Mercredi 20 novembre 2024 à 05h02
Hassan Chami, 20 nov 2024 (AFP) — Chassé par les jihadistes du groupe Etat islamique (EI), Moaz Fadhil est finalement rentré dans son village, encouragé par le gouvernement irakien qui veut fermer les camps de déplacés. Sa maison détruite, il vit avec ses huit enfants chez un ami.
Dans son village de Hassan Chami, rien n'est prêt pour ceux qui souhaiteraient revenir. Même si dans le nord de l'Irak, Bagdad accélère la cadence pour fermer la vingtaine de camps de tentes au Kurdistan autonome où, selon l'ONU, vivent plus de 115.000 personnes.
Il y a une décennie, M. Fadhil, chômeur de 53 ans, fuyait son village et la guerre entre les forces kurdes et l'EI. Son retour, en août, a été "une joie indescriptible".
"Même si on manque toujours de tout", reconnaît-il: "L'eau arrive par camions-citernes et il n'y a pas d'électricité".
Dans son hameau, des maisons de briques à moitié effondrées s'alignent près de bâtisses en béton en construction. Certains habitants ont installé des panneaux solaires.
Les enfants vont à l'école la plus proche, rattachée à des camps de déplacés, à plus d'un kilomètre du village.
Détonante de blancheur, une petite mosquée neuve se dresse au bord d'une route goudronnée, la seule du village.
"Je suis né ici, et avant moi, mon père et ma mère", raconte M. Fadhil, ancien travailleur agricole. "J'ai de beaux souvenirs avec mes enfants, mes parents".
- Ostracisme -
Dans la maison qu'il occupe, les décombres ont été nettoyés mais les murs de parpaings et les sols en béton rêches sont à nu. Aux fenêtres, des carreaux sont brisés.
La famille survit essentiellement grâce au modeste salaire du fils aîné, journalier sur des chantiers. "Tous les quatre ou cinq jours, il travaille une journée" pour environ 8 dollars, confie M. Fadhil.
L'Irak, ravagé par des décennies de conflits, compte plus d'un million de déplacés. Mais depuis sa "victoire" sur l'EI en 2017, le pays a retrouvé un semblant de normalité.
Pour fermer les camps et accompagner les retours, les autorités offrent aux familles une prime d'environ 3.000 dollars.
Pour rentrer, les déplacés doivent aussi obtenir le feu vert des services sécuritaires, qui s'assurent qu'ils ne sont pas recherchés pour des crimes jihadistes, et avoir leurs papiers d'identité ou des droits de propriété en règle.
Mais sur les 11.000 déplacés résidant encore dans six camps près de Hassan Chami, 600 sont d'anciens prisonniers, d'après une note onusienne consultée par l'AFP: recrutés par l'EI, ils s'étaient rendus aux forces kurdes, et ont été relâchés après avoir purgé jusqu'à cinq années de prison au Kurdistan.
Pour eux, le retour peut être une gageure: risque d'ostracisme de la part des voisins qui n'ont pas oublié les exactions jihadistes, potentielle arrestation à un barrage des forces fédérales, voire nouveau jugement.
Déjà emprisonné pour "terrorisme", Rachid (un pseudonyme) refuse de parler de sa vie passée. Le trentenaire espère que le camp, qui a "changé sa psychologie", ne fermera pas.
"J'ai un certificat de libération (de prison), tout est en règle au Kurdistan. Mais je ne peux pas retourner là-bas", dit-il, en référence aux territoires de l'Irak fédéral: "Si j'y retourne c'est 20 ans" de prison.
- Aller-retour -
En cas d'accusations, "personne ne peut empêcher la justice de faire son travail", indique à l'AFP le porte-parole du ministère des Migrations, Ali Abbas.
Il dément toute punition collective. "L'individu est seul responsable de ses actes. On ne peut pas généraliser à toute la famille".
Par ailleurs, le gouvernement oeuvre pour que "les familles qui rentrent aient accès aux services de base", dit-il.
Concernant Hassan Chami, il évoque des "problèmes administratifs et techniques": le territoire étant sous contrôle du Kurdistan, "il faut des autorisations pour y envoyer nos ingénieurs".
Ces derniers mois, Bagdad a plusieurs fois tenté d'imposer au Kurdistan des dates butoirs pour fermer les camps, allant jusqu'à attaquer en justice les dirigeants de la région autonome. Avant d'accepter finalement la coopération, plutôt que la coercition.
Imrul Islam, du Conseil Norvégien pour les réfugiés, reconnaît que les camps sont par définition "temporaires". Mais il met en garde contre leur fermeture précipitée, sans "un accès aux services de base".
"Il faut des écoles, des hôpitaux, des routes, mais aussi des marchés (économiques) offrant des opportunités (d'emploi) garantissant des moyens de subsistance", résume-t-il.
Sans cela, dit-il, certaines familles quittant les camps "y retournent une nouvelle fois".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.