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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 188

19/12/2000

  1. AU MOINS 19 MORTS DANS LES OPÉRATIONS MILITAIRES CONRE LES GRÉVISTES DE LA FAIM DANS LES PRISONS TURQUES
  2. LE PRÉSIDENT TURC OPPOSE SON VÉTO À LA LOI SUR L’AMNISTIE
  3. LA POLICE TURQUE S’INSURGE CONTRE SES CHEFS ET LE GOUVERNEMENT
  4. LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME JUGE RECEVABLE LA REQUÊTE D’ABDULLAH OCALAN
  5. LA TURQUIE CONDAMNÉE À STRASBOURG POUR HOMICIDE COMMIS PAR DES POLICIERS
  6. SOMMET DE NICE : LA TURQUIE DESANCHANTÉE...
  7. LE PRÉSIDENT TURC A MIS UN TERME À LA FONCTION DU PROCUREUR GÉNÉRAL VURAL SAVAS


AU MOINS 19 MORTS DANS LES OPÉRATIONS MILITAIRES CONRE LES GRÉVISTES DE LA FAIM DANS LES PRISONS TURQUES


Au 61ème jour de la grève de la faim lancée par 250 détenus liés aux groupes de gauche protestant contre le projet de nouvelles prisons, dites de type F-- cellules pour 2 à 3 personnes que les détenus qualifient de " cercueils " et remplaçant le système actuel de dortoirs de 50 à 60 personnes-- les forces de l’ordre ont, le 19 décembre, donné l’assaut. L’opération a fait au moins 19 morts, dont deux militaires. Les tentatives de médiation avaient été interrompues le 15 décembre.

C’est à l’arme automatique que les gendarmes ont investi les établissements pénitentiaires. Des policiers appuyés par des gendarmes, corps d’armée chargé d’assurer la sécurité dans les prisons, ont lancé simultanément des opérations de " sauvetage " à 05h00 contre une vingtaine de prisons à travers la Turquie- Il s’agit des prisons de Bayrampasa et d’Umraniye à Istanbul, d’Ulucanlar à Ankara, ainsi qu’à Ceyhan, Bursa, Aydin, Buca, Usak, Çanakkale, Kirsehir, Kahramanmaras, Nigde et Çankiri.

Selon le ministre turc de la justice, Hikmet Sami Turk, parmi les victimes, au moins deux se sont suicidées dès les premières heures de l’assaut en s’immolant par le feu. Une détenue à Umraniye, se serait immolée et jetée contre les forces de l’ordre qui auraient riposté par des coups de feu. M. Turk a d’autre part confirmé le début des transferts dans la prison type F de Sincan alors que qu’il avait reporté, le 9 décembre, l’entrée en fonction du nouveau système carcéral à une date ultérieure.

" Ils ont brûlé vives six femmes ! ", hurlaient deux prisonnières sur des civières, arborant des brûlures au visage, alors qu’elles étaient transportées vers un hôpital. Ces scènes diffusées par la chaîne CNN-Turk, semblent contredire les déclarations du ministre de la Justice qui parle, lui, d’immolations de détenus.

À Istanbul, Me Eren Keskin, responsable local de l’association turque des droits de l’homme (IHD) et une trentaine de personnes ont été placés en garde-à-vue, suivi dans la journée de nombreuses autres détentions. Les familles des détenus se sont également rendues sur les lieux exigeant des nouvelles de leurs proches. Depuis une quinzaine de jours les députés kurdes, Orhan Dogan, Leyla Zana, Hatip Dicle et Selim Sadak avaient eux aussi rejoint le mouvement de protestation. Les gendarmes sont intervenus dans leur dortoir et ont voulu les hospitaliser. Devant leur refus, ils n’ont pas usé de la force pour les y contraindre.

