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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 153

9/12/1999

  1. MUTINERIE À LA PRISON CENTRALE D’ANKARA : LEYLA ZANA ET SES COLLÉGUES ÉVACUÉS PAR LES AUTORITÉS PÉNITENTIAIRES
  2. POUR ANKARA LA " minorité kurde " N’EXISTE TOUJOURS PAS EN TURQUIE
  3. UNE CHAÎNE DE TÉLÉVISION INTERDITE PENDANT UN AN POUR AVOIR DIFFUSÉ UNE CHANSON EN KURDE
  4. LE GÉNÉRAL GURES ENTRE AUSSI EN LICE POUR LES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES TURQUES
  5. LE PARLEMENT EUROPÉEN SE PRONONCE POUR LA CANDIDATURE TURQUE À L’UNION EUROPÉENNE MAIS DEMANDE DES AMÉLIORATIONS EN MATIÈRE DES DROITS DE L’HOMME
  6. LU DANS LA PRESSE TURQUE : QU’EST-CE DONC UN KURDE ?
  7. LU DANS LA PRESSE TURQUE : QUAND LES MILITAIRES ELABORENT UNE LOI SUR LES MEDIA ET DONNENT DES INSTRUCTIONS AU MINISTÈRE DE LA CULTURE


MUTINERIE À LA PRISON CENTRALE D’ANKARA : LEYLA ZANA ET SES COLLÉGUES ÉVACUÉS PAR LES AUTORITÉS PÉNITENTIAIRES


Leyla Zana et ses collègues ont été évacués par les autorités pénitentiaires à la suite d’une mutinerie qui a éclaté à la prison centrale d’Ankara le 7 décembre 1999. Les hommes de Fatih Mehmet Bucak, un des chefs de bande écroué à la prison centrale d’Ankara [ndlr: neveu de Sedat Bucak, député du parti de la Juste Voie (DYP) de Sanliurfa], ont mis le feu à plusieurs dortoirs suite au jugement de la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara refusant leur libération.

POUR ANKARA LA " minorité kurde " N’EXISTE TOUJOURS PAS EN TURQUIE


Le quotidien turc kémaliste Cumhuriyet rapporte dans son édition du 2 décembre 1999 que le ministère turc des affaires étrangères a vivement réagi aux propos et expressions utilisés par le ministre finlandais des affaires étrangères Jozias Van Aartsen qui est également le président tournant de l’Union européenne. M. Aartsen avait qualifié de minorité les Kurdes et avait affirmé qu’il y avait un problème de minorité en Turquie. Le porte-parole du ministère turc, Sermet Atacanli a immédiatement objecté en soulignant que " les expressions du ministre sont les siennes. Notre point de vue est clair sur ce sujet " puis a ajouté qu’il préférait parler de " la question kurde " et que " c’était impossible pour Ankara d’accepter l’expression ‘minorité kurde’ "

Par ailleurs, interrogé par le magazine allemand Focus, le Premier ministre turc Bulent Ecevit a déclaré qu’il n’y avait pas de discrimination entre les Turcs et les Kurdes en Turquie en ajoutant que " les Kurdes ne sont pas une minorité mais une partie de la nation turque ". Justifiant l’importance de l’armée dans les affaires politiques turques, M. Ecevit a répliqué que les Etats-Unis avaient également un Conseil national de sécurité et que l’armée turque représentait une grande majorité du peuple turc.

UNE CHAÎNE DE TÉLÉVISION INTERDITE PENDANT UN AN POUR AVOIR DIFFUSÉ UNE CHANSON EN KURDE


Kanal 21 TV, une chaîne de télévision locale qui émet dans la province kurde de Diyarbakir, a été condamnée par le RTUK, l’équivalent de la CSA en France, pour avoir diffusé une chanson du chanteur kurde Sivan Perwer. Ce " crime " vaut à la chaîne d’être interdite d’émission pendant un an pour " programme séparatiste ". Ibrahim Sucu, membre du conseil d’administration de la chaîne, a accusé la direction de la sécurité de Diyarbakir d’avoir donné des informations erronées au RTUK. Il a également rappelé les propos de H. Kivrikoglu, chef d’état-major des armées turques, qui déclarait il y a peu que " quiconque veut jouer de la musique kurde en Turquie pouvait le faire ". M. Sucu a également souligné que la chanson en question avait déjà été chantée l’année dernière dans le film " Que les lumières ne s’éteignent pas " qui a été diffusé dans les cinémas et télévisions turcs.

