Accord entre Ankara et Tripoli pour l’envoi de forces turques en Libye

mis à jour le Samedi 21 decembre 2019 à 18h01

lemonde.fr | Par Marie Jégo Publié | le 21 décembre 2019

La Turquie soutient le gouvernement de Faïez Sarraj contre le maréchal Haftar.

 

La Turquie va s’impliquer davantage dans le conflit en Libye, après avoir signé un accord de coopération sécuritaire et militaire avec le gouvernement d’union nationale (GNA) reconnu par l’ONU. Conclu le 27 novembre entre le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et Faïez Sarraj, le chef du gouvernement de Tripoli, l’accord, après avoir été approuvé par le GNA, doit être ratifié par le Parlement turc, samedi 21 décembre.

Ce document ouvre la voie à une intervention turque en Libye. Il prévoit l’envoi d’une force de réaction rapide dès lors que le gouvernement libyen le demande, ce que le GNA a fait dès jeudi. Le président Erdogan avait assuré le 10 décembre que son pays était prêt à envoyer « du personnel en Libye » à la demande de Tripoli.

Ankara a pris fait et cause pour le gouvernement libyen reconnu par la communauté internationale dans le conflit qui l’oppose aux forces du maréchal Khalifa Haftar, le chef de guerre installé dans l’est du pays, lequel est soutenu par l’Egypte, les Emirats arabes unis et la Russie.

Ankara fournit déjà à Tripoli des drones, des armes et des canons, au mépris de l’embargo sur les armes imposé par l’ONU

D’ores et déjà, Ankara fournit au GNA des drones, des armes et des canons au mépris de l’embargo sur les armes imposé par les Nations unies depuis 2011. La Turquie, ainsi que la Jordanie et les Emirats arabes unis, « ont fourni régulièrement des armes sans chercher à en dissimuler la provenance », dit un rapport de l’ONU publié le 9 décembre.

Obsédé par la projection de puissance militaire, affaibli politiquement dans son pays, le président Erdogan veut aller plus loin en envoyant des troupes au sol. L’accord signé avec le GNA envisage ainsi « la formation, le conseil, le transfert d’expérience, la planification et l’appui matériel de la Turquie pour la mise en place d’une force de réaction rapide avec des responsabilités policières et militaires en Libye », évoquant des échanges de « personnels invités, conseillers et unités ».

Ce soutien militaire turc pourrait s’avérer décisif dans la bataille qui oppose le GNA aux forces du maréchal Haftar, lancées, sans grand succès pour le moment, à la reconquête de la capitale libyenne.

Sujet brûlant avec la Russie

Les autorités turques démentent vouloir envoyer l’armée régulière, plutôt des mercenaires. Apparemment, M. Erdogan s’inspire de son « ami », le président russe, Vladimir Poutine, qui a autorisé le groupe russe de sécurité privée Wagner à s’impliquer aux côtés du maréchal Haftar, lui fournissant des mercenaires expérimentés, des tireurs d’élite, des experts militaires.

« Ils envoient bien le groupe Wagner, nous pourrions aussi envoyer notre propre personnel », a-t-il déclaré le 10 décembre. Une comparaison réitérée par lui vendredi. « Bien que la Russie ne soit pas visible, il y a une entreprise qu’elle a créée. Ils agissent en Libye comme des mercenaires de Haftar par le biais d’une société appelée Wagner. »

Visiblement, la Libye est devenue un sujet brûlant entre MM. Erdogan et Poutine, qui se sont entretenus à plusieurs reprises par téléphone. Car l’accord de coopération militaire signé entre Ankara et Tripoli n’a pas l’heur de plaire à Moscou.

Sergueï Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères, a souligné récemment que « le Parlement libyen légitimement reconnu à Tobrouk y était opposé ». Il est allé plus loin en dénonçant la présence de mercenaires syriens en Libye. « Il est alarmant que les terroristes de Jabhat al Nosra [groupe djihadiste dominant à Idlib] aient été vus en grand nombre en Libye », a-t-il déclaré le 11 décembre.

Soucieux d’éviter une confrontation avec la Russie, M. Erdogan va envoyer prochainement une délégation à Moscou. Les deux partenaires stratégiques affûtent leurs arguments en vue de la conférence internationale sur la Libye qui aura lieu à Berlin en janvier 2020. « Sur la question de Haftar, je ne veux pas voir surgir une nouvelle Syrie dans les relations avec la Russie, je crois que la Russie reverra sa position actuelle sur Haftar (…), un hors-la-loi », a déclaré M. Erdogan à TRT, la chaîne publique, le 9 décembre.