Intro
Les événements de Qamichli, en mars 2004, ont marqué de façon visible l’irruption d’une contestation kurde en Syrie et pourraient annoncer l’apparition d’un nouveau facteur communautaire dans l’échiquier politique interne, le facteur kurde, qui jusque là avait occupé une place marginale. Pourtant, pendant les années 80, la mobilisation politique des Kurdes de Syrie au nom de leur identité ethnique n’avait pas manqué de radicalité, comme l’atteste l’engagement de 18 000 kurdes syriens dans les rangs du PKK, mais elle ne s’était pas associée à une contestation interne au régime. Au contraire, en soutenant les grands partis kurdes transnationaux d’Irak et surtout de Turquie, le régime syrien avait réussi à étouffer les revendications particulières de la communauté kurde de Syrie tout en utilisant son engagement transfrontalier comme un atout dans sa politique régionale marquée par la conflictualité avec ses pays voisins. La « politique kurde » de l’Etat a donc empêché la la mise en avant d’un acteur kurde autonome en Syrie.
L’émergence de la contestation kurde en Syrie ne peut donc se comprendre sans le changement de la donne régionale à partir des années 2000. La chute du régime baathiste, et la position de force acquise par les Kurdes d’Irak ont joué sans doute un rôle déclencheur, en redonnant espoir aux Kurdes et en leur révélant leur potentialité stratégique. La rupture entre le régime et le PKK est un autre facteur qui a conduit les Kurdes à réévaluer leur positionnement. En se défaisant de sa carte kurde à la faveur de sa réconciliation avec la Turquie, Hafez el Assad s’est privé d’un dispositif efficace de contrôle de la communauté et d’un moyen de canaliser les aspirations nationalistes des Kurdes de Syrie hors du territoire syrien. Ainsi, la prise de conscience de l’échec d’un investissement transnational incarné par le PKK, d’une part, le regain de confiance suscité par la nouvelle position stratégique des Kurdes d’Irak et la fragilisation du régime syrien après l’invasion américaine en Irak d’autre part, sont autant d’éléments qui ont favorisé la rupture du statu quo entre le régime et la communauté kurde de Syrie. Nous allons donc essayer de montrer les éléments nouveaux affectant la scène kurde qui se détachent de ce contexte à partir des années 2000.
Le long des années 80 et 90, la scène politique kurde syrienne a été marquée à la fois par une forte polarisation et un fort éclatement. Pendant, cette période en effet, le mouvement kurde syrien, nébuleuse de partis en proie aux scissions chroniques, coupé de la base populaire, s’est contenté de gérer l’étroite marge de manœuvre laissée à l’expression identitaire kurde, extrêmement dépendants, soit des mouvements kurdistaniens d’Irak, dont on pouvait les considérer comme des sortes de club de soutien, soit du régime à l’ombre duquel ils végétaient. Concurrencés par le PKK qui bénéficiait au contraire d’un soutien populaire massif, les partis kurdes se sont montrés incapables d’imposer leur vision de l’identité kurde syrienne. Mais l’expulsion d’Ocalan en 98, le repli de son programme politique sur l’espace turc, a donné plus de crédit et de légitimité à l’option particulariste défendue par les partis kurdes locaux. Le recul du PKK comme parti transnational et hégémonique a donc été un changement important sur la scène kurde syrienne. Les deux nouveaux partis qui l’ont remplacé (PYD et Wefak) à partir des années 2000, tout en conservant leur liens avec les dirigeants kurdes de Turquie ont « syrianisé » leur objectifs et se sont alignés sur les revendications des autres partis kurdes avec lesquels ils collaborent de plus en plus. Si l’entrée en scène de ces deux nouveaux partis a encore ajouté à la complexité de la scène politique kurde, elle a aussi réduit sa polarisation.
