L’écrivain kurde Mehmed Uzun est décédé le 11 octobre vers 08h00 à Diyarbakir à l’âge de 54 ans des suites d’un cancer de l’estomac. Ses funérailles ont réuni une foule nombreuse et marqué un moment d’intense émotion. Conformément à son testament, les prières ont été récitées en langue kurde et l’hommage a été rendu “à tous les martyrs du Kurdistan”. Outre son ami et protecteur Yachar Kemal, trois personnalités kurdes- l’ancien ministre Serafettin Elci, le président du parti pro-kurde DTP Ahmet Turk et le maire de Diyarbakir- représentatives des diverses sensibilités de la société kurde ont pris la parole pour rendre hommage à la personnalité et à l’oeuvre de l’écrivain disparu et réaliser sur sa tombe une certaine unité nationale kurde qu’il n’avait eu cesse d’appeler de ses voeux
Les ambassades de Suède et de l’Union européenne ainsi que l’Institut kurde de Paris, dont M. Uzun a été un collaborateur actif pendant près de 20 ans, étaient représentées à ces obséques. Le président du Kurdistan Massoud Barzani a fait parvenir un message rendant hommage au parcours militant patriotique et à l’oeuvre de Mehmed Uzun. Chose très rare dans les annales de la République turque, le président turc Abdullah Gul a tenu à envoyer un message de condoléances à la famille de cet écrivain kurde qui de son vivant à pourtant connu la prison et l’exil
L’exil commença dès 1977. Jeune journaliste à la revue politico littéraire kurde Rizgari (Libération), Mehmed Uzun fit l’objet de nombreuses poursuites judiciaires pour ses articles en langue kurde, langue interdite jusqu’en 1991 en Turquie. Pourchassé, harcelé, il dut, après plusieurs séjours en prison, se résoudre à s’exiler en Suède. Le gouvernement d’Olof Palme offrant à l’époque un accueil généreux aux intellectuels persécutés dans leur pays d’origine en leur accordant outre le statut de réfugié des bourses et des allocations diverses pour qu’ils puissent continuer à écrire, à publier, à créer. C’est dans ce contexte favorable que Mehmed Uzun se mit à écrire en kurde des romans et des essais qui furent d’abord publiés par des maisons d’édition kurdes subventionnées de Suède
Mehmed Uzun fut parmi les tout premiers intellectuels et artistes kurdes qui ont, dès sa création en 1983, rejoint l’Institut kurde de Paris. Il vint passer une année à Paris et ce séjour dans la capitale des arts et des lettres l’a fortement marqué. Rentré en Suède pour des raisons familiales, il est resté proche des activités de l’Institut notamment en participant régulièrement à ses séminaires linguistiques semestriels pour la standardisation et la reconnaissance de la langue kurde
En 2005, après 28 ans d’exil, il retourna vivre en Turquie. Proche du célèbre écrivain kurde Yachar Kemal, qui le considérait comme son fils adoptif, il multiplia ses interventions dans les media turcs en faveur d’un règlement pacifique du problème kurde en Turquie et a acquis une bonne notoriété dans les milieux démocratiques et libéraux turcs. Ses romans déjà traduits dans une demi-douzaine de langues étrangères étaient également traduits en turc à la fin des années 1990. Evoquant des personnages et des épisodes méconnus de l’histoire kurde ces romans n’ont pas manqué de se heurter à la censure turque et firent l’objet de poursuites judiciaires. Jugé en 2001 pour ses romans “Ask gibi aydinlik ölüm gibi karanlik” (Clair comme l’amour et sombre comme la mort) “Nar Çiçekleri” (les fleurs des grenadiers), il a obtenu la même année le prix de la libre expression et de la liberté d’opinion de l’Union des éditeurs de Turquie et le prix scandinave de la plume libre Torgny Segerstedt. En 2002, il a également été été lauréat du préstigieux prix Stina-Erik Lundeberk de l’Académie suédoise. En France, il a publié chez Phebus “La poursuite de l’ombre”. Yachar Kemal dans sa préface écrivait: “Loin de sa terre, mais tout près d’elle par l’écriture, Mehmed Uzun s’est donné cette mission, plus malaisée qu’on imagine: devenir romanicier kurde; et même à sa façon le premier vrai romancier kurde, dans la mesure où les fictions modernes publiées avant lui dans cette langue se fixaient des ambitions plutôt modestes...”. Membre du conseil d’administration de l’Union des écrivains suédois, du Pen Club suédois et du Pen Club international, il faisait également partie de l’Union internationale des journalistes.
La mort prématurée de cet écrivain, qui fut l’une des plumes les plus appréciées de la littérature kurde moderne, est une grande perte pour les lettres et la cause kurdes.
La République turque a, le 29 octobre, fêté son 84ème anniversaire sur fond de menaces croissantes d'interventions militaires dans le Kurdistan irakien. Plus de 200.000 personnes, selon des chiffres officiels, ont afflué au mausolée d’Ataturk, fondateur de la Turquie pour marquer leur unité face aux attaques du PKK. Et la participation des ankariotes a été massive à la traditionnelle parade militaire tout comme à Istanbul et Izmir (ouest), les principales métropoles turques. « La Turquie est fière de vous », « chaque Turc est un soldat par naissance », ont crié les gens brandissant l'emblème national aux soldats qui défilaient. Outre les cérémonies officielles, des manifestations anti-PKK ont été organisées à travers le pays pour la huitième journée consécutive. Dans ce climat d’hystérie nationaliste, une série d'attaques ont pris pour cible des Kurdes et leurs biens. Depuis des semaines, les menaces d'une intervention militaire turque, sous prétexte officiel de déloger des combattants du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), se sont faites plus précises. La perspective d'une attaque turque s'est précisée quand le Parlement turc y a donné son accord de principe le 17 octobre. Le risque a accru avec l'attaque dans laquelle le PKK a, le 21 octobre, tué douze soldats turcs et fait prisonniers huit autres. L'armée turque a, le 30 octobre, affirmé pour sa part avoir tué 65 combattants du PKK depuis cette attaque. L’état major turc a sensiblement renforcé sa présence tout au long de la frontière irakienne, massant 100.000 hommes dans cette zone. « Ceux qui nous font souffrir vont souffrir à un degré qu'ils ne peuvent même pas imaginer et nous sommes déterminés sur cette question », a déclaré le chef d’état major turc, le général Yasar Büyükanit dans son message publié à la veille de la fête nationale turque. Initialement réticent au lancement d'une opération hors frontières, le gouvernement est désormais sous une pression très forte de l'opinion publique, des médias et des militaires. Car à défaut de victoire militaire définitive, les autorités turques entendent remporter, avec l'aide des médias, une bataille psychologique.
