Samedi 23 novembre 2024 à 21h07
Lille, 23 nov 2024 (AFP) — Trois ans ont passé depuis le jour où 27 personnes sont mortes lors du naufrage de migrants le plus meurtrier dans la Manche. Mais depuis, près de 100 autres ont péri en tentant de rejoindre l'Angleterre depuis la France, dont au moins 71 cette année.
"Aidez-moi s'il vous plaît", implore au milieu de la nuit du 23 au 24 novembre 2021 un migrant à bord d'un frêle canot, lors d'une communication avec les sauveteurs français.
A 02H05 du matin, l'embarcation est localisée dans les eaux françaises, à 1,1 kilomètre des eaux anglaises, d'après des éléments de l'enquête rappelés par la cour d'appel de Paris dans une décision rendue le 2 octobre.
Cela fait alors "plusieurs dizaines de minutes déjà" que les personnes à bord demandent de l'aide.
Malgré "de nombreux appels" de l'embarcation comme des secours britanniques à "l'attention du sauvetage français (...), aucun moyen ne sera engagé" par le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (Cross) Gris-Nez (Pas-de-Calais).
- "Des cris, des pleurs" -
"Dans les appels, on entendait des cris, des pleurs, des personnes indiquer que le bateau était cassé", complète Jessica Lescs, avocate de trois membres d'une famille de victime et de deux associations, Utopia 56 et la Ligue des droits de l'Homme, qui ont saisi la justice administrative pour demander réparation à l'Etat français, un cas extrêmement rare.
Dans l'après-midi du 24 novembre 2021, vingt-sept corps seront retrouvés. Les victimes sont seize Kurdes d'Irak, un Kurde d'Iran, quatre Afghans, trois Ethiopiens, une Somalienne, un Egyptien et un Vietnamien. Parmi les victimes: sept femmes, un adolescent de 16 ans et une fillette de 7 ans.
Quatre personnes sont portées disparues. Deux passagers seulement, un Kurde irakien et un Soudanais, sont secourus.
Samedi soir, plus de 200 personnes se sont réunies pour une marche commémorative dans les rues de Dunkerque (Nord), à l'issue de laquelle 31 roses blanches ont été jetées à la mer.
"Ce naufrage, c'est une amie qui me l'a appris... J'ai pleuré, j'étais révolté", dit Thomas, 35 ans, habitant de Calais présent samedi. "On ne peut absolument pas s'habituer à ce qui se passe (...) La situation ne fait qu'empirer".
Pour les familles des victimes, "au-delà de leur souffrance, leur détermination à connaître la vérité reste inchangée", assurent à l'AFP Matthieu Chirez, Thomas Ricard et Matthieu Delignon, avocats représentant 113 parties civiles dans ce dossier.
Mis en examen pour non-assistance à personne en danger, sept militaires français - cinq membres du Cross et deux de l'équipage du patrouilleur Flamant - ont récemment demandé la scission de l'enquête en un volet "militaires" et un volet "passeurs", ainsi que l'annulation de nombreux actes d'enquête, demandes rejetées par la cour d'appel de Paris.
Selon une source proche du dossier, les militaires se sont pourvus en cassation.
Toujours selon cette source, les investigations concernant les onze passeurs présumés mis en examen pourraient être clôturées dans les prochaines semaines, tandis que les militaires pourraient prochainement être convoqués pour de nouveaux interrogatoires devant le juge d'instruction.
La famille que représente Jessica Lescs ne réclame pas qu'une indemnisation. "Nous demandons que le tribunal enjoigne l'Etat de renforcer les moyens humains et matériels affectés au sauvetage des personnes qui traversent la Manche", précise l'avocate à l'AFP.
- "Voies d'immigration légales" -
Car trois ans après ce naufrage, des dizaines de milliers de migrants --plus de 33.000 cette année selon les autorités britanniques-- continuent chaque année de rejoindre l'Angleterre depuis la France par "small boats", un phénomène apparu en 2018 en réponse au verrouillage de plus en plus fort des accès au tunnel sous la Manche et au port de Calais.
Mais les traversées sont de plus en plus périlleuses, sur des canots surchargés à bord desquels les passagers disposent rarement de gilets de sauvetage. Cette année, au moins 71 personnes ont perdu la vie lors de tentatives de traversée, selon la préfecture du Pas-de-Calais. Un chiffre record.
"Combien de morts faudra-t-il dans la Manche avant que les Etats français et britannique ne prennent leurs responsabilités?" ont demandé seize dirigeants d'associations d'aide aux migrants et d'ONG, jeudi dans le journal français La Tribune.
Face aux drames qui s'enchaînent, un collectif de maires du littoral français de la Manche a réclamé mercredi une série de mesures, dont "des voies d'immigration légales" au gouvernement britannique.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.