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Liste
NO: 136 |
23/6/1999 À LA VEILLE DE LA REPRISE DU PROCÈS ÖCALAN LES COURS DE SÛRETÉ DE L'ETAT ONT ÉTÉ DÉMILITARISÉESLe procès d'Abdullah Öcalan a repris le 23 juin sur l'île-prison d'Imrali. Les avocats de la défense ont commencé à présenter leur plaidoirie par pure formalité, sans illusion sur le verdict qui devrait intervenir dans quelques jours. À la veille de cette reprise, sous la pression des capitales européennes, le Parlement turc a voté, le 18 juin 1999, par 423 voix contre 40 la révocation du juge militaire de la Cour de Sûreté de l'Etat (DGM). La démilitarisation de ces cours était demandée dès 1984, date à laquelle elles ont été créées pour remplacer les cours martiales, et il a suffi de cinq jours au Parlement turc pour accomplir cette réforme. Cet amendement de la constitution constitue même le premier acte législatif du nouveau Parlement élu le 18 avril 1999. L'Association turque des droits de l'homme (IHD) n'a pas manqué de réagir en dénonçant comme une " manuvre politique " et un " amendement cosmétique " le vote en question et en demandant la suppression pure et simple des Cours de sûreté dérogatoire au droit commun. Quant à Nuh Mete Yüksel, procureur auprès de la Cour de sûreté de l'Etat d'Ankara en charge du dossier Öcalan, il a vivement critiqué la réforme en déclarant que le retrait des juges militaires était une " grande perte pour la Turquie ". Malgré ce toilettage, les cours de sûreté désormais civiles, continueront de sévir contre les ennemis supposés de l'Etat car les lois réprimant les délits d'opinion, notamment les articles 169 et 312 du code pénal et la loi dite anti-terreur, restent toujours en vigueur. LE MAIRE DE DIYARBAKIR FERIDUN ÇELIK RISQUE 7,5 ANS DE PRISON POUR AVOIR DÉCLARÉ QU'IL Y AVAIT LA GUERRE AU KURDISTANFeridun Çelik, le maire kurde de Diyarbakir issu des rangs du parti pro-kurde de la Démocratie du Peuple (HADEP) élu avec 65 % des voix le 18 avril 1999 est poursuivi devant la Cour de Sûreté de l'Etat d'Ankara pour avoir affirmé qu'il y avait une guerre au Kurdistan. Dans son acte d'accusation, le procureur Dilaver Kahveci lui reproche d'avoir déclaré au cours d'une interview sur la chaîne kurde Med-TV : " nous sommes arrivés jusqu'ici en quittant la guerre. Nous sommes parvenus ici avec joie pour faire avancer la paix et lui donner une voix. Les slogans en faveur de la paix procurent une énorme exaltation auprès du peuple ". Le procureur accuse Feridun Çelik d'"avoir soutenu qu'il y avait une guerre dans le Sud-Est de la Turquie " et réclame à ce titre et sur le fondement de l'article 169 du code pénal turc et l'article 5 de la loi 3713 de la loi anti-terreur de 4,5 à 7,5 ans de prison. Deux mois avant les élections générales d'avril en Turquie, Feridun Çelik, à l'époque président du HADEP pour la province de Diyarbakir, était jeté en prison par les forces de sécurité turques. Faute d'avoir réussi à étouffer politiquement le HADEP dans l'uf, les autorités turques continuent à s'acharner par tout moyen sur la formation pro-kurde alors que M. Çelik comme les autres maires kurdes ont choisi une approche plus souple en essayant " d'ouvrir des voies de communication " avec les responsables turcs. LE CHANTEUR KURDE AHMET KAYA RISQUE 13,5 ANS DE PRISONPoursuivi pour " propagande séparatiste ", le procès d'Ahmet Kaya, chanteur de la " musique authentique " qui risque 13,5 ans de prison, est le 16 juin 1999, revenu devant la Cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul. L'acte d'accusation établi par le parquet général indique que les poursuites sont ordonnées à la suite de deux discours d'Ahmet Kaya, l'un en Allemagne à Berlin en 1993 au cours d'un concert et l'autre le 10 février 1999 à l'occasion de la cérémonie de remise de prix organisée par l'Association