Les Kurdes sont persuadés que la Turquie ne veut pas qu’une quelconque expérience d’Etat kurde réussisse et que la présence des combattants du PKK dans le massif du Qandil n'est qu'un prétexte pour intervenir. Défiant les menaces turques, le président du Kurdistan irakien Massoud Barzani a déclaré qu'il ne « prend pas ses ordres » à Ankara, dans une interview à la presse turque. Accusé par les autorités turques de tolérer les 3.500 combattants du PKK établis sur son territoire, M. Barzani a toutefois exhorté le PKK à renoncer à la violence et la Turquie à apporter une solution politique au conflit. Dans cette entrevue publiée le 30 octobre dans le journal turc Milliyet, il a déclaré: « ou le PKK renonce à la violence ou il se retrouvera confronté non seulement à la Turquie, mais aussi à toute la nation kurde ». Il a également demandé à Ankara de « coopérer pour trouver une solution pacifique et démocratique à la question kurde » suggérant une amnistie pour les combattants du PKK. « L'histoire a montré que ce problème ne peut pas être résolu par des moyens militaires », a-t-il poursuivi, ajoutant qu'il était prêt à tout faire « pour préparer le terrain » à une solution pacifique. Trois incursions turques, en 1995 et 1997, mobilisant des dizaines de milliers de soldats, n'ont pas pu venir à bout des maquisards. M. Barzani a aussi regretté le refus d'Ankara de parler directement avec les Kurdes d'Irak des mesures de lutte contre le PKK. « Vous ne voulez pas me parler, et ensuite vous me demandez d'agir contre le PKK. Comment cela est-il possible ? », a-t-il demandé. « Je suis un ami de la Turquie mais je ne prends pas mes ordres auprès d'Ankara ou de quiconque », a-t-il ajouté. Il a notamment confié son inquiétude de voir la question du PKK servir de prétexte à une remise en cause de l'autonomie du Kurdistan irakien. « Comment expliquer l'hostilité de la Turquie envers le Kurdistan irakien. Peut-être parce que nous sommes le vrai problème pour Ankara et pas le PKK », s'est-il interrogé. « Nous voulons que la Turquie nous assure que tous ces moyens militaires ne sont pas dirigés contre nous », a-t-il ajouté. « Nous n'acceptons pas la concentration de troupes turques à nos frontières », avait également déclaré la veille le président du Kurdistan irakien à Erbil. « S'ils attaquent notre peuple, notre territoire, nous nous défendrons ». Par contre, « nous demandons au PKK de poursuivre dans la voie du cessez-le-feu, de relâcher les prisonniers, de ne pas mener d'actions militaires et de trouver une solution pacifique », « sans solution du problème kurde, il n'y aura pas de stabilité dans la région ». « Nous existons, nous avons le droit de vivre », a-t-il conclu.
Dans un entretien à la BBC télévision, le ministre irakien des affaires étrangères, Hoshyar Zebari a, le 28 octobre, regretté pour sa part que la Turquie ne se soit pas montrée plus « réceptive » aux propositions de la délégation irakienne venue le 26 octobre pour une rencontre avec les autorités turques. Bagdad avait suggéré à cette occasion de faire surveiller les frontières du Kurdistan irakien par les forces de la coalition et de « renforcer » les postes-frontières du Kurdistan irakien avec des armes et de l'équipement. Ankara avait jugé ces mesures insuffisantes et trop longues à mettre en œuvre. « Ils réclament que le gouvernement irakien leur remette les personnages centraux ou les dirigeants du PKK (…) Mais ils ne sont pas sous notre contrôle en fait. Ils sont dans les montagnes, ils sont armés », a expliqué M. Zebari. Le député kurde irakien Mahmud Othman, a déclaré à ce sujet : « Ils veulent une centaine de rebelles du PKK, mais également 150 Kurdes irakiens. Et je suis l'un d'entre eux ! », soulignant l’inconvenance des demandes des autorités turques. Le PKK a pour sa part annoncé le 22 octobre qu'il était disposé à respecter un cessez-le-feu si l'armée turque renonçait à ses projets d'incursion et si l'Etat turc respecte les droits politiques et culturels du peuple kurde en Turquie.
Les Kurdes d'Irak accusent également les militaires turcs d'avoir fait échouer par leur « intransigeance » ces négociations sur la sécurité. La rencontre d’Ankara faisant suite à la visite le 23 octobre du ministre turc des affaires étrangères à Bagdad, s’est en effet soldée sans progrès. L'accueil réservé à Ankara aux 11 membres de la délégation, comprenant de hauts responsables de la sécurité, un militaire américain et des représentants du Kurdistan irakien, était particulièrement froid. Selon le quotidien Milliyet « la délégation a été accueillie par un directeur adjoint de la police » et elle était hébergée à la Maison de la police au lieu du grand hôtel initialement prévu. Kamel Chaker, numéro un du parti communiste kurde d'Irak, a, le 29 octobre, déclaré que « l'échec de la réunion d'Ankara est due à l'attitude intransigeante des généraux turcs qui estiment que s'ils rencontrent des représentants du Kurdistan, ils perdront la face ». Á Ankara, les militaires turcs ont refusé de recevoir les deux membres kurdes de la délégation irakienne, Safin Dezai, directeur des relations extérieures du Parti démocratique Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani, et Imad Ahmed, ministre du Travail et de la Reconstruction, et membre de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) de Jalal Talabani. « Les militaires sont inflexibles dans leur état d'esprit et dans leurs vues », a poursuivi Kamel Chaker. « Ils ne veulent pas rencontrer des représentants du Kurdistan, ni dialoguer avec le président (du Kurdistan irakien) Massoud Barzani, ils ne veulent pas entendre parler du Kurdistan ». L'autre pierre d'achoppement a été, selon lui, la question du déploiement de peshmergas, les militaires du gouvernement régional du Kurdistan (GRK), aux frontières entre l'Irak et la Turquie. Une délégation du Kurdistan irakien devait se rendre en Turquie pour rencontrer les responsables du parti de la justice et du développement (AKP), le parti au pouvoir en Turquie, mais cette visite a été annulée, a encore indiqué Kamel Chaker. « Les dirigeants turcs doivent résoudre la question du PKK et s'interroger pour savoir pourquoi existe ce parti. Et même s'ils arrivent à éliminer le PKK, il en renaîtra un autre », a-t-il conclu.
