Mercredi 20 novembre 2024 à 10h30
Bagdad, 20 nov 2024 (AFP) — L'Irak organise mercredi et jeudi son premier recensement sur tout son territoire en près de 40 ans, un comptage longtemps retardé en raison des conflits à répétition et des dissensions dans un pays multi-confessionnel et multi-ethnique.
L'initiative a pu susciter des frictions entre Bagdad et le Kurdistan autonome depuis 1991, notamment au sujet de territoires du nord historiquement disputés. Pour le pays riche en pétrole, les résultats seront aussi scrutés pour des raisons budgétaires.
Actuellement, le pays compte 44 millions d'habitants, dont plus de 40% ont 15 ans ou moins, selon les estimations officielles. Pour la première fois depuis 1987, le recensement couvrira les 18 provinces irakiennes. La dernière édition en 1997 avait exclu les trois provinces du Kurdistan.
Le Premier ministre, Mohamed Chia al-Soudani, a souligné "l'importance" de l'évènement, venant soutenir le "développement et la planification dans tous les domaines", pour contribuer au "progrès" d'un pays aux infrastructures en déliquescence.
Pour compter la population, le pays sera à l'arrêt: un couvre-feu de deux jours obligera les familles à rester chez elles, sauf cas de force majeure, pour ouvrir la porte à 120.000 chercheurs venus collecter leurs données.
Consulté par l'AFP, le questionnaire recense le nombre de personnes par foyer, l'état de santé, le niveau d'éducation, la situation professionnelle, le nombre de voitures et même un inventaire de l'équipement électroménage, pour aider à déterminer le niveau de vie.
- "Politiques publiques efficaces" -
Dans un Irak ravagé par les conflits -- guerre confessionnelle après l'invasion américaine de 2003, montée en puissance du groupe Etat islamique en 2014 --, le recensement avait été longtemps reporté.
Mais ces dernières années, le pays a retrouvé un semblant de stabilité. Même si deux décennies de violences ont bouleversé l'Irak, avec notamment l'exil de centaines de milliers de chrétiens et des dizaines de milliers de familles yazidies chassées du Sinjar par les exactions de l'EI.
Pour organiser le recensement, les autorités sont épaulées par le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), qui salue un outil crucial pour "doter l'Irak d'informations démographiques précises et faciliter l'élaboration des politiques publiques efficaces."
Après des années de "vide", le recensement "mettra en lumière la réalité de l'Irak dans ses moindres détails: nous pourrons diagnostiquer tous les problèmes qui paralysent le développement, dans les domaines de la santé, l'éducation, l'habitat", confirme le porte-parole du ministère du Plan, Abdel-Zahra al-Hindawi.
"La représentation au Parlement va changer", indique à l'AFP Hamzeh Hadad, politologue du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR).
La constitution prévoyant un député pour 100.000 Irakiens, "un recensement officiel signifie que les nombres devront être ajustés", dit-il.
Le recensement comprend la religion, sans distinction entre sunnite et chiite par exemple, mais il n'englobe pas l'ethnicité, contrairement aux éditions précédentes.
"Il manque certains détails cruciaux dans ce recensement, peut-être pour apaiser toutes les parties et permettre enfin sa tenue", souligne M. Hadad.
- Craintes Kurdes -
Car les éditions passées ont été annulées essentiellement à cause de tensions concernant des territoires disputés entre les communautés kurde, arabe et turcomane, dans les provinces du nord, Kirkouk ou Ninive.
Kirkouk, que revendiquent Kurdes et Arabes, a longtemps cristallisé les tensions.
Au Kurdistan autonome, Fahmi Burhane, responsable du dossier des territoires disputés, évoque des craintes existant depuis longtemps sur un changement démographique.
"Si on regarde les recensements passés, le nombre de Kurdes a progressivement diminué dans les régions kurdes hors du Kurdistan autonome", dit-il, citant certaines zones, à l'instar du Sinjar ou de Kirkouk, où "le nombre de Kurde diminue et celui des Arabes augmente".
Et à Kirkouk, "des quartiers arabes ont été érigés ces dernières années, qui ne correspondent absolument pas à une croissance normale de la population", estime-t-il.
Il reconnaît toutefois que le Kurdistan entretient de bons rapports avec le gouvernement Soudani qui a su "alléger certaines inquiétudes".
Bagdad a accepté, pour ces territoires disputés, d'y enregistrer uniquement les descendants des familles déjà présentes sur les lieux au recensement de 1957, pour éviter que les vagues migratoires ayant suivi ne perturbent l'équilibre démographique. Les nouveaux venus seront recensés dans leur province d'origine.
Toutefois, nuance M. Hadad, "il n'y a pas que la politique d'arabisation sous Saddam Hussein, mais aussi son inversion, avec la kurdification de territoires disputés après 2003".
Il confirme les "peurs" des politiciens Kurdes au sujet de la "démographie", notamment pour leur région: entre les provinces "le budget fédéral est partagé selon le pourcentage de la population. Des statistiques mises à jour pourraient impacter la part du Kurdistan."
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.