des journalistes de magazines à l'hôtel Maslak Princess. Sur la base de l'article 169 du code pénal et l'article 5 de la loi 3713 de la loi anti-terreur, l'accusation requiert de 4,5 à 7,5 ans de prison pour " soutien à une organisation illégale " et de 2 à 6 ans de prison pour " incitation à la haine en ayant évoqué des différences religieuses, linguistiques et ethniques " en vertu de l'article 312 du code pénal turc. LE TOURISME TURC : DÉJÀ 4,5 MILLIARDS DE DOLLARS DE PERTESLe tourisme, un des secteurs clés en Turquie avec plus de 10 milliards de dollars de recettes directes en 1998 et pilier de 34 autres sous secteurs, est très compromis cette année. Depuis l'arrestation d'Abdullah Öcalan, le secteur a d'ores et déjà enregistré 4,5 milliards de dollars de pertes, 600 établissements touristiques sont au bord de la faillite, 50 000 salariés ont été licenciés. Selon le quotidien Sabah du 10 juin 1999 qui donne les chiffres, les entreprises n'arrivent plus à honorer les échéances des crédits qu'ils ont contractés et les responsables annoncent que cette année le secteur n'atteindra que 6,5 milliards de dollars. Malgré les prix défiant toute concurrence, le secteur n'arrive pas à relever la tête. Au delà des risques d'attentats c'est l'image de la Turquie qui s'est beaucoup détériorée aux yeux des 10 millions de touristes qui s'y rendaient les années précédentes. LE BILAN DES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME POUR LE MOIS DE MAI 1999 SELON MAZLUM-DERMazlum-Der, association de défense des droits de l'homme en Turquie, proche des islamistes, a rendu public son rapport des violations des droits de l'homme pour le mois de mai 1999. Le rapport se présente comme suit : - Nombre de meurtres non élucidés : 10 - Nombre d'exécutions et morts à la suite de torture : 9 - Nombre de morts à la suite des combats : 266 - Nombre de blessés à la suite des combats : 147 - Nombre de d'enlèvements : 2 - Nombre de disparitions : 4 - Nombre de personnes torturées : 77 - Nombre de personnes violées ou abusées sexuellement : 2 - Nombre de placements en garde-à-vue : 2 100 - Nombre d'arrestations : 248 - Nombre de villages évacués ou incendiés : 7 - Nombre de prisonniers d'opinion : 134 - Nombre de publications interdites : 24 - Nombre de journalistes placés en garde-à-vue : 5 L'association Mazlum-Der est actuellement poursuivie en justice pour activités séparatistes et islamistes. LA PUISSANTE CONFRÉRIE TURQUE DES NURCU EST ACCUSÉE DE VOULOIR RENVERSER L'ORDRE ÉTABLI LAÏC EN TURQUIEDes cassettes vidéo dont l'origine reste occulte viennent une nouvelle fois ébranler la scène politique turque. Les autorités turques qui font une chasse interminable contre les ennemis intérieurs de l'Etat, s'attaquent cette fois-ci à Fethullah Gülen, chef tout-puissant d'une importante confrérie musulmane sunnite dite des " Nurcu " [ndlr : disciples des opuscules de la lumière (Nur) du grand philosophe et théologien kurde du début du siècle cheikh Saïd Nursi]. Il est accusé de vouloir infiltrer l'appareil de l'Etat en vue de saper les fondements laïcs de la République. Dans les cassettes en question Fethullah " Hodja " comme il est surnommé, conseille à ses adeptes de rester modérés pour ne pas se faire remarquer par les institutions laïques, dont l'armée. " Travaillez patiemment pour vous emparer du contrôle de l'Etat. Tâchez surtout de ne pas vous faire remarquer dans vos efforts " déclare-t-il. Un réseau d'influence considérable serait ainsi tissé au sein de l'appareil de l'Etat, notamment dans la justice, la police et l'éducation nationale. D'après la presse turque la confrérie est à la tête d'un véritable " empire " d'une valeur totale estimée à 25 milliards de dollars: 3 universités, plus de 200 écoles privées, des milliers de " maisons de lumière ", 460 établissements éducatifs, 500 cités