Dans le même temps, le gouvernement du Kurdistan irakien a maintenu une attitude de conciliation et le Premier ministre, Nechirvan Barzani, a rappelé le 29 octobre à Erbil que le Kurdistan irakien ne soutenait pas le PKK. « Nous ne laisserons pas le territoire irakien servir de base pour lancer des attaques contre la Turquie ou aucun autre pays. Nous considérons les dernières attaques contre la Turquie comme des agissements illégaux », a-t-il proclamé. Depuis 1991, les trois provinces de la région autonome du Kurdistan d'Irak (Erbil, Dohouk et Suleimaniyeh) connaissent un fort développement économique et une situation en matière de sécurité bien meilleure que les autres provinces d'Irak. Á 350 km au nord de Bagdad, à Erbil, dans la capitale du Kurdistan irakien, les magasins et les restaurants restent ouverts tard dans la nuit, à l'inverse des autres régions irakiennes où règnent la violence. Les nouveaux centres commerciaux --modernes et bien achalandés-- Dream City et New City, accueillent jusqu’à tard dans la nuit les clients. Le Kurdistan abrite plus de quatre millions d'habitants dotés d'un Parlement et d'un gouvernement autonome qui garde ses distances avec le pouvoir central de Bagdad.
Toutefois, les menaces turques et de récents bombardements turcs rappellent des souvenirs douloureux aux villageois établis tout près de la frontière turque. Une quinzaine de familles kurdes de Nezouri, petite bourgade à 60 km au nord-est de Zakho ont ainsi fuit leur village et trouvé refuge à Begova, une localité voisine qui abrite paradoxalement une base militaire turque, en vertu d'un accord passé en 1997. Le maire de Nezouri, Khalil Mirmeh, affirme d’ailleurs que les maisons de son village ont été détruites par les bombardements turcs. « Le pont du village a été détruit, ce qui isole totalement trois autres villages voisins où il est impossible de se rendre même à pied », a-t-il assuré. Quant au représentant du maire de Begova, Abdel Fayçal, il confirme que sur les 15 villages frontaliers de cette zone, cinq ont été bombardés par l'artillerie turque et trois de ces hameaux ont été évacués de leurs habitants, qui viennent se réfugier dans sa bourgade. De même, des responsables kurdes locaux ont affirmé que l'armée de l'air turque avait attaqué un village situé dans la localité des environs de Chiranich Islam, à 25 km au nord-est de la ville de Dahouk. Des sources proches des services de sécurité turcs avaient rapporté que l'aviation turque avait effectué une série de sorties à 20 km à l'intérieur de l'espace aérien du Kurdistan irakien entre le 21 et le 23 octobre. Le vice-Premier ministre turc Cemil Cicek a d’ailleurs affirmé que l'aviation turque a pilonné des positions du PKK situées jusqu'à 50 km en territoire kurde irakien après l'attaque, selon la presse turque du 24 octobre.
Les frappes militaires turques sont éprouvantes psychologiquement pour la population, mais quel que soit le coût, les Kurdes de la région sont prêts à se défendre. Au Kurdistan irakien, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans les rues agitant le drapeau kurde et accusant la Turquie d'essayer de fomenter des troubles dans la région. « Nous annonçons à tous les protagonistes que s'ils attaquent la région, sous un prétexte quelconque, nous sommes totalement déterminés à défendre notre expérience démocratique, la dignité de notre peuple et l'intégrité de notre territoire », avait affirmé le 19 octobre le bureau du président de la région autonome du Kurdistan irakien, Massoud Barzani.
Si la Turquie a demandé à Bagdad et à Washington d'intervenir dans le Kurdistan l'Irak, elle n'a pas hésité à poursuivre ses opérations au Kurdistan de Turquie. L'armée turque a ainsi poursuivi le 30 octobre ses opérations de ratissage contre le PKK. Deux hélicoptères Cobra ont tiré des missiles sur les monts Cudi, dans la province de Sirnak, frontalière avec l'Irak. Au moins un hélicoptère de transport de troupes Sikorsky a été vu en train de larguer des soldats sur la zone après les bombardements tandis que trois autres hélicoptères de transport survolaient la région bombardée. Des hélicoptères avaient déjà pilonné le 29 octobre des positions dans les monts Cudi et Kato qui séparent la Turquie et le Kurdistan d’Irak. Le même jour, dans la province voisine de Hakkari, une centaine de militants du PKK avaient été encerclés par l'armée, qui a coupé leurs routes après une vaste opération à Tunceli, à 600 km de la frontière. Le Premier ministre turc a, le 30 octobre, déclaré lors d'une réunion parlementaire de son parti qu'il était « inévitable » d'intensifier les opérations militaires. Il a toutefois sous-entendu qu'une offensive transfrontalière n'était pas imminente. « Les responsabilités ne permettent pas l'étroitesse d'esprit, la précipitation ou l'héroïsme », a déclaré le chef du gouvernement avant d'exhorter les Etats-Unis à prendre « des mesures urgentes et concrètes contre les foyers terroristes ». Les responsables kurdes irakiens ont souligné à plusieurs reprises que le PKK n'avait pas de structures civiles susceptibles d'être visées. D’ailleurs l'Irak a, le 23 octobre, interdit les activités sur son sol du PKK et le massif du Qandil, située de 120 à 150 km au nord-est d'Erbil, est une redoutable forteresse naturelle, alternant les cimes et les vallées profondes, couverte de forêts et propice aux opérations de guérilla. Cette montagne part de la pointe extrême du Kurdistan de Turquie puis court le long de la frontière avec l'Iran.
Les Kurdes de Turquie craignent également de pâtir d'éventuelles sanctions turques contre le Kurdistan irakien, avec la fermeture potentielle de la frontière. Le Conseil national de sécurité turc (MGK), dont les recommandations sont généralement suivies à la lettre par le gouvernement, s'est prononcé le 24 octobre pour des sanctions économiques contre les Kurdes d'Irak. Une opération militaire aurait de lourdes conséquences économiques, avec la fermeture du poste-frontière d'Habur, une grande partie de la population vivant du commerce transfrontalier. Aujourd'hui, l'économie régionale repose essentiellement sur la circulation des camions qui transportent des biens de consommation en Irak et reviennent chargés de carburant bon marché. Un tel blocus aurait un coût de 400 millions de dollars (280 millions d'euros) par an pour le Kurdistan irakien, assure le 25 octobre le quotidien à grand tirage Hürriyet. La Turquie fournit de l'électricité au Kurdistan irakien et le volume du commerce frontalier s'élève à plusieurs centaines de millions de dollars par an. De nombreux entrepreneurs turcs font en outre des affaires avec le Kurdistan l'Irak. Malgré les difficultés, l'Irak reste un marché juteux pour la Turquie et c'est l'un des rares pays avec lesquels Ankara enregistre un excédent commercial. Les exportations turques vers l'Irak se sont élevées à 1,18 milliard d'euros pour les huit premiers mois de l'année, après 1,73 milliards en 2006, selon les chiffres officiels. Les importations irakiennes en Turquie ont en revanche péniblement atteint 106 millions d'euros pour les huit premiers mois de l'année après 259 millions pour l'ensemble de 2006. Alors que la grande majorité des exportations turques passent actuellement par le poste de Habur, Ankara envisagerait en cas de sanctions contre le Kurdistan irakien de faire passer son commerce vers l'Irak par les postes frontaliers syriens, selon la presse turque. Dans ce cas, se plaignent les chauffeurs routiers, le voyage serait encore plus long et surtout plus dangereux à l'intérieur du territoire irakien alors que le Kurdistan est l'une des rares zones pacifiées du pays. 15 à 18 millions de Kurdes vivent en Turquie selon la Commission européenne. Afin de favoriser son rapprochement avec l'Union européenne, la Turquie a récemment aboli l'état d'urgence en vigueur 15 ans durant dans la région et assoupli certaines restrictions affectant la langue et la vie culturelle kurdes mais les Kurdes jugent ces mesures « cosmétiques ».