Par ailleurs, dès 92, de nouvelles dynamiques avaient vu le jour dans le champ politique kurde. Autour du mot d’ordre : « la question kurde se règle à Damas », le regroupement de plusieurs groupes partisans dans la formation « Yekiti » avait pour ambition de rénover les modalités d’action du mouvement kurde et donner plus d’écho à ses revendications. Mais il faudra attendre les années 2000 pour que ces nouvelles idées trouvent une application sur le terrain. En effet, entre 2002 et 2004 Yekiti organise une série de manifestations à Damas. Le choix des lieux (le parlement ou le bâtiment de l’Onu) et des dates (journée de l’enfance ou des droits de l’homme) témoignent d’une volonté d’interpeller aussi bien le pouvoir que les organisations des droits de l’homme et l’opinion internationale. Malgré leur ampleur limitée, réduite à une centaine de militants, ces rassemblements, inédits sur la scène syrienne, ont eu un impact non négligeable, ne serait ce que parce qu’ils ont entraîné une nouvelle forme de collaboration kurdo arabe. En effet, en 2003, certaines branches de l’opposition arabe en particulier les associations des droits de l’homme se sont jointes aux manifestations kurdes, puis elle se sont à leur tour appropriées de cette nouvelle modalité de contestation en organisant de nouveaux rassemblements (le jour de l’anniversaire du coup d’Etat du Baath) où cette fois, elles ont été rejointes par les partis kurdes.
Ainsi, si en 2000, le mouvement kurde a peu participé au printemps de Damas, en revanche on peut affirmer sans hésiter qu’il a été à l’origine, à partir de 2002 de la redynamisation de l’opposition nationale, à travers l’initiative des rassemblements. C’est ce regain d’activité qui, tout autant que la conjoncture régionale après l’assassinat de Hariri et le retrait syrien du Liban, a débouché sur les tentatives de réorganisations de l’opposition marquée par la naissance de nouveaux fronts dont nous reparlerons de parler, à partir de 2005. Le rapprochement de l’opposition kurde à l’opposition arabe doit donc moins se voir comme l’adjonction d’une nouvelle force à un champ déjà constitué que comme une recomposition générale du champ de l’opposition où les Kurdes ont joué un rôle moteur.
Mais l’évènement qui a donné le plus de visibilité à la cause kurde et a véritablement marqué le passage dans l’opposition du mouvement kurde, ce sont, bien sûr, les événements de Qamichli. Etalés sur la semaine du 12 au 25 mars 2004, ils débutent au stade de Qamichli dans la région kurde de Djézirée, par une altercation entre les supporters de l’équipe arabe de Deir Ez Zor et ceux de l’équipe locale. La riposte du pouvoir faisant 3 victimes, la protestation, qui commence à Qamichli, lors de l’enterrement des victimes s’étend rapidement aux autres zones de peuplement kurdes comme Afrin et Kurbane. Elle touche aussi les grandes villes syriennes comme Alep et Damas où les Kurdes forment un noyau important. La vague de contestation se solde par une trentaine de morts et débouche sur une vague de répression sans précédant contre la communauté (2000 arrestations, assassinat de prisonniers, de nombreux étudiants et fonctionnaires radiés…). En même temps, elle force le pouvoir à briser le silence officiel concernant les Kurdes de Syrie. En effet, la déclaration de Bachar sur la chaîne el Djéziré, un mois après les événements, est apparue comme une avancée non négligeable. Prenant le contre-pied des thèses formulées par les médias officiels, il affirme que les événements de Qamichli constituent un problème interne à la Syrie et non pas un complot fomenté de l’extérieur. Contredisant l’idée du caractère non autochtone des Kurdes syriens, sur laquelle était fondée la mesure du « recensement exceptionnel », il affirme également que les Kurdes font partie intégrante du tissu national syrien et de son histoire. Enfin, il admet le problème des Kurdes privés de nationalité et appelle au règlement de cette question. Cependant, cette déclaration n’a été suivi d’aucune retombée concrète et reste un effet d’annonce. Loin de tirer les conséquences du discours du président, le pouvoir a continué à traiter le problème kurde sous un angle exclusivement sécuritaire. Les différentes rencontres organisées depuis lors, entre les représentants du mouvement kurde et certains membres du gouvernement n’impliquent en aucun cas une velléité de négocier sérieusement et ont été dénoncées comme une tactique pour diviser le mouvement kurde. Elles ne peuvent même pas s’interpréter comme un signe de détente. En effet, la dernière de ces rencontres en juillet 2006 a coïncidé avec une l’intensifications des arrestations. Mais à moins de faire des concessions importantes, le succès de cette politique de la carotte et du bâton est loin d’être garanti face à des représentants politiques de plus en plus conscients du poids démographique de la communauté, de son degré de politisation et de sa nouvelle position stratégique, que les événements ont contribué à souligner. En effet, par leur dimension populaire, leur extension géographique dessinant la carte de la présence kurde en Syrie, l’intensité de la mobilisation comme le montre la destruction des statues de Hafez el Assad, les événements ont eu un fort impact subjectif sur la communauté, lui dévoilant sa force et son unité. Pour de nombreux acteurs et commentateurs, elle constitue même l’acte fondateur de la question kurde de Syrie dans le sens où elle a révélé sa nature politique, sa portée nationale et ses implications territoriales, dont le règlement ne saurait se limiter à la suppression des mesures discriminatoires adoptées par le « Baath ».
