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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 131

28/4/1999

  1. LE PRÉSIDENT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE TURQUE CRITIQUE LA CONSTITUTION TURQUE ET DEMANDE SA REFONTE
  2. LE HADEP DÉNONCE "UNE FRAUDE GROSSIÈRE" DANS L'ÉLECTION MUNICIPALE DE MERSIN
  3. ÉLECTIONS SUITE: "SI VOUS VOTEZ POUR LE HADEP, VOTRE VILLAGE SERA DÉTRUIT"
  4. MESUT YILMAZ: "PERÇU COMME LE PARTI DE L'ÉTAT, MON PARTI A ÉTÉ SANCTIONNÉ PAR SON ÉLECTORAT CONSERVATEUR"
  5. NOMBREUX CRIMINELS ELUS DÉPUTÉS


LE PRÉSIDENT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE TURQUE CRITIQUE LA CONSTITUTION TURQUE ET DEMANDE SA REFONTE


Au cours de la cérémonie commémorant la création de la Cour Constitutionnelle turque, instituée il y a 37 ans, Ahmet Necdet Sezer, président en exercice de cette cour, a, le 26 avril 1999, ouvertement critiqué la constitution turque pour les sévères restrictions qu'elle impose aux libertés fondamentales. "Là où il n'y a pas de libertés il ne peut avoir de démocratie La liberté d'opinion est la plus évidente mesure pour apprécier la qualité démocratique du pays" a déclaré M. Sezer. Insistant sur la nécessité de se conformer aux normes universelles des droits de l'homme, il préconise une refonte des dispositions constitutionnelles restreignant la liberté d'opinion. M. Sezer pointe également le doigt sur les "limitations de la langue" [NDLR: euphémisme légal pour parler de l'interdiction de la langue kurde] en Turquie en soutenant que celles ci compromettent sérieusement l'expression de la liberté de pensée. "Aucune langue prohibée ne peut être utilisée pour exprimer ou diffuser la pensée" dispose l'article 26 alinéa 3 de la Constitution turque. Or cet article n'est nullement conforme à la Convention européenne des droits de l'homme dont la Turquie est pourtant signataire. Les critiques de M. Sezer ne font pas allusion qu'à la Constitution turque mais également aux nombreuses lois limitant les libertés fondamentales en Turquie telles que les lois sur les associations et les syndicats, la loi sur l'enseignement supérieur, la loi relative aux partis politiques, les lois sur les conventions collectives, la grève et le lock-out, la loi portant sur les Cours de Sûreté de l'Etat, loi sur les manifestations, sur la presse, la loi anti-terreur turque et nombreuses autres etc.

Les observateurs notent qu'à quelques jours de la première session du Parlement turc tout nouvellement élu et dont la forte coloration nationaliste a surpris plus d'un, M. Sezer voulait tout simplement souffler quelques orientations essentielles aux nouveaux députés. L'intervention très remarquée du président de la Cour constitutionnelle a été saluée par tous les partis politiques. Le seul bémol parmi les nombreux soutiens que les responsables politiques turcs sont accoutumés à apporter verbalement lorsqu'on évoque de soutenir les réformes dans le domaine des droits fondamentaux, vient du procureur de la Cour de Cassation, Vural Savas, qui s'est senti personnellement visé par ces propos et des responsables militaires des cours de Sûreté de l'Etat.

L'intervention de M. Sezer suscite bien des questions. Pourquoi ce juge, nommé par les auteurs du coup d'Etat de 1980 et qui s'est jusqu'ici fort bien accommodé de la constitution turque imposée en 1982 par les militaires, parle-t-il de la nécessité de réforme maintenant? Parle-t-il en son nom ou au nom de certains secteurs de l'armée? S'agit-il d'un ballon d'essai ou d'une tentative d'accréditer auprès des Occidentaux que le régime turc pourrait se démocratiser sans ingérences extérieures? En tout cas, cette sortie largement reprise par les médias officiels intervient au lendemain du sommet de l'OTAN qui a affirmé la priorité donnée désormais aux droits de l'homme dans l'espace euro-atlantique.

LE HADEP DÉNONCE "UNE FRAUDE GROSSIÈRE" DANS L'ÉLECTION MUNICIPALE DE MERSIN


Mersin est une importante ville portuaire de la côté méditerranéenne qui a vu sa démographie bouleversée au cours de la dernière décennie. À la suite de l'afflux des Kurdes contraints à l'exode par la guerre, Mersin (Içel) est progressivement devenue une ville à forte population, probablement à majorité kurde. Des Kurdes attachés à leur identité auprès de qui le discours revendicatif du HADEP a trouvé un large écho.

