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Procès Saddam: quand la fin du ramadan est devenue le "Jugement dernier"


Lundi 30 octobre 2006 à 14h52

BAGDAD, 30 oct 2006 (AFP) — Dans les villages kurdes, au printemps 1988, la fête qui aurait dû marquer la fin du ramadan est restée dans les mémoires comme "le jour du Jugement dernier". Ce jour-là l'aviation irakienne avait semé la mort en plein préparatifs des festivités.

C'est ce cauchemar qu'est venu raconter lundi devant le haut tribunal pénal irakien, un imam, Jamal Souleiman Kadir, 50 ans, lors de la 19è audience du procès de Saddam Hussein jugé pour génocide contre les kurdes.

Le 18 mai 1988, l'imam se trouvait à proximité de son village. "Quatre avions sont arrivés et j'ai pu voir les colonnes de fumée monter au-dessus du village bombardé avec des armes chimiques. En rentrant, j'ai croisé un tracteur chargé d'une quinzaine de blessés, puis j'ai vu vingt corps près de la fontaine et le bétail en train de mourir. J'entendais les enfants crier après leur père et les femmes après leur mari. C'était comme le jour du Jugement dernier", s'est-il souvenu.

Il a décrit les corps entassés dont ceux d'enfants serrant encore dans leurs mains les sucreries de l'Eid, la fête qui marque la fin du mois musulman du ramadan. Il a dit avoir alors remarqué que les survivants avaient les yeux larmoyants et rougis, et qu'ils suffoquaient.

Quelques semaines plus tard, en août, l'aviation est revenue, a de nouveau bombardé avec des armes chimiques. Puis sont venus l'artillerie et des soldats qui "ont tout détruit y compris les mosquées et se sont livrés au pillage", a affirmé Jamal Kadir.

S'adressant à Saddam Hussein qui tient habituellement un coran à la main dans le tribunal, il lui a demandé: "y-t-il une différence entre le coran que vous portez et celui que vous avez brûlé au Kurdistan?" "Je remercie Dieu, parce que le jour est venu où, vêtu de mon habit traditionnel kurde, je peux, dans ma langue kurde, porter plainte contre Saddam Hussein", a-t-il lancé>.

A 84 ans, Aicha Hamad Amine ne se souvient plus exactement en quelle année son village kurde a été bombardé. Mais, dit-elle devant le tribunal, "c'était au printemps, le dernier jour de ramadan, et j'étais dans les champs du village quand cela est arrivé".

"Mon fils me criait de m'éloigner. Soudain il est tombé, puis il est mort. De la salive s'écoulait de ses lèvres. J'ai senti que ma tête tournait et je suis aussi tombée, avant de perdre conscience".

Elle a raconté que les villageois l'avaient crue morte et que lorsqu'elle avait repris connaissance, elle avait vomi et ne pouvait pas même boire du lait. "Mon mari est mort trois ans plus tard de maux d'estomac. J'ai encore des troubles de la vision", a-t-elle dit.

Fakhir Ali Hussein était un enfant, mais il se souvient du jour où avec son père, sa mère, un frère et ses trois soeurs, il a vu le bombardement des villages de la région de Banisan, près de Souleimanyeh. "Il y avait une odeur de pomme pourrie, et les habitants avaient du mal à respirer. Ils commençaient à vomir et leurs yeux pleuraient", a-t-il dit.

Saddam Hussein et ses six co-accusés sont jugés pour avoir ordonné et mis en oeuvre les campagnes militaires d'Anfal, en 1987-1988 dans le Kurdistan irakien. Les attaques, les bombardements, les exécutions sommaires, et les camps de la mort ont fait 180.000 morts, selon l'accusation.

Tous les accusés risquent la peine de mort.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.