Au delà de sa portée symbolique, l’« Intifada » de Qamichli va aussi devenir un nouveau cadre de mobilisation qui s’inscrit dans les répertoires d’action à plusieurs échelles de la temporalité politique. En effet, la répression immédiate entraînée par les manifestations intensifie le mouvement de mobilisation le long de l’année 2004 (grèves de la faim des prisonniers, protestations devant les tribunaux) et permet d’amplifier la publicité autour de la cause kurde de Syrie (organisation de colloques en Europe). La mémoire de l’événement, intégré dans le discours politique, va également radicaliser et politiser les mobilisations identitaires déjà existantes et traditionnellement autorisées par le régime. Ainsi, les fêtes de Newroz de 2OO5, et 2006, vont se solder par des affrontements violents avec la police. Mais surtout, il se transforme, au même titre que la célébration nationaliste de Newroz, en nouvelle référence identitaire, mais cette fois proprement kurde syrienne, prétexte à de nouvelles formes de rassemblements publics. Sa commémoration en 2005, puis 2006, prend des formes diverses : visites sur les tombes des martyrs, veillées aux flambeaux, ou bien rassemblements à Damas, qui élargissent un peu plus l’espace d’expression politique kurde. Par ailleurs, il a favorisé l’implication de nouveaux acteurs, en particulier une nouvelle génération, qui ne s’identifiait pas aux partis classiques : les comités étudiants nés pendant les événements ont maintenu leur structure et sont de plus en plus actifs dans les facultés, une nouvelle association se réclamant de son héritage a vu le jour, « les jeunes kurdes » dont le nom est significatif. C’est également au nom des martyrs de Qamichli que le Cheikh Machouk Kaznawi, issu d’une famille confrérique nakachbendi traditionnellement alliée au pouvoir, va faire son entrée dans le champ nationaliste kurde. En effet, sa présence à Newroz 2005 (exceptionnelle pour un religieux) puis à la commémoration de la révolte où il critique ouvertement le régime, est apparue comme une des causes de son assassinat dont on soupçonne fortement les autorités. L’immense manifestation qui aura lieu à Qamichli pour son enterrement en juin 2005 est donc une conséquence directe du mouvement de révolte de mars 2004 à laquelle elle ressemble (par son ampleur et sa dimension de deuil politique). Cette nouvelle manifestation moins connue que les événements de Qamichli, confirme la sortie du silence de la communauté kurde et marque l’intensification de sa mobilisation qui devient de plus en plus régulière. Par ailleurs, l’anniversaire de la mort du Cheikh Machouk tout comme celui des martyrs de Qamichli, à son tour fera l’objet de nouvelles mobilisations mi-commémoratives mi-protestataires. La politisation des cérémonies de deuil fait de plus en plus partie d’une nouvelle culture de contestation. Les Kurdes de Syrie, il vrai, étaient habitués aux cérémonies de deuil (le PKK avait introduit la pratique du culte des martyrs comme élément de ralliement). Mais l’élément nouveau, c’est que cette fois elles se cristallisent autour de figures spécifiquement kurdes syriennes, ces nouvelles icônes remplaçant les images d’Ocalan ou de Barzani, et qu’elles prennent une dimension protestataire adressée contre le pouvoir en place.