et 200 fondations avec 7000 enseignants et des dizaines de milliers d'étudiants en ce qui concerne l'enseignement, 500 différentes sociétés, une chaîne de télévision, 25 radios, 14 revues et le quotidien Zaman. Ses écoles et fondations ont largement franchi les frontières de la Turquie, notamment vers l'Asie centrale, la Georgie, l'Extrême-Orient, la Sibérie et le Japon, mais aussi les Balkans, les Pays-Bas, l'Afrique du Sud, et même la nouvelle Guinée. La classe politique reste silencieuse face à ces " révélations " manigancées par la police politique (MIT) sans doute à la demande de l'armée. Fethullah Gülen cultivait de très bonnes relations avec des personnalités du monde des affaires, des bureaucrates, hommes politiques et journalistes. Le Président Demirel en personne avait reçu en 1997 le prix de la " réconciliation nationale " par la fondation des journalistes et écrivains proche de Fethullah Gülen. Interrogé sur la question M. Demirel a simplement déclaré que " les accusations portées contre lui [ndlr : Fethullah Gülen] sont extrêmement graves ". Quant au Premier ministre Bülent Ecevit, un intime du " Hodja ", il a surtout insisté sur le fait d'attendre les explications de F. Gülen avant toute conclusion hâtive. Zülfü Livaneli, éditorialiste au quotidien turc Sabah, s'étonne, dans son éditorial du 22 juin 1999, qu'une telle affaire puisse éclater en plein jour. " L'armée a coutume depuis des années de traiter cela toute seule. Pourquoi est-ce que cette fois-ci il a fallu sensibiliser l'opinion publique ? Pourquoi est-ce qu'on ne s'est pas contenté de directive militaire ? () Selon nous la raison réside sur le fait que les militaires n'ont pas réussi à convaincre des civils au cours des réunions à huis clos. () Si cette opération avait eu lieu avant les élections du 18 avril, nous serions face à des résultats différends aujourd'hui () Nul doute que ces cassettes étaient conservées depuis longtemps et elles ont été visionnées par des leaders (des partis). Seulement ces derniers ont continué à garder le silence et les liens se sont tendus lorsque les proches de Gülen ont été élus au Parlement et ont proposé de décerner à Fethullah Gülen la médaille du service méritoire du pays ". Des procureurs de la Cour de sûreté de l'Etat, proches de l'armée, ont ouvert une information contre Fethullah Gülen afin d'enquêter sur la probable violation des lois dans le but de renverser l'ordre établi laïc en Turquie pour le remplacer par un ordre religieux. L'intéressé qui se trouve aux Etats-Unis depuis janvier pour un " traitement médical " a rejeté les accusations en dénonçant un " complot tramé par une bande de communistes ". LA COUR D'APPEL A INFIRMÉ LE JUGEMENT D'ACQUITTEMENT DES POLICIERS AYANT TORTURÉ " LES JEUNES DE MANISA "La Cour d'Appel turque a infirmé, le 16 juin 1999, le jugement de la Cour pénale de Manisa qui avait acquitté 10 officiers de police accusés d'avoir torturé 14 adolescents, appelés les " jeunes de Manisa ". Le 26 décembre 1995, 14 jeunes avaient été placés en garde-à-vue par le département anti-terreur de la police de Manisa et 10 d'entre eux avaient été condamnés par la Cour de sûreté d'Etat d'Izmir à une peine de 76 ans de prison [ndlr : le jugement a été infirmé par la cour d'Appel par la suite pour investigation inadéquate et accusations de tortures]. Une information distincte avait été ouverte à la demande des jeunes qui avaient accusé les policiers de les avoir torturés. La Cour pénale de Manisa avait acquitté les officiers en prétextant le manque de preuve. La 8ème chambre criminelle de la Cour d'Appel a statué en faveur des adolescents en affirmant que les rapports fournis par le département de la médecine légale, l'hôpital d'Etat et la chambre de médecine indiquent sans nul doute que les jeunes ont fait l'objet de tortures et de