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Le Kurdistan autonome d'Irak élit son Parlement dans un climat de désillusion


Dimanche 20 octobre 2024 à 06h51

Erbil (Irak), 20 oct 2024 (AFP) — Dans un climat teinté de désillusion, les électeurs du Kurdistan autonome dans le nord de l'Irak votent dimanche pour élire leurs députés au Parlement régional, lors d'un scrutin législatif encore une fois dominé par les deux principaux clans politiques rivaux.

Dès 07H00 (04H00 GMT) les bureaux de vote au Kurdistan ont ouvert leurs portes, selon l'agence de presse irakienne INA. Dans un bureau de vote à Souleimaniyeh, deuxième grande ville de la région, une vingtaine de personnes, dont certaines âgées, faisaient déjà la queue, a constaté un correspondant de l'AFP.

Les quelque 1.200 bureaux de vote fermeront à 18H00 (15H00 GMT). Sur les six millions d'habitants de la région autonome, 2,9 millions d'électeurs dans quatre circonscriptions sont appelés aux urnes pour élire 100 députés, dont trente femmes, en vertu d'un quota.

Si les deux partis historiques kurdes ont enchaîné les meetings électoraux et mobilisent leurs réseaux partisans, des experts pointent du doigt un certain désenchantement de l'opinion publique, dans un contexte économique morose.

Ces législatives auraient dû se tenir il y a deux ans. Elles ont été reportées à quatre reprises du fait des divergences entre les deux formations hégémoniques depuis des décennies: le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), du clan Barzani, et l'Union patriotique du Kurdistan (UPK), du clan Talabani.

A Souleimaniyeh, deuxième ville kurde dirigée au niveau local par l'UPK, le fonctionnaire Dilman Sharif a fait le choix d'un vote-sanction en faveur de l'opposition aux deux principaux partis.

"Je suis contre ce gouvernement", martèle l'homme de 47 ans. "J'appelle tout le monde à se mobiliser pour voter contre ce régime".

Son principal grief: une quinzaine de salaires mensuels impayés ces dernières années, et dont il réclame le versement de la part des autorités locales.

Le problème revient régulièrement sur le devant de la scène, illustrant aussi le bras-de-fer entre le Kurdistan et le pouvoir fédéral de Bagdad, chaque camp accusant l'autre d'être responsable des retards dans le versement des salaires.

- "Lassitude" -

Autonome depuis 1991, le Kurdistan s'affiche comme une oasis de stabilité propice aux investissements étrangers en Irak. Mais militants et opposition y dénoncent, entre autres maux, corruption, climat d'affairisme, clientélisme des clans au pouvoir, mais aussi répression de toute voix dissidente.

Le politologue Shivan Fazil pointait récemment "une lassitude grandissante vis-à-vis des deux partis" se disputant le pouvoir.

"Cette dernière décennie les conditions de vie se sont détériorées", expliquait-il à l'AFP. Lui aussi citait le versement erratique des salaires des 1,2 million de fonctionnaires, "source essentielle de revenus pour les ménages".

Pour la première fois, le scrutin se déroulera dans quatre circonscriptions nouvellement créées, qui viennent remplacer l'unique circonscription qui recouvrait autrefois l'ensemble de la région, afin de permettre une meilleure représentation locale.

La création de ces quatre circonscriptions "pourrait conduire à une redistribution des voix et des sièges au sein du prochain Parlement", pronostique Shivan Fazil. Mais le PDK "pourrait encore préserver sa majorité, grâce à sa discipline et cohésion internes".

Avec 45 sièges, le PDK s'était assuré la majorité dans le Parlement sortant grâce à des alliances avec des députés élus via un quota réservé aux minorités chrétiennes et turcomane.

Aujourd'hui, des partis d'opposition comme "Nouvelle génération" ou encore une formation naissante de Lahour Cheikh Zengi, dissident du clan Talabani, pourraient bénéficier d'un vote-sanction.

- "Revigorer la démocratie" -

Une fois élus, les députés voteront pour désigner les successeurs des actuels président et Premier ministre de la région autonome, Nechirvan et Masrour Barzani, figures du PDK.

Comprenant autrefois 111 députés, le Parlement kurde a vu son nombre de sièges réduit à 100, par une décision de justice. Cinq sièges sont réservés aux minorités.

Le représentant spécial de l'ONU en Irak, Mohamed Al Hassan, a salué jeudi un scrutin qui vient "revigorer la démocratie et injecter de nouvelles idées dans les institutions" pour "répondre aux préoccupations de la population".

Mais Sazan Saduala, institutrice de 55 ans, a opté pour le boycott.

"Ce pouvoir ne peut être changé par le vote", assène-t-elle. "Il se maintient par la force des armes et de l'argent, et tout changement via le Parlement est difficile", ajoute-t-elle. "La répartition des sièges pourrait être modifiée (...) mais l'essence du pouvoir restera la même".

Vendredi, un "vote spécial" réservé aux forces de sécurité a mobilisé plus de 208.000 électeurs, soit une participation de 97%, alors qu'aux dernières législatives régionales de 2018, elle s'élevait à 59%.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.