Malgré ces changements, les événements de Qamichli n’ont pas débouché sur l’unification du mouvement kurde, qui s’est avéré incapable de relayer le mécontentement populaire S’ils ont enrichie la scène nationaliste en politisant de nouveaux segments, ils ont pour l’instant aussi accentué son éparpillement. Mais l’éclatement du champ politique kurde, toujours aussi frappant, n’est pas incompatible avec un fort degré de consensus politique autour de la défense de l’identité kurde syrienne.
Les événements de Qamichli ont également profondément modifié la perception de l’opposition par rapport à la question kurde, qui n’a jamais été très éloignée de celle du pouvoir. Dans un premier temps, la lecture de la révolte kurde par les différents partis arabes n’a pas été tout à fait positive. Le geste de la destruction des statues, par exemple, a été interprété comme le signe d’un manque d’allégeance nationale des Kurdes. L’affrontement avec le pouvoir a été envisagé moins dans sa dimension de protestation politique que sous l’angle de la « fitna » et de la guerre communautaire, la crainte de l’apparition d’un danger kurde étant amplifiée par le miroir de la situation irakienne. Mais la réaction « disproportionnée » du pouvoir a aussi suscité des manifestations de solidarité et des critiques. Les organisations des droits de l’homme se sont associées aux revendications des partis kurdes réclamant une commission d’enquête pour établir les responsabilités du massacre. L’écrivain Mohamed Ghanem de Rakka s’est fait emprisonner à la suite de ses déclarations sur la télévision de Djéziré où il a défendu sans ambiguité les Kurdes… De façon générale, les événements ont également poussé l’opposition à rompre son silence sur une question qu’elle avait longtemps ignorée. Les événements ont montré l’urgence d’intégrer la question kurde à la question démocratique justement au nom de l’unité nationale avant que la communauté choisisse des voies « séparatistes et isolationnistes ». De plus, l’ampleur des manifestations de Qamichli, leur caractère spontané et populaire, a montré les bénéfices que l’opposition pouvait tirer à s’appuyer sur des segments minoritaires pour redynamiser son action, à condition toutefois de les canaliser et les attirer dans le giron national. En effet, contrastant avec sa propre faiblesse, son éloignement des bases populaires, ils ont montré la capacité de mobilisation de la communauté kurde. Si l’affirmation ethnique des Kurdes suscite une certaine méfiance comme source de déstabilisation en même temps le passage dans l’opposition d’une communauté jusqu’à lors plutôt neutre par rapport au pouvoir apparaît comme un facteur positif susceptible de changer le rapport de force dans la lutte avec le pouvoir.
Cette nouvelle perception de l’équation des forces dans l’échiquier politique s’est traduite en Octobre 2005, par l’insertion d’une frange du mouvement politique kurde dans la nouvelle coalition formée par les partis de la gauche nationaliste, connue sous le nom de « La déclaration de Damas ». Ainsi, pour la première fois, la question kurde est apparue de façon explicite et comme un point spécifique dans le programme politique d’un mouvement d’opposition nationale. La composante kurde, représentée par Salah Beder Din va également s’intégrer dans un autre front de l’opposition, le « front de la salvation et du salut » crée en 2006 à Bruxelles et réunissant cette fois Bayanouni (chef des Frères Musulmans) et Abd el Halim Khadam. Le règlement de la question kurde fait également partie du programme de cette nouvelle coalition islamo-baathiste, consacrant l’entrée du mouvement kurde dans l’opposition au régime, comme une force incontournable.
On assiste donc à la nationalisation de la question kurde, c'est-à-dire son insertion dans la question démocratique. En effet, la question kurde est indissociable du problème de la démocratisation du pays puisqu’elle met en jeu les dimensions essentielles de l’égalité des citoyens, à travers la révision du statut des Kurdes « apatrides », et du respect de la pluralité, à travers la reconnaissance de la spécificité culturelle. C’est par ce biais que le règlement du problème kurde a déjà acquis une légitimité chez de nombreux secteurs de l’opposition arabe, depuis la gauche nationaliste jusqu’aux islamistes, et même chez certains éléments du régime. Cette nouvelle approche de la question kurde comme enjeu démocratique est bien résumé par cette phrase de Burhan Galioun « Le problème des Kurdes privés de nationalité est aussi une question arabe et constitue une partie du problème démocratique commun. Elle ne peut se réduire à un problème kurde puisqu’elle est le résultat de l’absence générale de démocratie dans le pays ».