La presse reste totalement tenue à l’écart, notamment à deux km de la prison d’Ulucanlar. Les organisations de défense des droits de l’homme ont vivement critiqué le fait que les seules sources d’information soient officielles. Face à une protestation pacifique, le gouvernement turc n’a su une nouvelle fois réagir que par la répression. Pourtant depuis quelques semaines, des journalistes et intellectuels turcs et kurdes dont l’écrivain Yasar Kemal, faisaient appel au Premier ministre turc pour ne pas laisser mourir ces détenus en se référant à Gandhi et à l’Inde que le Premier ministre B. Ecevit affirme admirer.

LE PRÉSIDENT TURC OPPOSE SON VÉTO À LA LOI SUR L’AMNISTIE


Le Premier ministre turc Bulent Ecevit a déclaré, le 16 décembre, que son gouvernement passerait outre au veto présidentiel sur un projet de loi controversé qui pourrait permettre la libération de près de la moitié des 72.000 détenus que compte le pays.

Le président Ahmet Necdet Sezer a refusé la veille d'approuver ce texte, le jugeant injuste, inéquitable et susceptible de porter atteinte à la confiance de la population dans la justice et dans la loi.

Les familles des victimes des détenus libérables, qui sont pour la plupart des droits communs, se sont farouchement opposées à ce projet de loi, qui réduit les condamnations de 10 ans, mais le gouvernement turc cherche actuellement à désengorger ses prisons, où se multiplient les émeutes et les prises d'otages. De plus, la loi d’amnistie, votée en première lecture le 8 décembre par 297 voix contre 72 au Parlement turc, est totalement décriée par l’opinion publique qui comprend mal que " la loi amnistie le violeur ayant assassiné sa victime et non celui qui ne l’aurait pas tué ". Outre les iniquités criantes de la loi concernant les prisonniers de droit commun, il n’y aura qu’une centaine de prisonniers politiques, condamnés pour délit de presse, qui pourrait en bénéficier. " Si l’Etat veut amnistier, il devrait d’abord pardonner ceux qui l’ont offensé " avancent les familles des victimes et plus largement l’opinion publique. Par ailleurs, des membres des organisations mafieuses comme Haluk Kirci, sept fois condamnés à la peine de mort, mais aussi son ami Mehmet Ali Agca, auteur des coups de feu en 1981 contre le Pape, condamné à 10 ans de prison pour le meurtre d’Abdi Ipekçi, rédacteur en chef du quotidien Milliyet, seront couverts par la loi. Mieux encore mais beaucoup plus occulté, 95 parlementaires de tout bord, de Mehmet Agar (indépendant, ancien ministre de l’intérieur sous étiquette DYP) à Nazli Ilicak, député du parti de la Vertu (FP), impliqués dans des scandales, etc…pourront bénéficier de la loi. La loi d’amnistie exclut Leyla Zana et les trois autres députés, condamnés à 15 ans de prison pour avoir défendu les droits des kurdes, tout comme elle exclut la quasi totalité des prisonniers politiques kurdes. Tous ceux qui espéraient une véritable amnistie libérant ces derniers et permettant aux quelques milliers de combattants du PKK de déposer les armes contribuant ainsi à établir un climat de paix civile et de réconciliation, sont déçus.

Si le Parlement adopte de nouveau le projet de loi sans faire de changement, le chef de l'Etat ne pourra pas opposer son veto une seconde fois, mais il pourra demander à la Cour constitutionnelle de l'annuler.

LA POLICE TURQUE S’INSURGE CONTRE SES CHEFS ET LE GOUVERNEMENT


Prétextant une opération à l’arme automatique le 11 décembre contre un car de policiers faisant deux morts et plusieurs blessés dans le quartier Gazi à Istanbul, les forces de l’ordre turques ont manifesté dans plusieurs villes en brandissant leurs armes et criant des menaces contre les autorités de l’Etat, les organisations civiles et illégales, les intellectuels et les grévistes de la faim. Dans plusieurs villes, dont Istanbul et Izmir, les émeutiers ont rudoyé les chefs locaux de la police et menacé de les lyncher. Voici quelques slogans criés par les manifestants: " Nous vendrons celui qui nous vendra", " le gouvernement prend la loi d’amnistie et détruit la", " Organisations (y compris civiles) venez dans la rue, nous avons des armes", "Ankara, Ankara, entend-nous. Ce sont les agiles pas de la police.Nous trahirons ceux qui nous auraient trahis", " La police est ici, où sont donc les intellectuels?" "œil pour œil, dent pour dent. L’Etat ne négocie pas avec les traîtres".

