Dimanche 1 octobre 2023 à 05h01
Paris, 1 oct 2023 (AFP) — Près de 30 ans après le dernier procès d'Action directe, et cinq ans après le fiasco de l'affaire de Tarnac, l'ultragauche revient sur le devant de la scène judiciaire: sept personnes comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnées d'avoir projeté des actions violentes contre des policiers et militaires.
Jusqu'au 27 octobre, six hommes et une femme, âgés de 33 à 39 ans, seront jugés pour association de malfaiteurs terroriste devant le tribunal correctionnel. Trois d'entre eux le seront aussi pour "refus de remettre une convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie".
Tous contestent les faits.
A l'origine du dossier, un rapport de la DGSI sur un projet d'action violente fomenté par des militants d'ultragauche. Leur leader serait un militant libertaire âgé de 39 ans, Florian D., ayant combattu en 2017 auprès des Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) au Rojava (nord-est de la Syrie) contre le groupe Etat islamique.
Après plusieurs mois de surveillance et d'écoutes, les suspects sont interpellés le 8 décembre 2020, en divers endroits de France (Toulouse, Rennes ou encore Vitry-sur-Seine), puis mis en examen. Lors des perquisitions, les forces de l'ordre retrouvent notamment des produits servant à fabriquer des explosifs et des armes.
Selon l'ordonnance des juges antiterroristes dont l'AFP a eu connaissance, Florian D. aurait fédéré autour de lui des personnes de confiance, qui "connaissaient, dans les grandes lignes", ses projets: Camille B., avec laquelle il entretenait une relation amoureuse, mais aussi Simon G., artificier à Disneyland rencontré dans des soirées punk lorsqu'ils avaient 18 ans, et Manuel H., avec qui il avait été scolarisé dans le même lycée agricole.
Les trois autres prévenus, Loïc M., William D. et Bastien A., ont rencontré Florian D. sur la ZAD du barrage de Sivens (Tarn) en 2014.
- Airsoft et explosifs -
Les mis en cause sont soupçonnés d'avoir participé à des "entraînements de progression tactique et de tir" dans une maison abandonnée en Haute-Garonne et fabriqué et testé des explosifs, en vue d'"abattre les institutions républicaines" en s'en prenant à des policiers et militaires, selon la justice qui se base sur des conversations écoutées par les enquêteurs.
Aucun passage à l'acte imminent n'a toutefois été envisagé.
Devant les enquêteurs, ils évoquent pour leur part des parties d'airsoft et reconnaissent avoir confectionné des explosifs, mais selon les mots de Florian D., uniquement pour fabriquer un "gros pétard" dans un but ludique.
"Sept personnes sont jugées pour association de malfaiteurs terroriste sans que le moindre projet et la moindre cible n'aient été établis, et sans qu'un quelconque groupe n'existe en réalité", ont commenté Mes Coline Bouillon et Raphaël Kempf, avocats de Florian D. "Cette qualification sera contestée fermement par la défense au cours de ces quatre semaines d'audience".
La justice reproche aussi à certains d'entre eux d'avoir refusé de livrer les codes de leurs moyens de communication cryptés.
"Faire de l'usage d'outils de protection des données un crime, c'est une pente sérieusement glissante", a estimé Me Guillaume Arnaud, un des avocats de Camille B., soulignant que sa cliente ne se reconnaissait "dans aucune des infractions" reprochées.
"La réalité de ce dossier, c'est qu'il n'y a ni groupe ni projet violent, mais des modes de vie alternatifs qui échappent à l'accusation", déclarent Mes Lucie Simon et Camille Vannier, qui défendent Manuel H. "Le récit est pré-établi par le parquet national antiterroriste, l'enquête ne va viser qu'à le justifier".
Avant cette affaire, la dernière saisine connue de la justice antiterroriste pour des faits liés à l'ultragauche remonte à l'affaire de Tarnac en 2008, pour des soupçons de sabotage de lignes TGV. Mais les qualifications terroristes, objet d'un âpre débat, avaient été abandonnées par la justice avant le procès, qui s'était conclu en 2018 par une relaxe quasi générale. "+Le groupe de Tarnac+ était une fiction", avait conclu la présidente du tribunal.
Le dernier procès pour terrorisme de militants d'ultragauche remonte à 1995, quand sept membres de la branche lyonnaise d'Action directe, un groupe armé d'extrême gauche à l'origine de plusieurs attentats dans les années 1980, avaient été condamnés à 30 ans de réclusion criminelle.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.