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Liste
NO: 117 |
26/11/1998 LE GOUVERNEMENT DE MESUT YILMAZ EST RENVERSÉ POUR COLLUSION AVEC LA MAFIALe gouvernement de Mesut Yilmaz a été renversé, mercredi 25 novembre 1998, à l'occasion de trois motions de censure au Parlement. Arrivé au pouvoir il y a près de 17 mois, ce gouvernement a succédé à la coalition dirigée par le parti islamiste mais destituée par la toute puissante armée turque en juin 97. M. Yilmaz a été récemment impliqué dans une affaire de corruption et a été accusé de collusion avec la mafia lors de la privatisation de la banque Turkbank pour $600 millions de dollars. La censure a recueilli une large approbation, par 314 voix contre 214 sur les 550 élus que compte le Parlement turc. L'instabilité gouvernementale prend une tournure inquiétante puisque depuis 1995, c'est le quatrième gouvernement qui chute en Turquie. Il est vrai qu'aucun parti au Parlement ne recueille suffisamment de sièges et les divergences sont souvent mises de côté pour former un gouvernement de coalition. Reste que la première formation politique en Turquie est toujours le parti islamiste, Parti de la Vertu, qui est récusé par l'armée. Sous 45 jours une nouvelle coalition devrait être constituée. En cas d'échec le président Suleyman Demirel, devra alors désigner un gouvernement intérimaire et organiser des élections. Le 23 novembre 1998, le parti ANAP de Mesut Yilmaz et le parti de la Juste Voie (DYP) de Tansu Çiller avaient d'ores et déjà annoncé une certaine trêve entre les deux formations politiques. Lors du vote des commissions ad hoc du parlement- investies du pouvoir de traduire ces deux leaders devant la Haute Cour de Justice afin de rechercher l'origine de leur patrimoine- les membres d'ANAP et du DYP se sont entendus pour éviter un procès, l'un soutenant l'autre dans chacune des commissions. L'UNION EUROPÉENNE ET L'INTERNATIONALE SOCIALISTE SOLIDAIRES DU GOUVERNEMENT ITALIENUne campagne de boycottage des produits italiens a commencé en Turquie suite à la non extradition d'Abdullah Ocalan et la décision, vendredi 20 novembre 1998, de la Cour d'Appel de Rome ordonnant son assignation à résidence. La très puissante Union des chambres de commerce et d'industrie a fait un appel en ce sens et on assiste à l'annulation de contrats ou au refus de crédits aux entreprises italiennes. La firme turque Ucem Insaat (BTP) a annulé ses contrats d'achat de matériel électroménager d'un montant de 8 millions de dollars avec ses partenaires italiens. Le partenaire turc de Benetton a "assombri ses vitrines". Le secteur d'État participe également à cette campagne, bien que le gouvernement n'ait officiellement annoncé aucune mesure de rétorsion. Ziraat Bankasi, la plus importante banque d'État, a stoppé l'octroi de crédits pour financer l'achat d'appareils agricoles de fabrication italienne et a écarté la société italienne Olivetti d'un appel d'offres pour l'achat de photocopieuses pour près de 500 000 dollars. De plus, la municipalité d'Izmir, a écarté Pirelli d'un appel d'offres pour la rénovation des pneus de bus de transport public, d'un montant de près de 200 000. Même les agences de voyage ont annulé leurs circuits en Italie. Les autorités turques usent de tous les moyens pour faire fléchir l'Italie. Le Premier ministre turc, Mesut Yilmaz a déclaré, samedi 21 novembre, que "la Turquie ne laissera pas cela sans réponse". Ismet Sezgin, le ministre turc de la Défense, a déclaré qu'"il est clair que nous allons revoir nos relations économiques et commerciales et que l'Italie sera exclue des marchés turcs de défense". Dans le même temps le gouvernement et les médias turcs développent un climat d'hystérie nationaliste turque. En Turquie, des foules chauffées à blanc par les télévisions et noyautée par l'extrême droite s'en sont pris aux bâtiments officiels italiens, brûlé des drapeaux de ce pays. La chaîne Euronews a diffusé des images des foules excitées applaudissant au spectacle des chiens dressés déchiquetant un mannequin habillé de couleurs italiens avec ce commentaire: "voici le genre de sports dont les Turcs sembles friands". Les foules nationalistes ont également mis à sac les locaux du parti-prokurde dans plusieurs villes turques où on a assisté à de véritables scènes de pogrome anti-kurde. En Europe, à l'appel des consulats turcs, des immigrés turcs proches de la Fédération turque des