Publications

Haut

POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
 -
Liste
NO: 164

17/3/2000

  1. AHMET KAYA CONDAMNÉ À 3 ANS ET 9 MOIS DE PRISON
  2. PLUSIEURS DÉPUTÉS METTENT EN CAUSE LES AUTORITÉS DANS LA TUERIE DE LA PRISON D’ANKARA
  3. DÉBAT SUR LA RÉVISION DE L’ARTICLE 312 DU CODE PÉNAL TURC SUR FOND DE LA CONDAMNATION À UN AN DE PRISON DE NECMETTIN ERBAKAN
  4. AKIN BIRDAL RETOURNERA EN PRISON ALORS QUE SES AGRESSEURS RISQUENT D’ÊTRE LIBÉRÉS
  5. POUR LES AUTORITÉS TURQUES LES ÉCOUTES TÉLÉPHONIQUES NE CONSTITUENT PAS D’ATTEINTE À LA VIE PRIVÉE
  6. UN RAPPORT TURC SUR LA QUESTION KURDE EN PRÉPARATION


AHMET KAYA CONDAMNÉ À 3 ANS ET 9 MOIS DE PRISON


La Cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul a condamné le 10 mars 2000 le chanteur kurde Ahmet Kaya à trois ans et neuf mois de prison, par contumace, pour " propagande séparatiste en faveur du PKK ". Les autorités turques lui reprochent d’avoir chanté en 1993 dans une salle de concert de Berlin où il y aurait eu une carte du Kurdistan et un portrait d’Öcalan. Les avocats du chanteur ont plaidé qu’il s’agissait d’un grossier photomontage tardif du quotidien Hürriyet. Le quotidien n’avait à l’époque rien écrit à ce sujet. Mieux, en 1994 il avait accordé un prix à Kaya. Ce n’est que lorsqu’en février 1999 le chanteur, élu meilleur musicien de l’année a, au cours de la cérémonie du prix, évoqué ses origines kurdes et annoncé son intention de faire un clip en kurde que les autorités et les médias turcs se sont déchaînés contre lui. Et dans cette action de lynchage médiatique le quotidien Hürriyet a publié sa fameuse photo qui a été considérée par le parquet de la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul comme un élément constitutif de crime séparatiste.

S’apercevant du ridicule de condamner un chanteur populaire pour son intention de faire une chanson dans sa langue, la Cour de sûreté, décidée de toute façon à faire taire l’artiste dissident, s’est rabattue sur cette photo truquée pour condamner Kaya à 3 ans et 9 mois de prison ferme pour " propagande séparatiste ". Les avocats de Kaya ont relevé que cette même Cour n’avait pas trouvé matière à poursuites " faute de preuves " dans le scandale de Susurluk qui a révélé les liens entre la mafia, la police et une partie de la classe politique turque. Il lui a suffi d’une simple photo de presse truquée pour toute preuve pour condamner un artiste dissident qui fait par ailleurs l’objet de trois autres procès pour " séparatisme ". "Dans ces conditions comment peut-on parler de justice d’Etat de droit dans ce pays?" ont-ils déclaré. Ahmet Kaya, qui vit en France, n’était pas présent au procès. Les médias ont accordé une très large place à l’affaire. La FIDH organise à Paris, le mardi 21 mars une conférence de presse avec la participation d’Ahmet Kaya pour faire le point sur son affaire et sur la situation des droits de l’homme en Turquie.

PLUSIEURS DÉPUTÉS METTENT EN CAUSE LES AUTORITÉS DANS LA TUERIE DE LA PRISON D’ANKARA


La sous-commission parlementaire des droits de l’homme de Turquie a rendu public le 13 mars 2000 son rapport concernant les émeutes en septembre 1999 de la prison d’Ulucanlar au cours des quelles 10 prisonniers politiques avaient perdu la vie. En raison des dissensions entre les députés, deux rapports différents ont été rédigés ; l’un par les députés de la Mère patrie (ANAP), du Fazilet (FP-islamiste) et de la Juste Voie (DYP) qui ont fortement mis en cause les autorités pénitentiaires, et l’autre par les députés gouvernementaux du parti Gauche démocratique (DSP) et du parti ultra-nationaliste de l’Action nationale (MHP) largement plus cléments sur le rôle des autorités.