L’imbrication de la question kurde dans l’enjeu national s’est également accompagnée d’une « radicalisation » du discours nationaliste kurde syrien. Le refus de signer la déclaration de Damas par une partie du mouvement kurde se fait le signe de cet infléchissement des contenus. En effet, malgré la reconnaissance des droits culturels et des droits à la citoyenneté, les partis Yekiti et Azadi, soutenus par la plupart des intellectuels, ont jugé cette formulation de la question kurde limitée et partielle, voire négatrice de sa véritable essence nationale. En effet, si les propositions contenues dans la déclaration de Damas coincident plus ou moins avec les demandes traditionnellement mises en avant par les partis kurdes, elles sont aussi de plus en plus en décalage avec les nouvelles revendications qui fleurissent depuis quelques années même dans le programme des groupes les plus modérés, comme la reconnaissance des Kurdes dans la constitution en tant que deuxième ethnie du pays, ou le fédéralisme, le droit à l’autodétermination, la décentralisation régionale, l’autogestion. Ainsi, d’un programme insistant surtout sur le statut juridique et individuel des Kurdes et leur intégration à la nation syrienne (à travers la restitution de la nationalité ou les droits culturels) on passe à un projet véritablement nationaliste impliquant des notions de souverainetés et de partage des ressources. Cette évolution se reflète aussi dans la généralisation de nouvelles formules définissant la nature de la présence kurde en Syrie, et ceci, malgré la prudence des partis toujours soucieux de ne pas franchir les lignes rouges. Ainsi, ce que l’on appelait traditionnellement « régions kurdes de Syrie » devient « partie du Kurdistan rattachée à la Syrie » ou tout simplement « Kurdistan syrien »ou « Kurdistan ouest ». De même, on refuse le terme de minorité kurde qui est remplacé par celui de « peuple kurde vivant sur sa terre historique ».La révolte de Qamichli, est venue donner une réalité et une légitimité concrète à cette idée de peuple kurde syrien toute comme à ces nouvelles projections territoriales, en renforçant l’unité symbolique de l’espace kurde syrien.
Ces nouvelles implications territoriales et politiques de la question kurde sont beaucoup plus difficiles à admettre pour les acteurs de l’opposition puisqu’elles engagent la définition même de la nation syrienne. Contrairement à certains opposants arabes, nous sommes loin de penser qu’elles révèlent des tentations sécessionnistes ou séparatistes même si elles reflètent de façon évidente l’influence du modèle kurde d’Irak. Au contraire, elles marquent plutôt la volonté des Kurdes de Syrie de peser sur les destinées nationales et se réapproprier d’une « syrianité » dont ils ont toujours été maintenus à l’écart, à la fois par le discours et la politique officielle (cherchant à les définir comme non autochtones) que par leur repli politique dans des mouvements transfrontaliers.
En revanche, il vrai qu’elles remettent en cause les présupposés du pacte national syrien où arabité et « syrianité » sont des notions indissociablement liées. Selon les acteurs nationalistes kurdes, l’abandon de l’arabisme comme principal ressort de la citoyenneté permettrait de réévaluer la nature de la présence des Kurdes en Syrie et compenser leur marginalisation et relégation historique. Ce serait une façon de recentrer l’identité syrienne sur le territoire national, redéfini cette fois comme un espace multiethnique. La recherche d’une solution à la question kurde participe donc intimement à la recherche d’une nouvelle « syrianité » comme véritable « patrie » qui puisse inclure tous ces citoyens.
Conclusion
Le passage dans l’opposition du mouvement kurde syrien est donc un fait nouveau dont on ne peut encore mesurer les conséquences sur la scène politique nationale. La portée de ce changement dépendra en partie de la capacité du mouvement à se structurer en véritable acteur politique. Il marque en tous les cas la nationalisation de la question kurde syrienne et son autonomisation des questions kurdes turques et irakiennes même si celles-ci restent intimement liées. Il favorise aussi l’émergence d’un nouveau discours nationaliste qui vise à réévaluer la place et le poids des Kurdes dans la nation syrienne et qui fait émerger le territoire kurde de Syrie comme un nouvel espace politique.
(*) Historian
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