Certains ont mis en avant le niveau de vie très bas des policiers pour expliquer le mouvement, mais nombreux étaient ceux qui ont critiqué leur niveau de formation. Fatih Altayli, journaliste au quotidien turc Hurriyet écrit à ce propos : " s’ils n’étaient pas devenus des policiers, ils seraient des terroristes ". En fait, la plupart des policiers ont été recrutés dans les rangs de l’extrême droite en vue de combattre les nationalistes kurdes et la gauche démocratique. Selon le professeur Dogu Ergil " ces événements sont très graves, mais prévisibles. Ils ont été entraînés sur cette voie (…) Leurs slogans reflètent leurs propres perceptions d’un pouvoir oppressif d’un régime oppressif ".

Le Premier ministre Bülent Ecevit a déclaré que certaines personnes avaient appuyé sur un bouton pour déclencher le mécontentement. Toute la presse a repris l’idée en cherchant partout les coupables qui auraient appuyé sur ce bouton et le ministre de l’intérieur Sadettin Tantan a déclaré le 18 décembre que 64 policiers avaient été mis a pied du fait de leur participation active à la manifestation.

LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME JUGE RECEVABLE LA REQUÊTE D’ABDULLAH OCALAN


La requête d’Abdullah Ocalan concernant de multiples violations de ses droits lors de son procès en Turquie a été jugée recevable par la Cour européenne des droits de l'Homme à Strasbourg. Une chambre de sept juges des droits de l'Homme a déclaré recevable jeudi la requête d'Ocalan concernant des violations de ses "droits à la vie", à l'"interdiction des mauvais traitements", à "la liberté et à la sûreté", à un "procès équitable", à la "liberté de pensée, de conscience et de religion, ainsi qu'à la "liberté d'expression". A. Ocalan a également obtenu que la Cour de Strasbourg examine au fond ses allégations de violations de son droit à ne pas être condamné à une peine "pour une action qui ne constitue pas une infraction au moment où elle a été commise" et à "bénéficier d'un recours effectif". En outre, les juges de Strasbourg ont déclaré recevables les allégations d'Ocalan concernant des violations de ses droits "au respect de sa vie privée et familiale", à "l'interdiction de la discrimination", à la "limitation de l'usage des restrictions aux droits" et au "droit à un recours individuel".

En revanche, la Cour européenne des droits de l'Homme a écarté les plaintes d'Ocalan concernant deux aspects accessoires de sa requête comme le "droit pour toute personne appréhendée d'être informée des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle".

Les sept juges, au vu de la complexité de l'affaire, ont décidé de confier à la Grande chambre (composée de 17 juges) le soin de se prononcer sur le fond. Cette décision ne devrait pas intervenir avant plusieurs mois alors que la Turquie a suspendu l'exécution d'Ocalan dans l'attente de la décision de la Cour des droits de l'Homme. L'abolition de la peine de mort est l'un des critères d'une adhésion de la Turquie à l'UE.

La Turquie a minimisé l'impact de la recevabilité par la Cour européenne des droits de l'Homme de la requête, alors que ses défenseurs ont salué ce jugement. "Il ne s'agit que d'une décision en faveur de la recevabilité d'une requête", a dit laconiquement le ministre turc de la Justice Hikmet Sami Turk.

Me Hasip Kaplan a qualifié d'"important pas" le jugement, saluant la décision de la cour de sept juges de confier à la Grande chambre (composée de 17 juges) le soin de se prononcer sur le fond.