sévices- " insultes, menaces, écoutes de marches militaires à un volume très important, chocs électriques, harcèlements sexuels, compression des testicules, matraque enfoncée aux rectums etc "- pendant leurs détentions en garde-à-vue. EN VISITE EN TURQUIE GEORGE SOROS, LE CÉLEBRE FINANCIER MONDIAL CONSEILLE AUX TURCS DE RÉGLER LE PROBLÈME KURDE AVANT TOUTGeorge Soros, un des plus grands financiers mondiaux, a déclaré, le 20 juin 1999, au cours d'une conférence à Istanbul à laquelle il était invité que " la Turquie doit résoudre la question kurde pour l'Europe ". Interrogé sur la raison pour laquelle la Turquie ne faisait pas partie comme les pays de l'Est des candidats sélectionnés pour l'entrée à l'Union européenne, M. Soros a indiqué que la Turquie se devait d'abord trouver une solution culturelle au problème kurde puis il a poursuivi en déclarant " Entre l'Union européenne et la Turquie il y a la question kurde qui pose problème. Si celle-ci ne trouve pas de solution dès maintenant, il semble qu'elle prendra des proportions plus importantes encore. Comme vous le savez, l'Union européenne a vécu une certaine expérience au Kosovo. Je ne suis pas désespéré de voir trouver une solution à la question. Je constate que des tentatives sont entreprises pour résoudre le problème. Le mouvement terroriste n'a pas été anéanti, mais a reçu un sérieux coup. Le leader du mouvement est aujourd'hui devant la justice. Cela peut créer une opportunité. Une situation permettant aux Kurdes de pouvoir vivre leur héritage culturel peut être une solution à la question. C'est en tout cas l'opinion d'une personne extérieure observant la Turquie ". LE PRÉSIDENT TURGUT ÖZAL COMPTAIT SUR L'IMPACT DE LA TÉLÉVISION TURQUE POUR FAIRE OUBLIER AUX KURDES LEUR LANGUE MATERNELLEDans un article publié le 19 juin 1999, Orhan Tokatli, journaliste au quotidien turc Milliyet, donne un compte rendu du conseil des ministres réuni le 22 février 1991 sous la présidence de Turgut Özal pour discuter d'un projet de loi sur l'autorisation de la langue kurde en Turquie. Le président Özal, à l'initiative du projet " garantit que la multiplication des émissions de télévision en turc fera oublier la langue kurde ". Lorsqu'un ministre Cemil Çiçek, riposte en soutenant qu'"il n'y a que des Turcs en Turquie ", T. Özal rétorque " Regardez-vous. Vous êtes tous différents. Qui pourrait prétendre parmi vous qu'il est arrivé d'Asie mineure ? Qui a des yeux bridés ici ? ". Persuadé que l'enseignement en turc à l'école et l'influence de la télévision en turc viendraient à bout de la langue kurde, le président Özal argumente ainsi : " Il ne faut pas avoir peur de libéraliser le kurde. De toute façon il est parlé. N'oubliez pas non plus l'influence de la télévision. C'est une pression énorme. Le kurde sera bientôt oublié. Et puis, à cause des différents parlers même les Kurdes ne peuvent pas se comprendre avec une seule langue. Ils utilisent le turc. Abdullah Öcalan, utilise lui-même le turc pour sa propagande du fait de ces différences. " Lorsque certains protestent en soutenant que le kurde n'est pas une langue, T. Özal déclare " l'important est que l'interdiction soit levée. Vous n'avez qu'à marquer la langue et les dialectes dans le projet () La nouvelle génération parle en turc. Au bout d'un certain temps le kurde sera oublié. " Finalement, aucune décision n'est prise à la fin de ce conseil très houleux. Plus tard, Turgut Özal, hospitalisé à Houston, décide alors de demander à l'éminent écrivain kurde Yasar Kemal d'élaborer un rapport sur la question kurde. Dès le lendemain Y. Kemal lui renvoie un rapport rédigé à la main. Les Kurdes seront autorisés à parler leur langue en privé mais la langue kurde continuera à être interdite dans l'administration, l'enseignement et l'information. Cependant le pari de Turgut Özal est loin d'être gagné. |