Loups Gris ont manifesté dans plusieurs villes allemandes. À Bruxelles, les manifestants turcs d'extrême droite ont, mardi 17 novembre, mis le feu à des bâtiments abritant les associations kurdes; le siège de l'Institut kurde a été incendié. Dans ce climat d'hystérie anti-italienne, et anti-kurde, le 21 novembre, les 14 partenaires de l'Italie au sein de l'Union européenne ont solennellement apporté leur soutien à Rome dans cette affaire. Le président de la Commission européenne Jacques Santer a assuré, mardi 24 novembre, à Massimo D'Alema que la Turquie encourt des mesures de rétorsion de la part des 15 si elle décide un boycottage officiel des produits italiens. Il est vrai que l'Italie est l'un des principaux partenaires commerciaux de la Turquie. Les exportations italiennes vers la Turquie ont représenté 3,14 milliards de dollars pour les neuf premiers mois de 1998 et en 1997 ont atteint 4,5 milliards de dollars. De son côté, le président français Jacques Chirac, à l'issue d'un entretien d'une heure avec le Premier ministre italien a déclaré le 24 novembre: "la France, comme l'ensemble de l'Union européenne, est totalement solidaire de la position italienne que nous comprenons et que nous soutenons". Avant cette rencontre M. D'Allema avait tenu à recevoir Mme Mitterrand, présidente de notre comité. Par ailleurs, l'Internationale socialiste, à l'issue de sa réunion de Genève en présence du Premier ministre italien, a publié un communiqué daté du 24 novembre 1998, assurant de "tout son soutien" le gouvernement italien et considérant comme "inacceptable" la position des autorités turques contre la procédure constitutionnelle et démocratique engagée par l'Italie dans l'affaire Ocalan ainsi que les appels turcs à boycotter les produits italiens et les invitations à l'organisation des manifestation anti-italiennes. Toute agression visant l'Italie sera considérée comme une agression contre l'Union européenne souligne ce communiqué qui ajoute également que "toutes les personnes impliquées dans la terreur doivent répondre de leurs actes devant la justice". ARRESTATION DE 3064 MEMBRES DU HADEPLa Cour de Sûreté de l'État d'Ankara a condamné, mardi 17 novembre 1998, les membres du Conseil d'administration du parti de la Démocratie (DEP-dissous) pour "atteinte à l'intégrité territoriale de la République turque" à 1 an de prison et 100 millions de livres turques d'amende. La Cour reprochait aux anciens membres du DEP, dont Ibrahim Aksoy et Murat Bozlak, un tract intitulé "la paix immédiatement" distribué en janvier 94. Par ailleurs, le parti pro-kurde HADEP a déclaré, lundi 23 novembre 1998, que des milliers de ses membres et sympathisants avaient été arrêtés au cours de vastes raides policières suite à l'arrestation de Abdullah Ocalan. "Au total, 3 064 de nos membres ont été arrêtés au cours des raids dans tous nos centres régionaux ces 10 derniers jours" a déclaré Zeynettin Onay, un des responsables du parti HADEP. Quelques 6000 soldats et protecteurs du village, appuyés par des hélicoptères ont commencé, ce lundi 23, une nouvelle opération anti-PKK dans la province de Sirnak alors qu'à la Cour de Sûreté de l'État d'Ankara, 11 membres de HADEP étaient placés en garde à vue. L'éminent professeur turc de droit constitutionnel, Bakir Çaglar souligne à ce titre qu'il y a une "atmosphère de lynchage" actuellement en Turquie. Il souligne également que l'extradition de A. Ocalan pourrait créer une guerre civile et se demande, comme quelques autres observateurs, si les autorités turques espèrent vraiment l'extradition du chef de PKK. MASSIMO D'ALLEMA S'ADRESSE AU PUBLIC TURCLe président du Conseil italien, Massimo D'Alema, a répondu, samedi 21 novembre, aux questions du quotidien turc Sabah pour expliquer la politique italienne dans l'affaire Ocalan. Extraits: "Avant tout je voudrais préciser cela. Abdullah Ocalan vivait jusqu'ici en toute liberté dans divers pays. La Turquie n'a pas critiqué sa liberté dans ces pays () Dans ces pays il vivait caché mais libre et pourtant dès qu'il est arrivé en Italie il a été arrêté. En fait le premier pays au monde où Abdullah Ocalan a été placé en détention est l'Italie. Il y avait un mandat d'arrêt international à l'encontre d'Ocalan. Il m'est impossible de justifier les drapeaux italiens brûlés en Turquie puisque l'Italie est le seul pays qui a arrêté Ocalan. Au lieu de brûler les drapeaux des pays qui