La question kurde sera abordée lors d'une rencontre des pays voisins de l'Irak à Istanbul début novembre. La secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice doit s'entretenir avec le président turc Abdullah Gül et M. Erdogan à Ankara. Elle doit ensuite assister à Istanbul à cette réunion internationale des voisins de l'Irak, les 2 et 3 novembre, à laquelle devrait participer le chef de la diplomatie irakienne Hoshyar Zebari. Les Etats-Unis redoutent qu'une intervention turque au Kurdistan irakien ne déséquilibre une des rares régions du pays relativement épargnée par l'instabilité. L'administration américaine a déployé une activité diplomatique intense pour réfréner le gouvernement d'Ankara mais les relations turco-américaines traversent une zone de turbulences. La Turquie lancera une opération « quand ce sera nécessaire », a, le 27 septembre, averti le Premier ministre turc, qui s'est montré excédé par les appels à la retenue des Etats-Unis. Les relations entre les deux alliés au sein de l'Otan ont notamment été crispées en octobre par un projet de résolution du Congrès américain. Le texte, adopté en commission, reconnaît comme un génocide les massacres d'Arméniens qui ont fait plus de 1,5 million de morts après 1915 sous l'Empire ottoman. Les parlementaires américains semblent cependant avoir ravalé leurs intentions de se prononcer sur le texte en séance plénière, devant la menace d'un retrait par la Turquie de son important soutien logistique aux opérations américaines en Irak et devant l'aggravation des tensions à la frontière irakienne mais certains n’hésitent pas à parler de concessions faites à la Turquie sur la question kurde après le vote de cette résolution. Pour Joost Hiltermann de l’International Crisis Group, « une incursion militaire par la Turquie semble hautement improbable (…) Leurs bruits de bottes sont destinés à Washington pour qu'il fasse pression sur Bagdad pour prendre des mesures pour régler ce problème ». De plus, l’armée turque monte la pression d’un cran à cause du désir des Kurdes d’Irak d’intégrer officiellement et par référendum la ville pétrolière de Kirkouk au Kurdistan irakien. L’article 140 de la Constitution irakienne dispose que le statut de la ville sera tranchée par référendum après recensement de la population et avant la fin de l’année 2007. Le Premier ministre turc attache une grande importance à sa rencontre avec le président américain George W. Bush à la Maison Blanche, prévue le 5 novembre. L'accès à l'espace aérien turc est crucial pour les Etats-Unis: 70% du fret aérien américain, 30% du carburant et 95% des nouveaux véhicules blindés destinés à l'Irak transitent en effet par la base aérienne d'Incirlik (sud de la Turquie).
Le parlement kurde irakien, réuni en session extraordinaire, a, le 24 octobre, lancé un appel aux Nations unies, aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne pour qu'ils empêchent la Turquie d'envahir son territoire. Il a parallèlement exhorté le PKK à respecter la souveraineté irakienne. La Commission européenne et le Portugal, qui préside actuellement l'Union européenne, ont mis en garde Ankara contre toute incursion militaire en Irak et l'ont exhorté à dialoguer avec Bagdad pour mettre fin aux attaques. Le diplomate en chef de l'UE Javier Solana a appelé la Turquie à la retenue, en soulignant que l'intégrité territoriale de l'Irak était « fondamentale ». Paris « continue d'appeler les autorités turques et irakiennes à trouver une solution pour mettre un terme à cette situation », a, le 25 octobre, déclaré à la presse la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Pascale Andréani. « La France rappelle son attachement à l'unité, à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Irak », a-t-elle ajouté. « Elle réitère sa condamnation des violences du PKK et salue la décision des autorités irakiennes d'interdire à cette organisation terroriste d'utiliser le territoire de l'Irak pour ses activités contre la Turquie », a poursuivi Mme Andréani. Le commissaire européen à l'Elargissement Olli Rehn a appelé la Turquie et l'Irak à régler « par la coopération » le problème. A Bagdad, le Parlement irakien a, le 20 octobre, voté une motion condamnant la menace militaire turque, tout en exigeant le départ du PKK de l'Irak et en appelant le gouvernement à prendre « les mesures appropriées ».
Les autorités allemandes craignent également des affrontements entre les communautés kurdes et turques. Á Berlin, de violents affrontements nocturnes à coups de pierre et de bouteilles blessant entre autres 18 policiers ont, le 28 octobre, lieu entre Kurdes et nationalistes turcs. Quatorze personnes ont été interpellées après ces bagarres en marge d'une manifestation de soutien au gouvernement d'Ankara, à l'appel d'une organisation nationaliste turque, qui avait rassemblé plusieurs centaines de personnes. La manifestation a dégénéré lorsque des manifestants se sont dirigés vers un centre culturel kurde. Selon le syndicat des policiers DPOIG, les manifestants les plus violents se sont livrés à une véritable « chasse aux Kurdes », contraignant ces derniers à se réfugier dans des cafés ou des entrées d'immeubles pour échapper aux violences. Quelque 400 policiers sont intervenus pour séparer les belligérants, notamment avec des matraques et des aérosols de gaz lacrymogène, rapportent les journaux allemands. « Le conflit à la frontière turco-irakienne s'est déjà étendu à Berlin », a commenté la responsable des services de renseignement intérieur de la ville-Etat de Berlin, Claudia Schmid. « On peut s'attendre à de nouveaux affrontements entre Kurdes et Turcs », a-t-elle ajouté, imputant la responsabilité des violences à des groupes proches de l'organisation turque d'extrême droite des Loups gris. Quelque 3.500 personnes ont également manifesté le 28 octobre à Salzbourg, en Autriche, contre le PKK. Quelque 200.000 ressortissants turcs vivent en Autriche sur un total d’environ 800.000 étrangers.