Dans le premier rapport, les députés Sebgetullah Seydaoglu (ANAP), Mehmet Bekaroglu (FP), Mustafa Eren déclarent, qu’à partir de l’enquête effectuée et les témoignages recueillis, ils en viennent à la conclusion que " l’opération avait été planifiée ". Les parlementaires portent de sérieux doutes sur l’existence des armes qui auraient été découvertes (une Kalachnikov, 7 pistolets, un fusil de chasse) dans la prison. Ils déclarent à ce sujet que lors de la première perquisition, aucune arme automatique n’avait été trouvée et qu’elle a fait son apparition lorsqu’un des détenus a soutenu que " les premiers tirs venaient d’une arme automatique ". Les parlementaires continuent en s’interrogeant : " si ces armes existaient pourquoi est-ce qu’elles n’ont pas été utilisées contre les forces de l’ordre mais seulement contre les détenus ? " Par ailleurs, l’existence d’un tunnel a été également mise en doute.

Le rapport dénonce de même le fait que le procureur près de la Cour d’Ankara n’a pas daigné de répondre aux questions des députés et que les cassettes enregistrées lors de l’émeute n’ont pas été remises à la commission. Les parlementaires se demandent également pourquoi d’autres méthodes plus appropriées (bombe lacrymogène etc.) n’ont pas été utilisées. Mais le point le plus obscur reste les nombreuses traces de tortures mais aussi de brûlure à l’acide trouvées sur les corps des victimes. Le rapport souligne également le retard des interventions médicales qui ont eu lieu une à trois heures après les décès, hormis pour deux cas.

DÉBAT SUR LA RÉVISION DE L’ARTICLE 312 DU CODE PÉNAL TURC SUR FOND DE LA CONDAMNATION À UN AN DE PRISON DE NECMETTIN ERBAKAN


Necmettin Erbakan, le leader islamiste turc, a été condamné à un an de prison pour incitation à la haine dans un discours prononcé il y a six ans. Les observateurs notent que le verdict de la Cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakir constitue un nouvel obstacle à son retour dans l’arène politique de laquelle il avait été écarté par l’Armée turque. Les autorités turques lui reprochent les propos suivants : " Avec l’aide de Dieu la période des rudes épreuves est terminée. Comme la chute du communisme en Russie, la subordination aux impies étrangers est révolue en Turquie (…) Il n’y a plus dans ce pays 12 partis politiques mais deux (…) Les enfants de ce pays commencent l’école en récitant le premier verset du Coran. Et vous êtes venu mettre à la place de cela " Je suis Turc, droit et travailleur " (…) Maintenant l’enfant d’un musulman d’origine kurde a gagné le droit de dire " Et moi je suis Kurde, plus droit et plus travailleur encore ".

Le parti islamiste de la Vertu (FP) qui a été créé à la suite de l’interdiction en 1998 de son prédécesseur le parti de la Prospérité (RP) est largement influencé par N. Erbakan. Forts de presque d’une centaine de députés au Parlement turc, les islamistes tentent de débloquer le chemin de leur leader en demandant la révision de l’article 312 du code pénal turc. Un large débat est lancé dans les milieux politico-judiciaires turcs sur l’avenir de cet article qui sanctionne " l’incitation à la haine raciale " mais qui est largement utilisé par les autorités turques pour limiter le domaine de la liberté de l’expression. Le président de la Cour de cassation turque, Sami Selçuk, se déclare très favorable à sa suppression et déclare " Nous sommes en face d’un article qui menace la liberté de l’expression dans notre pays et l’entrée de la Turquie à l’Union européenne (…) L’Etat ne devrait pas se mêler au marché de la culture. Il ne devrait pas intervenir dans la sauvegarde d’une culture ni pour l’encourager et ni pour l’empêcher " (Milliyet 16-03-2000). Il s’affronte sur ce domaine au procureur près de la Cour de cassation, Vural Savas.