LE GÉNÉRAL GURES ENTRE AUSSI EN LICE POUR LES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES TURQUES


Les candidats commencent à se déclarer peu à peu à l’approche des élections présidentielles prévues en mai 2000 en Turquie. Après Çevik Bir, ancien bras droit du chef d’état-major turc, Dogan Gures, ancien chef d’état-major, semble être le candidat tout désigné du Parti de la Juste Voie (DYP) de Mme Tansu Çiller. Député de Kilis, Dogan Gures s’apprête, pour lancer sa campagne, à publier ses mémoires de général en chef de l’armée turque. La presse commence à publier des extraits de ces mémoires où on peut notamment lire : " lorsque j’étais le chef d’état-major, la loi martiale a été levée dans le Sud-Est et l’état d’urgence a été décrété. Mais ayant constaté que la patrie allait de pis en pis, nous avons recouru à des interventions illégales. Au début de l’année 1991, c’était le gouvernement de Yildirim Akbulut, puis celui de Mesut Yilmaz et ensuite à la fin de l’année celui de Süleyman Demirel. Si je n’avais pas assumé la responsabilité d’intervenir, que se serait-il passé ? Je me désignais moi-même comme ‘l’irresponsable responsable’. Si je n’avais pas fait cela, nous n’aurions pas pu éliminer le PKK en 1992. Tout aurait pu arriver. Nous avons véritablement cogné en 1992 (…) Un marché d’armes s’était constitué au nord de l’Irak. En payant 1 à 2 millions [de livres turques], tu pouvais acheter une Kalachnikov. Furieux contre nous, Saddam a donné ses stocks à eux. Talabani et Barzani se battaient entre eux. Et le PKK s’est enflammé pendant ce temps au nord de l’Irak. (…) Qu’aurait-on dû faire : Une lutte violente infâme ". Dogan Gures continue : " Tu demandes de l’argent, le gouvernement te répond " qu’il n’y en a pas ". Quand tu as de l’argent tu réclames des hélicoptères armés et les Etats-Unis te répondent " dans deux ans ". En cette période, nous avons utilisé ce qui était à notre disposition et nous n’avons pas fait de bruit. Nous avons formé les militaires en trois mois. Je me suis entretenu avec les plus hauts responsables de la lutte contre l’IRA en Angleterre. J’ai été le second chef d’état-major à me rendre à leur QG de lutte spéciale. Leur méthode se résumait ainsi: ‘il faut réagir à la violence par plus de violence’. Puis, je suis passé en Espagne pour observer la lutte contre l’ETA ".

" Malgré les mauvais résultats de l’économie, les gouvernements ont toujours trouvé de l’argent pour les armes. Lorsque M. Demirel était le Premier ministre, il a pris contact directement avec les Etats-Unis. Il a ramené des Sikorsky qui étaient destinés à d’autres clients et m’a assuré : ‘ on trouvera toujours de l’argent pour l’armée’. Tansu Çiller a également réuni des sommes colossales grâce à certaines sources [ndlr : fonds secrets ? argent de la drogue ?]. Et nous, nous avions besoin d’armes pour les utiliser dans des circonstances particulières. Nous nous sommes fournis pour une partie sur le marché du nord de l’Irak (…) [ndlr : Il s’agit probablement des opérations spéciales menées par des unités spéciales (Özel Tim) habillées et armées comme des guérilléros du PKK contre les populations des villages kurdes à évacuer ou contre des civils ]

LE PARLEMENT EUROPÉEN SE PRONONCE POUR LA CANDIDATURE TURQUE À L’UNION EUROPÉENNE MAIS DEMANDE DES AMÉLIORATIONS EN MATIÈRE DES DROITS DE L’HOMME


Une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la mise en œuvre d’actions visant au développement économique et social de la Turquie a été votée par le Parlement européen le 2 décembre 1999 à quelques jours du sommet de Helsinki. Le texte stipule que " la communauté attache une grande importance à la nécessité pour la Turquie d’améliorer et de promouvoir ses pratiques démocratiques et le respect des droits fondamentaux de l’homme, ainsi que d’assurer une bonne gestion des affaires publiques et d’élargir la participation de la société civile à ce processus ".

