lille, et donc que les actes d'enquête les concernant jusqu'ici sont nuls.
"On a des moyens sérieux, en espérant que ce dossier ne soit pas pollué par le retentissement médiatique", a réagi auprès de l'AFP Me Anne Bernard-Dussaulx, avocate d'une mise en cause.
Selon l'une des sources proches, l'avocat général a demandé au contraire qu'une enquête unique subsiste, considérant que c'est la suite de comportements combinés des passeurs et des militaires qui a pu causer ces décès.
Ce recours "tente de priver les parties civiles et finalement la société d'un procès où tous les acteurs seraient présents", s'est inquiété Me Emmanuel Daoud, qui défend une partie civile.
- "Tentatives d'intimidation" -
Dans le cadre de l'enquête sur ce naufrage, pire drame migratoire jamais enregistré dans la Manche, au moins sept militaires français et onze passeurs présumés ont été mis en examen.
Le canot avait coulé au petit matin du 24 novembre 2021, emportant 27 passagers, majoritairement des Kurdes irakiens, âgés de 7 à 46 ans.
Les autorités françaises sont soupçonnées d'avoir été appelées à l'aide à une quinzaine de reprises, sans intervenir.
D'après des éléments des investigations obtenus par l'AFP, le Flamant aurait pourtant été le bateau le plus proche de l'embarcation, à moins de 4 km du lieu du naufrage. "Ces personnes auraient donc pu être sauvées", a souligné une juge lorsqu'elle interrogeait la commandante du Flamant, en février.
La question de la compétence du Flamant à intervenir en eaux anglaises a été soulevée. Un gendarme a assuré se faire "engueuler" s'il s'y risquait, alors que la commandante a expliqué pouvoir intervenir "s'il y avait besoin d'aide", d'après leurs interrogatoires consultés par l'AFP.
D'après l'exploitation de bandes sonores révélée par Le Monde, l'équipage du patrouilleur aurait possiblement manqué de surveiller la fréquence internationale de détresse, une obligation réglementaire, sur laquelle le centre de secours britannique de Douvres avait émis plusieurs messages d'alerte +mayday+.
Mais la commandante du Flamant a assuré aux juges d'instruction n'avoir "entendu aucun de ces messages", d'après son interrogatoire en février consulté par l'AFP.
A ces potentielles fautes individuelles s'ajoutent des soupçons de pressions de la hiérarchie militaire: fin mars, les juges ont exprimé auprès de la gendarmerie maritime et nationale leur "vive inquiétude" face à des "tentatives d'intimidation et de représailles" sur les gendarmes de Cherbourg chargés d'enquêter sur ce drame, dans un courrier révélé par Le Canard enchaîné et consulté vendredi par l'AFP.
Les juges s'interrogent aussi sur de possibles "instructions" données au printemps 2023 par la hiérarchie militaire aux mis en cause sur les réponses à donner en garde à vue.
Au chef de quart du Flamant, qui a indiqué en février avoir pu écouter l'enregistrement de la passerelle du patrouilleur la nuit du drame, le juge a ainsi indiqué: "Vous ne trouvez pas ça curieux que vous puissiez écouter ça et que donc vous soyez en possession d'éléments de preuve dont nous ne disposons pas ni l'enquêteur ni moi ?"
Une enquête pour violation du secret de l'instruction a été ouverte sur ces potentielles fuites.
Au moins quinze personnes sont décédées en 2024 dans des tentatives de traversée de la Manche, un chiffre qui dépasse le bilan annuel 2023. L'an dernier, près de 30.000 migrants ont effectué la traversée.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.