ont accueilli Ocalan, ils brûlent les nôtres. C'est triste et douloureux. Nous ne lui avons pas donné l'asile politique. Nous avons une commission chargée de cela et la requête d'Ocalan est soumise à cette commission en même temps qu'aux instances judiciaires italiennes () Nous n'avons pas encore reçu les documents nécessaires à la constitution d'un dossier d'extradition () En fait nous accueillons des centaines de personnes originaires des pays où habitent les Kurdes. Les réfugiés kurdes arrivent par des moyens illégaux en bateaux ou embarcations. Ils sont envoyés des ports turcs. Et c'est nous qui souffrons de la situation. Ocalan est arrivé dans ce pays de la Russie. Comme lui, il y a des milliers de Kurdes qui nous arrivent. Et il faut comprendre que ce n'est pas l'Italie qui est responsable de cela. Nous voulons résoudre le problème d'Ocalan selon la stricte application de nos lois. Celles-ci ne permettent pas l'extradition d'une personne vers un pays où la peine de mort est en application. Non plus vers un pays où les droits de l'homme ne sont pas réellement garantis". M. D'Allema donne à ce titre l'exemple d'une personne accusée d'avoir tué un policier américain qui n'a pas été extradé aux États-Unis, malgré une demande en ce sens de Washington. Le président du Conseil italien poursuit en soulignant que "selon les rapports de la Commission européenne et d' Amnesty International le PKK s'est livré à des activités terroristes. Que la Turquie soit assurée que nous sommes profondément contre le terrorisme. Tant qu'Ocalan sera dans notre pays, il restera sous le contrôle de nos services de sécurité et il est impossible qu'il puisse s'y livrer à une activité terroriste. Vous savez qu'avant de demander l'asile politique, Ocalan a déclaré avoir renoncé à la violence et à la terreur. Il appartient à la commission chargée de l'affaire de considérer ces déclarations. Pour nous, l'abandon du terrorisme est une condition préliminaire à sa demande d'asile ()" "La question kurde est vaste. Cela ne concerne pas que la Turquie () Notre principe est de soutenir en priorité une solution pacifique sans violence et terreur. Nous croyons non pas à l'indépendance mais à la nécessité de reconnaissance de certains droits culturels et traditionnels. Par exemple, Tony Blair a trouvé une solution dans la négociation au problème irlandais. IRA était une organisation terroriste et l'Angleterre a quand même choisi une solution pacifique. De même on ne peut pas nier que l'ETA est une organisation terroriste () La question basque est aussi une question nationale. Ne serait-il pas plus sensé pour la Turquie de chercher aussi une solution pacifique?" "En vérité nous avons en Italie aussi une minorité de langue allemande. Cependant nous n'avons aucun problème car tous nos gouvernements ont autorisé leur langue et la pratique de leur culture. La situation est différente chez vous. La voix des Kurdes est étouffée, il leur est interdit de parler leur langue et pratiquer leur culture chez vous, le désespoir atteint de tels points que l'autre jour une personne s'est immolée en pleine rue. Il ne faut pas oublier que parmi les Kurdes réfugiés à Rome on retrouve des personnes qui ont perdu leur père ou leur fils Si une personne arrive jusqu'au point de s'immoler, il faut comprendre qu'il a un drame en lui." "Notre but est de servir de pont entre la Turquie et l'Europe ()Les réactions turques contre l'Italie n'éloignent pas la Turquie que de notre pays mais également de l'Europe ()Nous souhaitons la paix dans toute la Méditerranée. Si une solution n'est pas trouvée à la question kurde, l'Italie devra affronter inlassablement l'arrivée illégale des réfugiés. " HUMAN RIGHTS WATCH DEMANDE À CE QUE ABDULLAH OCALAN SOIT JUGÉ MAIS NON EXTRADÉ EN TURQUIEL'organisation des droits de l'homme américaine, Human Rights Watch, a adressé, samedi 21 novembre 1998, une lettre ouverte au président du Conseil italien, Massimo D'Alema à propos de l'arrestation du chef du parti des Travailleurs du Kurdistan, Abdullah Ocalan. L'organisation a déclaré qu'"Ocalan ne devrait pas obtenir l'asile politique régi par la convention de 1951 relatif aux statuts des réfugiés, et qu'il devrait rendre des comptes pour les atrocités commises sous sa direction dans le conflit en Turquie". HRW reconnaît en même temps que "la décision de refus d'extradition en Turquie est appropriée". Cependant ajoute