Amendant la proposition de la commission, le Parlement européen a précisé que " les projets et programmes financés (…) devront contribuer au développement social et politique de la Turquie, à la promotion de la défense des droits de l’homme, ainsi que du respect et de la protection des minorités existantes, à la réforme de ses pratiques de développement et à la restructuration de son cadre institutionnel et juridique, afin de garantir ces principes ". Le Parlement insiste à plusieurs reprises contrairement à la Commission sur " les droits ", " la protection " et " le respect des minorités " faisant allusion aux 18 millions de Kurdes de Turquie.

Reprenant les termes de l’article 4 paragraphe 1 de la commission, le Parlement ajoute que la communauté soutient " toute coopération visant à défendre et à promouvoir la démocratie, l’Etat de droit, les droits de l’homme et le respect des minorités ainsi que la protection et la reconnaissance de leur identité culturelle et l’aide aux initiatives en faveur de l’abolition de la peine de mort ". Le Parlement souligne aussi qu’il appuie " toute forme de coopération visant à régler le problème kurde ".

Le Parlement rappelle d’autre part que 135 millions d’euros, retenus jusqu’alors par le veto grec, seront versés à la Turquie pour la période 2000-2002.

LU DANS LA PRESSE TURQUE : QU’EST-CE DONC UN KURDE ?


Burat Belge, journaliste au quotidien turc Radikal, dans son article intitulé " Quid Kurde ? " daté du 6 décembre 1999, dénonce la politique fantaisiste de l’Etat turc à l’égard des Kurdes. Voici de larges extraits de son article :

Les Kurdes ont une grande importance dans la perspective européenne de la Turquie (…) Récemment, j’ai lu dans les journaux la déclaration du ministère turc des affaires étrangères précisant qu’on ne pouvait pas parler de minorité pour les Kurdes. Il répondait ainsi à un ministre hollandais qui avançait il y a quelques jours l’idée de la nécessité " des droits de la minorité kurde ". Plus je réfléchis et plus j’arrive à la conclusion qu’on ne peut pas aboutir à quelque chose en pensant. " qu’est ce que le Kurde ? Comment le définir ? Si j’étais Kurde d’une nature révoltée, j’aurais eu très probablement un comportement bien net sur le sujet. Par conséquent, même si je n’étais pas tranquille je me sentirais mieux au moins en mon for intérieur. Mais si j’étais né citoyen kurde docile de la République turque, acceptant tout de l’Etat, je n’aurais pas pu me soustraire à un profond trouble d’identité.

Le porte-parole du ministère des affaires étrangères conteste la qualification de " minorité " certainement eu égard au traité de Lausanne. Oui, nous nous étions opposés à cette dénomination à Lausanne en mettant en avant l’idée que les Kurdes et les Turcs étaient des frères musulmans et qu’il ne pouvait avoir y de distinction entre eux. En fait c’était bien pensé. Car nous aurions pu considérer qu’au nom de la République turque les Kurdes et les Turcs étaient conjointement les fondateurs et propriétaire de ce nouvel Etat-nation.

Cependant le califat qui forgeait un des principes de l’islam et qui excluait toute distinction entre nous, a été aboli un an après et la première révolte kurde a éclaté l’année suivante. Ces révoltes ont continué pendant des années comme vous le savez. Le débat sur la responsabilité de cela est de longue haleine, mais il est probablement évident que l’esprit de " partage dans l’Etat " n’était pas répandu.

Peu de temps après, on a dit que les Kurdes n’existaient pas. Il n’y avait pas de peuple ni de nation " kurde ". Même dans l’adaptation turque de l’encyclopédie " Larousse universelle (Meydan Larousse) " on présentait les Kurdes comme une tribu turque vivant en Asie mineure. Si j’étais un Kurde obéissant, j’aurais également cru en cela. Mais après avoir lu dans le même ouvrage que " la langue kurde " est une " langue indo-européenne " la confusion se serait installée dans ma tête.

Les rumeurs niant l’existence des Kurdes ont été propagées par certains milieux dans les années soixante et soixante-dix, mais cela a suscité un vif intérêt. Dans les années quatre-vingt, [ l’inexistence des Kurdes] est devenue la thèse officielle de l’Etat. À cette période, de nombreuses fantaisies ont été construites autour de cela. Par exemple, on n’a rien dit sur le fait que des Kurdes vivaient au nord de l’Irak et on a appris logiquement et tout spécialement de TRT [ndlr : la chaîne de télévision nationale ] que les habitants du nord de l’Irak étaient " Des Nordistes de l’Irak ". Dans ce contexte, les gens que nous connaissions de tout temps comme les Kurdes de Turquie devenaient " des Sudistes turcs " ou bien " les Nordistes des nordistes d’Irak ".