Au point où dans les élections du 18 avril, la liste du HADEP avait toutes les chances de conquérir la mairie. Le dépouillement du scrutin donnait d'ailleurs au HADEP, une nette avance. Dans la nuit du 19 au 20 avril, vers 3h00 du matin avec 41 000 voix, le HADEP était en tête et le DSP de M. Ecevit avait environ 38 000 voix. Sur intervention du ministre turc de la culture, Istemihan Talay, de DSP, présent à Mersin, le dépouillement est suspendu pour une durée de sept heures. Le lendemain, la suite du dépouillement donne le DSP vainqueur et relègue le HADEP en quatrième position!

Pour le HADEP, il ne fait aucun doute que durant la suspension de sept heures les autorités turques ont remplacé les urnes restant à dépouiller par des urnes bourrées de voix DSP. Il y a fraude, et même fraude grossière, clament les dirigeants de ce parti qui ont introduit un recours en annulation devant le Haut conseil des élections. Sans illusion toutefois, car on voit mal l'État turc laisser la mairie d'une ville portuaire stratégique aux mains d'une équipe kurde.

ÉLECTIONS SUITE: "SI VOUS VOTEZ POUR LE HADEP, VOTRE VILLAGE SERA DÉTRUIT"


Cette menace-là beaucoup d'habitants des villages kurdes non encore rayés de la carte l'ont entendu de la part des officiers des forces spéciales turques venant les avertir avant les élections. Et sachant qu'on ne plaisante pas avec les militaires turcs, pour assurer la survie de leur village et leur propre survie physique, les uns ont voté en faveur des candidats soutenus par l'armée sous des étiquettes politiques variées (ANAP, MHP, voire DYP), d'autres plus téméraires, en mettant un bulletin blanc dans l'urne ou en boycottant le scrutin.

Un exemple parmi tant de témoignages sur ces drôles d'élections: le village de Sincik, du district d'Ergani, dans la province de Diyarbakir compte environ 400 électeurs inscrits. Deux urnes y sont installées sous l'étroite surveillance militaire. Les habitants se présentent pour voter mais le sergent-chef les avertit d'emblée: chacun doit voter publiquement et montrer le bulletin qu'il met dans l'urne. "Je ne veux pas de voix pour les traîtres du HADEP, sinon votre village sera détruit" tonne-t-il. Face à cette terrible menace, les paysans refusent de voter. Le dépouillement du scrutin donne 4 voix, celles des officiers chargés de ce bureau de vote!

Ce contexte particulier explique sans doute en grande partie le décalage entre le vote urbain et le vote rural au Kurdistan. Ainsi, la liste du HADEP a obtenu 64% suffrages dans la ville de Diyarbakir tandis qu'elle n'obtenait que 39,9% dans l'ensemble du département de Diyarbakir où les fortes pressions de l'armée ont favorisé les listes des partis turcs. Au final ce sont d'ailleurs ces partis qui se sont vu adjuger tous les sièges de députés.

Autre scène singulière: dans la ville de Lice, située à 70 km au nord-est de Diyarbakir, qui avait été en grande partie détruite par l'armée turque en 1993, et qui depuis étant devenue "une ville interdite aux non habitants", le candidat du HADEP à la mairie, Zeynel Bagir, a été triomphalement élu maire alors que même pendant la campagne électorale, il n'avait pas été autorisé à mettre le pied dans cette ville, qui est sa ville natale. Lice est aussi la ville natale de M. Hikmet Çetin, président sortant de l'Assemblée Nationale turque qui, quoique d'origine kurde, n'a jamais été élu député dans une circonscription kurde car pour la plupart, les Kurdes le considèrent comme un Kurde de service, ou un Kurde alibi du pouvoir turc.

Autre pied de nez à l'establishment nationaliste turc: Dans la ville de Sirnak, à la frontière irakienne, aux trois-quarts détruite par l'armée turque en 1992 qui pensait tenir la population restante, supposée fidèle, les électeurs ont massivement voté pour le HADEP tout en sachant que ce parti n'avait pas été autorisé à présenter des candidats pour la municipalité. La mairie a donc été attribuée à la liste d'ANAP soutenue par l'armée. Ainsi va la démocratie à la turque!