Le président irakien Jalal Talabani est, le 16 octobre, arrivé à Paris pour une visite officielle. Á l'issue d'un entretien avec le président français Nicolas Sarkozy, à l'Elysée, le Président irakien a, le 17 octobre, déclaré : « Nous espérons que la sagesse de notre ami le Premier ministre Erdogan fera qu'il n'y aura pas d'intervention militaire ». « Nous n'avons pas l'impression qu'il y ait des tensions entre les gouvernements turc et irakien », a-t-il poursuivi à quelques heures du vote du parlement turc sur une éventuelle intervention au Kurdistan irakien. « Le ministre irakien de l'Intérieur était en Turquie dernièrement et il a signé un accord de sécurité. Nous avons de bonnes relations avec la Turquie ». « Le vice-président de la République, M. (Tarek) al-Hachémi se trouve actuellement à Ankara. Il a eu des entretiens très fructueux avec les autorités turques », a-t-il ajouté. Le gouvernement central irakien et le gouvernement autonome du Kurdistan irakien sont prêts à coopérer et à dialoguer avec les autorités turques pour parvenir « de façon amicale et pacifique » à un accord, a encore déclaré Jalal Talabani. « Nous souhaitons l'activation du comité formé par les Américains, la Turquie et l'Irak pour régler ce problème », a précisé le président irakien. « Nous considérons que les activités du PKK sont d'abord contre les intérêts du peuple kurde, ainsi que contre les intérêts de la Turquie, contre le nouveau cours de la démocratie en Turquie », a ajouté le Président irakien. « Nous avons demandé au PKK d'arrêter ses activités militaires. Sinon nous lui demanderons de quitter notre pays parce que le gouvernement régional et le peuple kurde ne tolèreront pas de telles activités ». Il a souhaité que la France contribue à dissuader les « voisins » de l'Irak d'intervenir dans ses affaires intérieures.
Á l’Élysée, le président irakien a salué les relations entre Bagdad et Paris, « un entretien réussi » avec Nicolas Sarkozy. « Nous avons reçu des assurances sur l'amitié renforcée de la France et également sur l'aide que la France est prête à nous fournir dans tous les domaines », a déclaré M. Talabani en soulignant aussi le rôle « extrêmement positif » de Paris au sein de l'Union européenne et de la communauté internationale. Nicolas Sarkozy « a confirmé que la France aiderait l'Irak », a confirmé son porte-parole David Martinon. Un consulat français ouvrira ainsi « en 2008 » à Erbil, dans la capitale du Kurdistan irakien. Le président français a encouragé les entreprises françaises à investir en Irak et a promis une « aide à la formation des forces de sécurité » ainsi qu' « en matière de santé ». M. Talabani a indiqué que le groupe Total avait eu des « discussions directes » avec le ministère irakien du Pétrole. « Il y a une forte détermination du président de la République à aider l'Irak », a affirmé M. Martinon qui a ajouté « nous voulons un Irak fort, uni, démocratique, réconcilié ». Selon lui, l'aide en matière de santé sera prodiguée à partir d'Erbil et la formation des forces de sécurité irakiennes, notamment de la police, déjà engagée, se déroule en France et non en Irak.
Après un entretien au Quai d'Orsay avec le chef de la diplomatie française Bernard Kouchner, qu'il avait reçu en août à Bagdad, Jalal Talabani a averti que la Turquie ne devait pas s'attendre à recevoir beaucoup d'aide de la part des forces de sécurité irakiennes, dans sa lutte contre le PKK. « Le gouvernement irakien ne peut pas se battre contre le PKK avec ses forces armées, parce que nous sommes actuellement occupés à maintenir et à établir la sécurité et la paix (…) Nous avons besoin de nos forces de sécurité pour la paix dans les rues de Bagdad, pas dans les montagnes kurdes » a-t-il souligné.
Le président syrien Bachar al-Assad est arrivé le 16 octobre à Ankara à l’invitation de son homologue turc. Le 6 octobre, au cours d'une visite à Damas, le chef de la diplomatie turc Ali Babacan avait remis une invitation du président turc Abdullah Gül à son homologue syrien à se rendre en Turquie. Lors d'un point de presse conjoint le 17 octobre avec son homologue turc Abdullah Gül, Bachar al-Assad a affirmé soutenir une éventuelle intervention de l'armée turque au Kurdistan irakien, jugeant qu'une telle opération découlerait d'un « droit légitime » de la Turquie. « Nous appuyons les décisions qui sont à l'ordre du jour du gouvernement turc en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme et les activités terroristes », a-t-il déclaré. Bachar al-Assad a prévenu qu'une éventuelle partition de l'Irak mettrait le Proche Orient à feu et à sang, a rapporté le journal Radikal, le 19 octobre. « Nous sommes en accord total avec la Turquie sur le fait que l'intégrité territoriale de l'Irak doit être préservée », a-t-il ajouté. Il a cependant affiné son propos, précisant que « le problème ne peut pas être résolu en étant considéré seulement sous l'angle militaire et sécuritaire ». « Il ne peut y avoir de résultat sans le soutien d'efforts politiques », a-t-il poursuivi, soulignant qu'il fallait « donner une chance » au gouvernement du Premier ministre irakien Nouri al-Maliki.
Le président syrien est le premier dirigeant arabe à se prononcer en faveur des plans turcs d'intervenir militairement dans le Kurdistan irakien. Ankara et Damas sont opposés à toute autonomie du Kurdistan irakien, estimant qu'un tel développement pourrait alimenter le séparatisme au sein de leurs propres populations kurdes. Ironie du sort, en 1998, le Turquie avait menacé la Syrie d'intervention militaire si elle continuait de soutenir le PKK, obtenant de Damas l'expulsion du chef de l’organisation, Abdullah Öcalan, capturé l'année suivante au Kenya. Le déplacement de M. Assad en Turquie est le deuxième depuis sa visite historique de 2004, la première d'un président syrien depuis l'indépendance de la Syrie en 1946. Damas prévoit d’autre part de participer à une réunion des pays voisins de l'Irak prévue en novembre à Istanbul. La Turquie joue d'autre part le rôle de médiateur entre la Syrie et Israël en vue d'une reprise des négociations de paix israélo-syriennes.
