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Le Kurdistan autonome d'Irak élit son Parlement dans un climat de désillusion


Dimanche 20 octobre 2024 à 08h33

Erbil (Irak), 20 oct 2024 (AFP) — Dans un climat teinté de désillusion, les électeurs du Kurdistan autonome dans le nord de l'Irak votent dimanche pour élire leurs députés au Parlement régional, un scrutin législatif encore une fois dominé par les deux principaux clans politiques rivaux.

Dès 07H00 (04H00 GMT) les bureaux de vote ont ouvert leurs portes. Dans un bureau à Souleimaniyeh, deuxième ville de la région autonome, une vingtaine de personnes, dont certaines âgées, faisaient déjà la queue, a constaté un correspondant de l'AFP.

Les quelque 1.200 bureaux de vote fermeront à 18H00 (15H00 GMT). Sur les six millions d'habitants du Kurdistan, 2,9 millions d'électeurs sont appelés aux urnes pour élire 100 députés, dont trente femmes, en vertu d'un quota.

Si les deux partis historiques kurdes ont enchaîné les meetings électoraux et mobilisent leurs réseaux partisans, des experts pointent du doigt un certain désenchantement de l'opinion publique, dans un contexte économique morose.

Houri Mohamed, 66 ans, a voté pour le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), la formation aux manettes à Erbil, capitale régionale, et qui "sert le peuple", confie cette femme au foyer.

Elle espère toutefois que le prochain gouvernement "prêtera attention aux classes pauvres: la majorité de notre population a des moyens limités" mais ce sont ces citoyens qui "soutiennent toujours" les autorités.

Autonome depuis 1991, le Kurdistan s'affiche comme une oasis de stabilité propice aux investissements étrangers en Irak. Mais militants et opposition y dénoncent, entre autres maux, corruption, climat d'affairisme, clientélisme des clans au pouvoir, mais aussi répression de toute voix dissidente.

Les législatives auraient dû se tenir il y a deux ans. Elles ont été reportées à quatre reprises du fait des divergences entre les deux formations hégémoniques depuis des décennies: le PDK du clan Barzani, et l'Union patriotique du Kurdistan (UPK), du clan Talabani.

- "Chômage et salaires impayés" -

Malgré ses 80 printemps, Qader Souleimane vote à Souleimaniyeh pour voir "le changement se produire". "Ces élections doivent mettre fin aux souffrances que sont le chômage et les salaires impayés" des fonctionnaires, plaide-t-il. "Les gens ont le droit à une vie confortable".

Le politologue Shivan Fazil pointait récemment "une lassitude grandissante vis-à-vis des deux partis" se disputant le pouvoir.

"Cette dernière décennie les conditions de vie se sont détériorées", expliquait-il à l'AFP. Lui aussi citait le versement erratique des salaires des 1,2 million de fonctionnaires, "source essentielle de revenus pour les ménages".

Ce problème revient régulièrement sur le devant de la scène, illustrant aussi le bras-de-fer entre le Kurdistan et le pouvoir fédéral de Bagdad, chaque camp accusant l'autre d'être responsable des retards dans le versement.

Cette année quatre circonscriptions ont été créées pour remplacer l'unique circonscription qui recouvrait autrefois toute la région et affiner la représentation locale.

La création de ces quatre circonscriptions "pourrait conduire à une redistribution des voix et des sièges au sein du prochain Parlement", pronostique Shivan Fazil. Mais le PDK "pourrait encore préserver sa majorité, grâce à sa discipline et cohésion internes".

Avec 45 sièges, le PDK jouissait d'une majorité relative dans le Parlement sortant grâce à des alliances avec des députés élus via un quota réservé aux minorités chrétiennes et turcomane.

Aujourd'hui, des partis d'opposition comme "Nouvelle génération" ou encore une formation naissante de Lahour Cheikh Zengi, dissident du clan Talabani, pourraient bénéficier d'un vote-sanction.

- "Gouvernement d'union" -

Une fois élus, les députés voteront pour désigner les successeurs des président et Premier ministre de la région autonome, Nechirvan et Masrour Barzani, cousins et figures du PDK.

Comme à Bagdad, la politique au Kurdistan oscille entre décisions majeures prises par consensus entre les principaux décideurs (PDK et UPK) et les rivalités et dissensions sources d'impasses et de blocages.

"Après les élections nous nous assiérons ensemble pour former un gouvernement, au service du Kurdistan", a déclaré dimanche le président Nechirvan Barzani, espérant "former un gouvernement d'union le plus rapidement possible", selon l'agence de presse étatique INA.

Comprenant naguère 111 députés, le Parlement kurde a vu son nombre de sièges réduit à 100, par une décision de justice. Cinq sièges sont réservés aux minorités.

Le représentant spécial de l'ONU en Irak, Mohamed Al Hassan, saluait jeudi un scrutin qui vient "revigorer la démocratie".

Aux dernières législatives régionales de 2018, la participation s'élevait à 59%. Aujourd'hui, Sazan Saduala, institutrice de 55 ans, a opté pour le boycott.

"Ce pouvoir ne peut être changé par le vote", assène-t-elle. "Il se maintient par la force des armes et de l'argent, et tout changement via le Parlement est difficile", ajoute-t-elle. "La répartition des sièges pourrait être modifiée (...) mais l'essence du pouvoir restera la même".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.