MESUT YILMAZ: "PERÇU COMME LE PARTI DE L'ÉTAT, MON PARTI A ÉTÉ SANCTIONNÉ PAR SON ÉLECTORAT CONSERVATEUR"


L'un des grands perdants des élections législatives turques du 18 avril. Le président d'ANAP, dans une interview au quotidien Milliyet du 28 avril, impute la défaite de son parti à la défection de son électorat conservateur. "Nous payons la facture des décisions dictées le 28 février 1997 par le Conseil national de Sécurité", ajoute-t-il [NDLR: le CNS, dominé par l'armée avait stigmatisé la menace islamiste, demandé la fermeture des collèges religieux et mis en uvre une stratégie qui a abouti à la démission forcée du Premier ministre islamiste N. Erbakan, à son remplacement par Mesut Yilmaz et à l'interdiction du Parti Refah]. "Le 28 février a provoqué le regroupement en deux camps des partis politiques. D'un côté le camp DSP-ANAP-CHP, de l'autre celui de Fazilet-DYP-MHP. À l'intérieur de chaque camp les voix se sont déplacées de certains partis vers d'autres. Les nôtres pour des raisons conjoncturelles ou d'image, sont allées vers le DSP de M. Ecevit" affirme M. Yilmaz. Arrivé au pouvoir par la volonté de l'armée il avait dû mettre en exécution les principales mesures anti-islamistes édictées par les militaires. "De ce fait nous avons été perçu par notre électorat conservateur comme le parti de l'État, le parti de l'armée et nous avons été sanctionnés" explique l'ex Premier ministre turc qui reconnaît aussi que ses "arrangements" (avec le parti de Tansu Çiller) afin d'éviter la comparution de l'un et l'autre devant la Haute Cour de Justice pour corruption et liens avec la mafia, lui ont aliéné une partie de l'opinion.

Enfin M. Yilmaz se prononce en faveur d'une coalition de DSP de M. Ecevit avec le parti de l'Action nationaliste (MHP) tout en se disant "conscient" du risque de voir cette formation d'extrême droite noyauter l'État.

Contrairement à Deniz Baykal qui tirant les conclusions de la déroute de son parti (CHP) a démissionné de son poste, M. Yilmaz n'envisage pas de renoncer à la présidence d'ANAP et tout comme Mme Çiller, qui s'accroche également à son poste, il pense que la défaite de son parti n'est qu'un accident de parcours conjoncturel.

NOMBREUX CRIMINELS ELUS DÉPUTÉS


Le succès du Parti de l'Action Nationaliste aux élections générales a pemis à plusieurs personnes accusées de meurtres, de trafic de drogue, de crimes politiques ou de droit commun de devenir députés et bénéficier ainsi de l'immunité parlementaire

Parmi les députés accusés dans de meurtres figurent Mehmet Gül et Ahmet Çakar, réciproquement élus MHP dans la 3ème et 1ère circonscription d'Istanbul, tout deux inculpés pour le meurtre de 7 étudiants de gauche à Beyazit le 16 mars 1978. Elu dans la première circonscription d'Istanbul, Mustafa Verkaya du MHP, est inculpé de trafic d'arme. Mais aussi Celal Adan, élu, lui, sur la liste du DYP, membre de la section d'Istanbul des Loups Gris, est impliqué dans un assassinat politique commis le 16 mars 78, il avait reconnu avoir donné l'adresse de Kemal Turkler, président du syndicat DISK, à Unal Osmanagoglu, un des assassins présumés du syndicaliste. L'affaire est désormais couverte par la prescription.

Par ailleurs la réélection de l'ancien chef de police Mehmet Agar, élu à Elazig, permet de lui procurer une nouvelle immunité parlementaire, offrant ainsi une impunité totale pour les nombreux crimes qui lui sont attribués: fourniture de documents de port d'armes, de fausses pièces d'identité et de passeports diplomatiques au trafiquant de drogue Yasar Oz et au mafieux Abdullah Çatli, un des pratagonistes de l'affaire de Susurluk, libération des policiers impliqués dans le meurtre du roi des casinos, Omer Lutfu Topal et surtout organisation de centaines de meurtres "mystérieux" d'opposants kurdes, supposés ou réels.