AKIN BIRDAL RETOURNERA EN PRISON ALORS QUE SES AGRESSEURS RISQUENT D’ÊTRE LIBÉRÉS


Akin Birdal, vice-président de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et ancien président de l’Association turque des droits de l’homme (IHD) devra retourner à la prison d’Ankara le 23 mars pour purger le restant d’une peine de prison pour " provocation raciale ". Libéré le 25 septembre 1999 pour des raisons de santé après 10 mois de prison, M. Birdal devra retourner en prison pour purger les 4,5 mois restants.

Akin Birdal avait été condamné au terme de l’article 312 et avait démissionné de son poste après son incarcération, comme le stipule la loi sur les associations. A. Birdal avait été grièvement blessé en mai 1998 dans un attentat dans son bureau à Ankara. Ses deux agresseurs, ainsi que quatre autres personnes, tous militants d’extrême droite, avaient été arrêtés dix jours plus tard. Leur procès est toujours en cours à Ankara.

POUR LES AUTORITÉS TURQUES LES ÉCOUTES TÉLÉPHONIQUES NE CONSTITUENT PAS D’ATTEINTE À LA VIE PRIVÉE


Le scandale continue dans l’affaire des écoutes téléphoniques. Le ministère turc de l’Intérieur a déclaré " inconcevable " la demande d’indemnités de 25 milliards de livres turques de Naci Ünver, président de la 8e chambre correctionnelle de la Cour de cassation turque qui avait été écouté. Le ministère a réfuté l’idée que ces écoutes pouvaient porter atteinte aux libertés individuelles, notamment à la vie privée. Dans un mémorandum envoyé à la 10e chambre du Tribunal administratif d’Ankara, le ministère souligne : " les écoutes téléphoniques ont été opérées non seulement sur l’intéressé mais également sur d’autres organismes et hauts responsables. Si des dommages et intérêts lui étaient accordés, cela constituerait un mauvais exemple pour les autres intéressés et la situation créérait un enrichissement sans cause " !

UN RAPPORT TURC SUR LA QUESTION KURDE EN PRÉPARATION


Le quotidien turc anglophone Turkish Daily News annonce dans son numéro du 15 mars 2000 que la "Turquie rédige un rapport global " sur le " problème kurde ". Selon le journal, le ministère turc des affaires étrangères prépare actuellement un " rapport complet relatif aux Turcs d’origine kurde et la politique turque à l’égard des minorités en Turquie " dans le but de se conformer aux critères de Copenhague exigés pour son entrée dans l’Union européenne. Le rapport se fixe l’ambition d’examiner la Constitution turque et des dispositions du traité de Lausanne signé en 1925. La question kurde mais également la subordination du ministère turc de la Défense à l’Armée constituaient les deux principaux points délicats qui avaient été écartés du rapport, rédigé par le secrétariat du conseil de coordination aux droits de l’homme du Premier ministre turc en février dernier. Ce rapport avait été inclus dans le 8e plan quinquennal au développement du DPT, l’organisation d’Etat au plan.

Le nouveau rapport examine la situation des autres pays européens en se penchant plus particulièrement sur le cas de la France. Il soulève également que l’article 26 de la Constitution turque est en opposition avec l’article 39 du traité de Lausanne. Ce dernier dispose : " Aucune restriction devrait être imposée sur le libre usage par les nationaux turcs des langues, dans la vie privée, le commerce, la religion, la presse, ou dans les publications de toutes réunions publiques ". La Turquie ne reconnaît le statut de minorité qu’aux communautés non-musulmanes.