Alors, cette thèse et cette rumeur sont devenues troubles et ont disparu. Et nous avons recommencé à nouveau à parler des Kurdes. Si j’étais le Kurde obéissant que j’ai décrit, j’aurais été probablement étonné de cela également. J’ai réussi à me convaincre pleinement tandis qu’eux, ils avaient décidé depuis le début que je n’existais pas ou encore je n’étais pas Kurde !

Le fait qu’il le soit ou qu’il ne le soit pas [Kurde] est jugé par les dirigeants de l’Etat. Qui sont alors ces gens qui ne sont ni une " minorité " ni " une majorité " et qui ne sont même pas " une question " (puisque la question est le Sud-Est et eux ils y sont par hasard) ?

Si on pouvait réussir à se décider sur ce qu’ils sont et se soulager. Mais nous devons déterminer " qui ils sont " et non ce " qu’ils doivent devenir " pour les intérêts supérieurs de l’Etat. "

LU DANS LA PRESSE TURQUE : QUAND LES MILITAIRES ELABORENT UNE LOI SUR LES MEDIA ET DONNENT DES INSTRUCTIONS AU MINISTÈRE DE LA CULTURE


Oktay Eksi, éditorialiste en chef du quotidien Hürriyet et président de l’Association des journalistes turques, dénonce dans son article du 5 décembre 1999, le pouvoir et l’ingérence abusive du Conseil national de sécurité (MGK) dans toutes les sphères de la vie politico-culturelle en Turquie. Voici de larges extrais de son article :

" Lorsqu’il y a quelques années Bülent Tanör a demandé dans un rapport de recherche la suppression du conseil national de sécurité (MGK) il a soulevé un véritable tollé. La vérité est que nous sommes, nous aussi, contre l’ingérence du MGK dans des domaines où il n’a absolument pas la compétence. Nous l’avions dit à l’époque, mais nous perdons de plus en plus notre force de contestation. Ces derniers temps, nous pouvons voir que cette organisation pousse le bouchon un peu loin dans sa façon de se comporter comme " le gouvernement ". Donnons un exemple : Les spécialistes (?) de cette organisation ont préparé une telle loi rectificative de la loi 3984 relative à l’établissement des radios et télévisions que Dieu nous en garde. C’est un texte ignoble capable de faire repentir tous ceux qui sont aujourd’hui épinglés par le RTUK… En plus elle a été établie avec une telle mentalité antidémocratique qu’elle donne l’autorité aux préfets quant à la décision de fermeture des chaînes de télévisions et des stations de radios.…

Pendant que nous nous rabâchions cela, un fait nouveau est apparu:

Une lette d’instruction (?) signée par le secrétaire général adjoint du MGK a été envoyée au ministère de la culture. Il a été signifié qu‘" envoyer à l’étranger des affiches imprimées dans le but de promouvoir la Turquie, et distribuées à l’intérieur du pays, serait préjudiciable ". Il est " souhaité " et " prié " au pied de " ne pas les distribuer " (…)

Le secrétariat général " n’a pas pu comprendre les tentatives, sans raison apparente, d’explications étymologiques de certains mots turcs" (…)

À supposer qu’une chose inconvenante soit placée dans l’affiche… Pourriez-vous me dire ce qu’on peut tirer de cela ? N’y a-t-il pas des mots qui viennent d’autres langues en Turc ? Si on répondait par la négative ces mots devraient-ils être expurgés du lexique ?

L’affiche " ne contiendrait pas des qualités nécessaires d’un point de vue de la représentation graphique ". Le Conseil de sécurité nationale (MGK) aurait-il fini avec sa tâche pour devenir maintenant un " organe de censure ou encore d’esthétisme " ? (…) À cause de tous ces obstacles (?) " l’affiche [pourrait] faire l’objet de critique au niveau international et être la raison de spéculations contre la Turquie ". Si le conseil de sécurité nationale (MGK) est si sensible à l’image de la Turquie, ne serait-il pas mieux de soumettre ses " prières " aux responsables, alors qu’il est témoin des détériorations de notre image du fait de l’emprisonnement des personnes ayant exprimé leur opinion, ou encore de la torture subie par ces dernières ? Ou mieux encore pour le secrétariat général de cette organisation, de s’occuper de véritables questions " en rapport avec notre sécurité nationale " ? "