Par ailleurs, le président iranien dont le pays est le principal allié de la Syrie dans la région n’a pas apporté son soutien à une éventuelle intervention militaire turque. Le ministre turc des Affaires étrangères, Ali Babacan, qui s’est rendu le 28 octobre en Iran et déclaré que l'option militaire restait ouverte, n'a pas obtenu le soutien de Téhéran. « Il y a différentes méthodes (…) Nous espérons que notre coopération nous permettra de résoudre ce problème le plus rapidement possible », a indiqué M. Mottaki. Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, a aussi privilégié une solution politique lors d'une conversation téléphonique avec le Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki. Les deux responsables ont souligné le 27 octobre « que l'option militaire n'était pas la seule pour trouver une solution à la crise qui doit être résolue de façon pacifique », selon un communiqué du bureau du Premier ministre irakien publié le lendemain à Bagdad. Téhéran estime qu'une intervention turque affaiblira le gouvernement irakien, formé par des groupes chiites et kurdes alliés de l'Iran. M. Ahmadinejad, qui s'est également entretenu au téléphone avec son homologue irakien, Jalal Talabani, a en effet déclaré que « le président et le Premier ministre irakiens sont hostiles aux actions terroristes et feront tout pour réprimer les terroristes ».
Le ministre iranien des Affaires étrangères s’est ensuite rendu à Damas pour s’entretenir avec le président syrien Bachar al-Assad. Lors d'une conférence de presse avec son homologue iranien, le ministre syrien des affaires étrangères, M. Mouallem, a déclaré que « les Iraniens déploient des efforts qui complètent ceux faits par la Syrie, car nous voulons donner une chance à une solution politique » au problème.
Contre l'avis de George W. Bush, la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants a, le 10 octobre, approuvé une résolution qualifiant de génocide la mort de centaines de milliers d'Arméniens en Turquie en 1915. Les membres de la commission ont approuvé par 27 voix pour et 21 contre le texte, qui doit maintenant être examiné par la Chambre des représentants. Ankara rejette catégoriquement le terme de génocide pour qualifier les massacres de centaines de milliers d'Arméniens après 1915 sous l'Empire ottoman --auquel la Turquie à succédé en 1923-- et parle de représailles contre un peuple allié avec l'ennemi russe pendant la Première Guerre mondiale. Le génocide arménien a fait plus de 1,5 million de morts en 1915. Plusieurs gouvernements, Parlements, organisations et de nombreux Etats américains reconnaissent officiellement un génocide.
Le président turc Abdullah Gul a qualifié d' « inacceptable » le texte, adopté en dépit des avertissements d'Ankara et de ceux du président George W. Bush qui avait mobilisé tout son gouvernement contre l'emploi du terme de génocide arménien. Dans un communiqué, le gouvernement turc a affirmé que promouvoir le texte controversé « mettra en péril dans une période très sensible un partenariat stratégique » entre Washington et Ankara. Interrogé par des journalistes, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a assuré que son cabinet ferait tout son possible pour empêcher l'adoption du texte par la Chambre des représentants en plénière et étudiait sa riposte si ses efforts se révélaient insuffisants. « Nous allons continuer notre action avant qu'il (le texte) arrive en plénière », a déclaré M. Erdogan. « Après cela, il y des mesures que nous pouvons prendre, mais le temps n'est pas venu d'en parler », a-t-il ajouté. Le chef d'état-major de l'armée turque, le général Yasar Buyukanit, a, le 14 octobre, averti que les relations entre la Turquie et Washington ne seront plus les mêmes si le Congrès américain vote ce projet de loi. « Si la résolution qui a été votée en commission est adoptée par la Chambre des représentants, nos relations dans le domaine militaire avec les Etats-Unis ne seront plus jamais les mêmes », a-t-il déclaré au journal Milliyet. La Turquie a également rappelé son ambassadeur à Washington, Nabi Sensoy, pour protester contre le vote. La presse turque ne mâche pas ses mots à l'égard des élus américains qui ont voté le texte: « 27 imbéciles américains », écrit le 11 octobre le journal Vatan.
La Maison Blanche s'est pour sa part déclarée « déçue » et a assuré que le président George W. Bush allait « réitérer son opposition » à ce texte. Le secrétaire américain à la Défense Robert Gates et la secrétaire d'Etat Condoleezza Rice ont proposé de donner des instructions secrètes aux membres de la Chambre des représentants, au sujet des « intérêts de sécurité nationale » qui sont en jeu. De hauts responsables militaires américains, dont l'amiral Michael Mullen, chef d'état-major interarmées, ont également décrit les répercussions potentielles que cette résolution pourrait avoir si elle était votée par la Chambre des représentants. Dans une lettre adressée à la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi, Robert Gates et Condoleeza Rice ont rappelé que la condamnation de la négation du génocide arménien par l'Assemblée nationale en France l'an dernier avait poussé la Turquie à annuler des accords militaires avec ce pays. « Une réaction similaire du gouvernement turc à une résolution de la Chambre des représentants pourrait nuire aux troupes américaines sur le terrain, entraver notre capacité à approvisionner nos troupes en Irak et en Afghanistan, et causer des dommages significatifs à nos efforts en faveur de la réconciliation entre l'Arménie et la Turquie, à un moment clef de leurs relations », ont déclaré Robert Gates et Condoleeza Rice dans leur lettre. M. Gates a souligné la « forte dépendance » américaine de la Turquie: 70% du ravitaillement aérien destiné à l'Irak, un tiers du carburant et 95% des engins blindés contre les explosifs, vitaux pour les soldats américains, transitent par la Turquie. Ils ont pressé Nancy Pelosi d'empêcher que le texte soit mis à l'ordre du jour, de peur qu'il soit accepté. Huit anciens secrétaires d'Etat avaient également écrit à Nancy Pelosi pour s'opposer au texte en brandissant un risque de mise en danger de la sécurité nationale américaine. La présidente démocrate de la Chambre des représentants a indiqué qu'elle avait bien l'intention de soumettre le texte au vote de l'assemblée plénière.
Dans le camp arménien, le vote au Congrès américain a été accueilli avec satisfaction. « Nous saluons cette décision » de la commission américaine, a déclaré lors d'un point presse à Bruxelles le président arménien Robert Kotcharian qui espère une « reconnaissance complète par les Etats-Unis des effets du génocide ». « Le fait que la Turquie refuse de reconnaître (le génocide) ne lui permet pas d'obliger d'autres pays à renier eux aussi la vérité historique », a-t-il ajouté. Le vice-président du parti de la justice et du développement (AKP-au pouvoir), Egemen Bagis, a, le 16 octobre, déclaré que la Turquie devrait prendre des sanctions contre l'Arménie. Pour sa part, le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a condamné le 11 octobre les « massacres » d'Arméniens par l'Empire ottoman tout en refusant de se prononcer sur l'emploi du mot génocide.