qu'une autre étape devrait être franchie, "poursuivre Ocalan en Italie, ou bien l'extrader vers un pays, autre que la Turquie ()" pour assurer "un procès juste et libre conformément aux lois internationales". L'organisation souligne également qu'"aucune promesse d'abandon du terrorisme ne peut excuser [les] abus" commis, mais approuve la décision italienne de non extradition "au vue des pratiques répandues de la torture" et de "l'existence de la peine de mort". L'organisation américaine chiffre à "au moins 768 les exécutions extrajudiciaires" perpétrées par le PKK entre 1992 et 1995. La presse turque a, pour une fois, accordée une très large place au communiqué du HRW tandis que les milieux kurdes reprochent à l'organisation de ne pas avoir fait preuve de la même combativité lors des visites des premiers ministres ou des généraux turcs pour demander leur jugement pour crimes contre l'humanité pour avoir ordonné la destruction de 3428 villages et la mort de plusieurs milliers de civils kurdes. ISMAIL BESIKCI: PLUS DE 100 ANS DE PRISON ET ENCORE 105 CHEFS D'ACCUSATION POUR DÉLIT D'OPINIONVoilà 5 ans qu'Ismail Besikçi, écrivain et sociologue turc, est emprisonné à la prison de Bursa. Le 13 novembre 1993, c'était la huitième fois que Besikçi entrait en prison et cela fait 16 ans passés derrière les barreaux, pour ses écrits et opinions. Condamné d'ores et déjà à plus de 100 ans de prison, nul ne sait quand il pourra sortir. Chaque jour une nouvelle condamnation relative aux 105 chefs d'accusations portés à son encontre peut être prononcée. UN GRAND PATRON TURC DEMANDE UNE SOLUTION PACIFIQUE AU PROBLÈME KURDE ET PLAIDE POUR UNE SOCIAL-DÉMOCRATIE MODERNE EN TURQUIEDans une interview accordée, le 20 novembre 1998, au quotidien turc Hurriyet, le très influent homme d'affaires Ishak Alaton, représentant de l'aile moderniste du patronat turc, déplore l'image ternie de la Turquie à la suite de nombreux scandales politico-mafieux. Selon M. Alaton, ce climat de désordre politique n'est que le résultat de l'absence d'une gauche solide en Turquie. Extraits: "Nous subissons les conséquences d'être une nation repliée sur elle-même. Je crois que la transparence est nécessaire. En Turquie les responsabilités ne sont pas réparties normalement. N'importe quelle institution s'immisce dans la mission de n'importe quelle autre. Les rouages qui ne fonctionnent pas ou mal sont occupés par des mécanismes illégaux de type mafieux ( )Je ne suis pas tranquille lorsque je pars à l'étranger. Surtout lors des contrôles de passeport. Les activités mafieuses discréditent profondément la Turquie. Nous avons souffert dans le passé des rapports incriminant le rôle de la Turquie dans le trafic de drogue, souffert des activités de blanchiment d'argent () La Turquie a besoin d'un nettoyage, y compris dans le monde des affaires". "Le rempart face aux activités mafieuses pouvait être les partis social-démocrates. Cependant je ne vois pas pour le moment une telle évolution. Il faut attendre l'établissement d'une gauche moderne () À mon avis, la conception pouvant empêcher la formation mafieuse est la conception social-démocrate () Là où il n'y a pas de gauche solide, il y a un terrain propice à la corruption. L'ordre établi devient insolent, sans avenir () Aujourd'hui en Turquie on parle de deux partis sociaux-démocrates [NDLR: le DSP de B. Ecevit et le CHP de D. Baykal]. À mon avis il n'y a pas de parti social-démocrate moderne en Turquie () Et puis, ils ne développent pas les initiatives au service de la paix. La conception nationaliste des partis turcs dits social-démocrates ne montre guère de différence avec les autres partis de droite. En Turquie, les partis politiques n'arrivent pas à mettre en uvre un programme de paix civile () Je parle quant à moi d'une Turquie où les interdictions seraient abolies. Il y a d'ailleurs une réaction contre les interdits. La colère se manifeste. Par exemple lors de l'affaire du voile islamique. Laissez les gens porter le voile s'ils le désirent. Lorsqu'il y a pression, les partisans naissent toujours. Certains utilisent cela comme élément politique. Autre exemple, la question dite du Sud-Est [ NDLR: le Kurdistan]. Les partis se doivent d'avoir une approche pacifique. Cela ne tient pas qu'aux partis politiques mais également à toutes personnes représentant une autorité. Il faut briser les tabous, créer une Turquie qui parle". |