Les autres députés fraichement élus au Parlement et impliqués dans les affaires criminelles sont: Armagan Yilmaz, député MHP d'Usak, mis en cause dans des attaques fomentées par les Loups Gris avant le coup d'état de 1980. Ahmet Kenan Tanrikulu, député MHP d'Izmir, s'était évadé de la prison de Bostadel en Suisse en 1990 en compagnie d'Abdullah Çatli. Ismail Hakki Cerrahoglu, député MHP de Zonguldak, impliqué dans le meurtre d'un journaliste du quotidien Demokrat, il avait fui à l'étranger à l'époque des faits. Ali Uzunirmak, député MHP d'Aydin, mis en examen pour le meurtre du syndicaliste Kemal Turkler, a été condamné pour trafic de drogue en Allemagne. Mehmet Kundakçi, député MHP d'Osmaniye, impliqué dans la tuerie de Bahçelievler. Ali Gungor, député MHP d'Içel, a assassiné Dr. Necdet Guçlu de sensibilité de gauche le 13 avril 1970. Fahri Yuksel, député MHP de Malatya, impliqué dans le meurtre le 7 juin 1978 de l'instituteur Nevzat Yildirim. Yusuf Kirkpinar, député MHP d'Izmir, condamné dans l'affaire de MHP après le coup d'état du 12 septembre 1980. Recai Yildirim, député MHP d'Adana, impliqué dans le meurtre de nombreux gauchistes mais acquitté pour prescription de l'affaire. Mehmet Sandir, élu MHP de Hatay, impliqué dans l'attentat contre le Pape. Sefkat Çetin, élu MHP d'Ankara, soupçonné d'avoir commandité de nombreux meurtres commis par les militants de MHP. Ali Alaman, élu MHP d'Adana, , impliqué dans le trafic d'armes. Muzaffer Çakmakli, élu MHP d'Urfa, accusé de trafic de drogue. Ahmet Uças, élu MHP de Gumushane, actuellement poursuivi pour abus de biens sociaux. I. Yasar Dedelek, élu ANAP à Eskisehir, accusé d'avoir commandité l'attaque de l'Académie des Beaux Arts d'Istanbul le 27 décembre 1976. Meral Aksener, élue DYP à Kocaeli, ancienne ministre de l'Intérieur de Mme Çiller, très liée au chef mafieux Abdullah Çatli qui était associé de son frère Nihat Guner. Elle est également soupçonnée d'avoir prévenu le chef mafieux Alaatin Çakici de l'opération d'arrestation organisée à son encontre aux Etats-Unis.

La liste est loin d'être exhaustive.

DSP MHP FP ANAP DYP CHP HADEP Sièges Voix Sièges Voix Sièges Voix Sièges Voix Sièges Voix Sièges Voix Sièges Voix

ADIYAMAN 0 14 289 1 23 906 3 62 022 1 23 713 1 39 033 0 27 185 0 16 924
AGRI 0 3 953 1 11 014 1 18 383 1 13 216 1 18 218 0 6 016 0 48 468
ARDAHAN 1 12 002 1 4 847 0 4 767 0 9 697 1 12 883 0 6 395 0 4 681
BATMAN 0 3 387 0 2 895 1 19 375 1 14 700 2 19 763 0 5 715 0 60 765
BINGOL 0 1 726 0 9 048 2 19 947 0 7 912 1 11 685 0 4 667 0 10 528
BITLIS 0 4 541 1 10 788 1 19 920 1 19 560 1 13 366 0 1 919 0 13 086
DIYARBAKIR 1 20 44 0 11 030 4 59 284 3 44 959 3 45 443 0 12 234 0 184 749
ELAZIG 0 9 300 1 33 183 2 58 620 0 16 010 1 21 707 0 12 017 0 11 808
ERZINCAN 0 8 799 1 27 482 1 20 149 0 8 054 1 0 20 593 0 1 275
ERZURUM 0 15 766 3 87 122 3 95 187 0 26 381 2 56 403 0 15 918 0 20 467
GAZIANTEP 2 96 781 3 99 256 2 78 575 1 49 281 1 51 275 0 69 461 0 27 218
HAKKARI 0 2 915 0 1 242 1 6 030 1 5 743 1 11 038 0 3 559 0 28 081
IGDIR 0 2 536 1 10 393 1 7 896 0 7 404 0 4 880 0 7 583 0 18 203
KARS 1 20 913 1 15 811 0 11 974 1 20 134 0 14 657 0 10 076 0 21 717
KILIS 0 10 587 1 10 965 0 8 030 0 4 765 1 12 007 0 3 220 0 441
MALATYA 0 28 918 2 95 215 3 115 293 1 37 360 0 29638 0 73 862 0 11 288
MARDIN 1 19 790 0 4 195 1 25 878 2 36 067 2 42 205 0 6 284 0 55 496
MUS 1 10 711 0 5 057 1 12 509 1 12 839 1 13 210 0 5 211 0 39 931
SIIRT 0 3 829 0 3 953 1 10 935 1 10 551 1 18 177 0 5 267 0 18 273
SANLIURFA 0 19 433 1 35 790 4 89 346 2 59 151 4 100 455 0 26 016 0 69 536
SIRNAK 0 3 926 0 4 213 1 9 563 1 14 426 1 8 824 0 4 390 0 20 714
TUNCELI 0 3 471 0 2 846 0 960 0 3 265 1 6 150 0 7 102 0 5 326
VAN 0 10 083 1 19 668 3 46 005 1 23 818 2 27 238 0 25 968 0 87 360
TOTAL SIÈGES 8 19 36 19 29 0 0