Les autorités turques essaient de réparer les pots cassés en empêchant par une panoplie de mesures diplomatiques -annulation de manœuvres militaires et de visites - que le texte ne soit adopté en séance plénière. Les dirigeants civils et militaires turcs se sont concertés après le vote pour envisager des mesures de rétorsion contre les Etats-Unis. Une visite aux Etats-Unis du ministre turc du Commerce a été annulée ainsi qu'une réunion du Conseil du commerce américano-turc. La Turquie pourrait en outre restreindre l'accès des forces américaines à la base aérienne d'Incirlik et prendre d'autres mesures de représailles dans le domaine de la coopération militaire entre les deux alliés de l'Otan. Le Pentagone planche d’ailleurs sur des alternatives pour approvisionner les troupes américaines en Irak. Si la Turquie bloquait l'accès à son territoire, « cela aurait un impact significatif sur les opérations américaines en Irak mais aussi sur le commerce irakien », a fait valoir le général américain Carter Ham, en confirmant que des solutions de rechange étaient à l'étude. « Cela impliquerait probablement des coûts plus élevés, entre autres choses. Nous préférerions évidemment conserver l'accès que nous avons aujourd'hui » en Turquie, a-t-il conclu. Selon le Pentagone, l'arrêt de la coopération turque pourrait également « augmenter les délais de livraisons et les risques d'attaques des convois par les insurgés ».
Ce développement intervient alors que le Premier ministre turc s'apprête à demander au Parlement, d'autoriser une intervention militaire au Kurdistan irakien. « Malheureusement, il y a un lien qui est établi entre la résolution et une incursion turque dans le nord de l'Irak car l'opinion publique turque est très remontée contre les Etats-Unis », a déclaré le 12 octobre Faruk Logoglu, un ancien ambassadeur de Turquie à Washington.
Les violences et l'absence de revenus ont conduit près de 4,5 millions d'Irakiens à abandonner leur foyer ou fuir à l'étranger, selon le Haut commissariat aux réfugiés de l'ONU. Selon le HCR, près de 2,3 millions de personnes ont été déplacées en Irak. Le nombre d'Irakiens ayant fui dans des pays voisins a atteint plus de 2,2 millions. Plus d'un million des personnes déplacées en Irak même avaient fui leur foyer avant le début de l'intervention américaine en 2003. Les déplacements sont continuels en Irak, « au rythme de 1.000 à 2.000 par jour », toujours selon le HCR.
Le HCR est particulièrement attentif à la situation du Kurdistan irakien qui abrite déjà plus de 800.000 personnes déplacées. Mais toute incursion militaire turque dans le Kurdistan irakien pourrait accroître le nombre d'habitants qui désertent leurs foyers et fermer l'une des rares issues offertes aux réfugiés cherchant à quitter l'Irak, indiquent des représentants de l'aide humanitaire. Selon des travailleurs humanitaires, plusieurs centaines de personnes ont déjà fui des villages frontaliers à la suite de bombardements intervenus. Astrid van Genderen Stort, porte-parole du Haut Commissariat de l'Onu pour les réfugiés (HCR) a, le 23 octobre, déclaré que « si une opération militaire a vraiment lieu, l'un des rares refuges ouverts aux Irakiens cessera peut-être d'exister ». Le Kurdistan irakien a échappé aux violences intercommunautaires qui font rage ailleurs dans le pays c’est pourquoi quelque 160.000 Irakiens de confessions chiite et sunnite vivent dans la région parmi les Kurdes. Dana Graber Ladek, de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a pour sa part déclaré que « des attaques turques pourraient entraîner de nouveaux déplacements (…) Nous prévoyons de créer des centres d'accueil pour le cas où il y aurait de nouveaux déplacements. A notre connaissance, les autorités kurdes ne comptent pas mettre en place des camps, mais elles ont placé des hôpitaux en état d'alerte ». Selon des organismes humanitaires, environ 4,2 millions d'Irakiens se sont enfuis de chez eux depuis 2003, et ce problème de réfugiés continue de s'amplifier. La moitié d'entre eux environ sont toujours en Irak, l'autre moitié ayant gagné l'étranger, principalement la Syrie et la Jordanie. Ces deux pays imposent à présent des restrictions sur les octrois de visas aux Irakiens.
Par ailleurs, au terme d'un accord négocié entre l'Iran et le Kurdistan irakien, les cinq postes-frontières disséminés le long des 120 km séparant le Kurdistan irakien de l'Iran ont, le 8 octobre, été rouverts. Ces postes étaient fermés depuis le 24 septembre en représailles à la capture d'un Iranien par les forces américaines. Selon les autorités kurdes, la décision iranienne a couté un million de dollars de pertes par jour pour la région. L’accord entre le gouvernement régional du Kurdistan et l'Iran prévoit l'ouverture de deux consulats iraniens à Souleimaniyeh et à Erbil, ainsi que la mise en activité de deux consulats irakiens à Kermanshah et Urmia, deux villes kurdes du Kurdistan iranien. Les deux parties « se sont engagées à ce que leur territoire ne soit pas utilisé par des groupes armés ou pour des activités armées hostiles », selon l'accord cité. Enfin, « le Kurdistan irakien fera tous les efforts pour obtenir la libération de l'Iranien interpellé le 20 septembre par les troupes américaines », selon les autorités kurdes.
Le général Abdoul-Karim Khalaf, porte-parole du ministre de l'Intérieur, a, le 22 octobre, annoncé que la violence a diminué de 70% au troisième trimestre en Irak par rapport aux trois mois qui ont précédé. Á Bagdad, les explosions de voitures piégées ont diminué de 67% tandis que le nombre de cadavres retrouvés dans les rues a baissé de près d'un tiers. Dans la province de l'Anbar, où ont aussi porté les efforts des forces irakiennes et de l'armée américaine, les morts violentes ont chuté de 82%. Selon le général Khalaf, « ces chiffres traduisent une amélioration progressive du contrôle de la situation en matière de sécurité » depuis l'arrivée au premier semestre de 30.000 militaires américains supplémentaires. Néanmoins, les attentats à la voiture piégée ont augmenté de 129% et le nombre de morts de 114% dans la province de Ninive, où les divers activistes sunnites, dont ceux d'Al Qaïda, se sont regroupés après leurs revers à Bagdad et dans l'Anbar. Selon des chiffres officiels irakiens publiés le 28 octobre le nombre des civils tués a atteint en octobre son niveau le plus bas depuis 20 mois. Pour les quatre premières semaines d'octobre, 285 civils et membres des forces de sécurité irakiennes ont été tués dans des violences, selon des chiffres fournis par trois ministères: Intérieur, Défense, et Santé. Octobre 2007 a également été marqué par une réduction du nombre des morts américains avec 35 tués, soit la moitié du mois précédent qui s'était conclu sur un chiffre de 71 soldats tués.
Á Ramadi, à 110 km à l'ouest de Bagdad, l'heure est aujourd’hui à la reconstruction et au retour à la paix. Dans ce bastion des terroristes, les GI sont désormais conviés à déjeuner chez les notables. Les soldats américains ont endossé le rôle d'urbanistes, de gestionnaires des relations entre communautés et d'acteurs politiques. Les officiers américains et leurs hommes conduisent un recensement, enregistrent les armes, réparent les égouts, veillent à ce que les prix du combustible pour la cuisine et le chauffage restent raisonnables, approuvent des contrats pour la construction d'écoles ou de parkings, et, peut-être le plus important, entretiennent des relations avec les policiers et citoyens irakiens. La violence dans la province troublée d'Anbar, où se trouve Ramadi, est loin d'être terminée, mais elle reflue. Depuis le début de l'année 135 soldats de la coalition américaine y ont été tués, soit 16% des pertes militaires en Irak, selon des statistiques compilées le 29 octobre par l'Associated Press. Entre 2004 et 2006, ce chiffre s'élevait en moyenne à 345 par an (41% des pertes). L'an dernier pourtant, les responsables du renseignement des Marines considéraient la province d'Anbar comme perdue. Les terroristes sunnites étaient si bien implantés dans la région que l'Etat islamique d'Irak, une organisation liée à Al-Qaïda, avait revendiqué Ramadi comme sa capitale. Un tournant important a été pris avec la création l'an dernier du Conseil de l'éveil de l'Anbar par le cheikh Abdul Sattar Abou Risha, une personnalité charismatique qui a uni des dizaines de tribus sunnites contre Al-Qaïda. Excédé par la violence et désireux de se venger d'Al-Qaïda, qui a tué dix membres de sa famille, Abou Risha a persuadé de nombreux habitants de rejoindre la force de police. Al-Qaïda a répliqué en tuant Abou Risha dans un attentat le mois dernier mais sa mort n'a pas affaibli le processus de normalisation en cours.
Tandis que les chiffres américains confirment les progrès dans la lutte contre Al Qaïda dans le Nord, une instabilité croissante s'installe dans le Sud, où les affrontements entre factions chiites rivales se multiplient. Toutefois, l'imam chiite radical Moqtada al-Sadr et Abdul-Aziz al-Hakim, chef du Conseil suprême islamique en Irak (CSII, ex-CSRII, le principal parti chiite irakien), sont parvenus le 6 octobre à un accord destiné à mettre fin à la rivalité qui les opposait et provoquait depuis des mois des affrontements armés dans Bagdad ainsi que dans le sud de l'Irak riche en pétrole. L'accord prévoit notamment la création de comités locaux destinés à maintenir l'ordre. Les rivalités inter-chiites n'ont fait que croître ces derniers mois, notamment dans le sud chiite, les factions se disputant le contrôle d'une région dont les forces britanniques se retirent peu à peu. Toujours dans le sud, la province de Kerbala, une région sous contrôle des forces américaines, a été transférée par la Force multinationale aux autorités irakiennes. C’est la huitième province irakienne sur les 18 que compte l'Irak à être transférée depuis le début du processus de restauration de la souveraineté irakienne en 2006.
Á Washington, démocrates et républicains ont parlé d'une seule voix sur l'Irak, en adoptant le 2 octobre à la Chambre des représentants un texte demandant au Pentagone de fournir des plans de retrait des troupes d'Irak. La proposition de loi a recueilli l'adhésion de presque autant de républicains que de démocrates et a été adoptée par 377 voix pour et 46 contre. Elle pourrait obliger le Pentagone à soumettre régulièrement aux Commissions de défense du Congrès des rapports sur l'organisation du retrait des troupes. La Chambre des représentants a adopté plusieurs textes cette année visant à obtenir un retrait d'Irak mais le Sénat, où la majorité des démocrates est plus réduite, est divisé sur la question.
Un père de famille alévi, une tendance minoritaire et libérale de l'Islam, a, le 9 octobre, obtenu devant la Cour européenne des droits de l'homme la condamnation de la Turquie en raison de l'impossibilité pour sa fille de recevoir à l'école un enseignement religieux conforme à ses convictions. Le requérant, Hasan Zengin, dénonçait l'obligation pour sa fille Eylem, scolarisée dans une école publique d'Istanbul, de suivre des cours d'éducation religieuse et de connaissance morale centrés sur la foi et les pratiques de l'Islam sunnite. Les alévis, qui sont environ 15 millions en Turquie constituent une branche de l'Islam chiite influencée par des croyances préislamiques et par la mystique soufie.
Les juges de Strasbourg estiment, dans un arrêt rendu à l'unanimité, que les autorités d'Ankara doivent mettre en conformité le système éducatif turc avec la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit un « droit à l'instruction » respectueux des « convictions religieuses et philosophiques » des parents. Dans son arrêt, la juridiction du Conseil de l'Europe estime que les cours de culture religieuse en Turquie ne répondent pas « aux critères d'objectivité et de pluralisme devant caractériser l'éducation dispensée dans une société démocratique et visant à ce que les élèves développent un esprit critique à l'égard de la religion ».
Les autorités irakiennes ont, le 4 octobre, repoussé l'exécution d’Ali Hassan al-Majid, condamné à mort pour les massacres de milliers de Kurdes alors qu'un nouveau témoignage était venu l'accabler dans un procès pour la répression sanglante d'une rébellion chiite qui a fait près de 100.000 morts en mars 1991, époque où il occupait la fonction de ministre de l'Intérieur.
Ali Hassan al-Majid, dit « Ali le Chimique », avait été condamné à mort en juin dernier avec deux autres accusés pour son rôle dans les massacres de 180.000 Kurdes dans les années 1980. Son appel avait été rejeté le 4 septembre et, selon la loi irakienne, il devait être pendu sous 30 jours. Le gouvernement ne souhaite pas appliquer la sentence pendant le mois de jeûne du ramadan musulman (qui a pris fin le 13 octobre). Cousin et bras droit de l'ex-président Saddam Hussein exécuté par pendaison fin 2006, Ali Hassan al-Majid était une personnalité clé du régime saddamiste. Originaire, comme l'ancien dictateur, de la région sunnite de Tikrit au nord de Bagdad, Ali Hassan al-Majid a pris part à toutes les grandes campagnes de répression menées par le régime irakien. Selon l'organisation américaine de défense des droits de l'homme Human Rights Watch, il est responsable de la disparition de plus de 180.000 non-combattants dans les régions kurdes. Son surnom lui vient de l'usage d'armes chimiques pendant la répression.