LA TURQUIE CONDAMNÉE À STRASBOURG POUR HOMICIDE COMMIS PAR DES POLICIERS


La Cour européenne des droits de l'Homme a, le 14 décembre, condamné à Strasbourg le gouvernement turc pour un homicide commis par trois policiers qui avaient tiré une rafale de 50 à 55 balles sur un Kurde, à travers la porte de son appartement.

À l'unanimité, les juges européens ont conclu à la violation du droit à la vie de Mehmet Gul et relevé que les autorités turques avaient failli à leur obligation de mener une enquête effective sur les circonstances de la mort de la victime.

À l'unanimité également, la Cour a condamné la Turquie à verser un montant total de 142.622,82 euros à la famille de Mehmet Gul. Sa veuve et ses trois enfants recevront la somme de 35.000 livres sterling pour dommage matériel et 20.000 livres pour dommage moral. Le père de la victime, seul requérant, recevra 10.000 livres pour dommage moral et 21.000 livres pour frais et dépens.

Dans la nuit de 7 au 8 mars 1993, Mehmet Gul avait été criblé de balles par trois policiers, lors d'une perquisition domiciliaire dans le cadre d'une enquête sur les activités du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). L'homme avait été touché alors qu'il était en train de déverrouiller la porte de son appartement où il vivait avec sa famille, dans la petite ville de Bozova (Kurdistan).

En 1996, après une enquête comportant "d'importantes lacunes", notamment le fait que le procureur n'a pas entendu les policiers, selon les juges européens, les policiers avaient été acquittés, le tribunal pénal de Sanliurfa estimant qu'ils n'avaient commis aucune faute.

SOMMET DE NICE : LA TURQUIE DESANCHANTÉE...


La Turquie est restée en marge du convoi de l'élargissement à l'issue du sommet de Nice, après avoir passé sa première année de candidature à débattre sans avancée notable des réformes politiques indispensables à son intégration au Club européen. Son statut différent de celui des autres candidats, qui ont déjà entamé des négociations d'adhésion, lui a pourtant laissé un strapontin. Mais elle s'est offusquée qu'elle ne soit même pas mentionnée dans les conclusions du sommet des Quinze.

" Ils auraient pu inclure une petite explication. Il est évident qu'ils ont négligé ce point. Ils auraient pu être plus attentifs de façon à ne pas créer un malaise de notre côté", a commenté un diplomate turc sous couvert de l'anonymat.

" On n'accorde pas encore à la Turquie la place qu'on lui a officiellement donnée à Helsinki", a reconnu un diplomate européen sous couvert de l'anonymat. "En toile de fond, il y a une série d'hésitations" à l'égard de ce pays, a-t-il ajouté. " De son côté, la Turquie ne fait pas suffisamment pour montrer qu'elle est candidate", a-t-il estimé. Cette "absence" à Nice a suivi un mois de tensions pendant lequel la Turquie a discuté du "partenariat d'adhésion" proposé par l’UE, irritée de voir qu'il incluait dans les critères politiques un soutien aux efforts de l'ONU pour régler la question de l'île divisée de Chypre.

Ce texte énumère les réformes politiques et économiques nécessaires pour ouvrir des négociations d'adhésion. Encore, ne comprend-il pas tous les critères politiques sur la démocratie et les droits de l'Homme, condition sine qua non à l'ouverture de ces négociations. Sur ce plan, l'an un de la candidature, déclarée recevable par le sommet d'Helsinki en décembre 1999, se solde par un bilan proche de zéro. Ankara doit toutefois prochainement publier un "programme national" répondant au partenariat, mais a prévenu qu'il comptait y définir elle-même ses priorités. Cela laisse augurer qu'il ne correspondra pas tout à fait aux demandes européennes.

"Le fait que la Turquie n'ait même pas été mentionnée renforce le camp de ceux qui sont opposés en Turquie à son adhésion", estimait en outre un éditorialiste du quotidien libéral Yeni Binyil.

Déjà, les tensions au sein du gouvernement de coalition disparate de Bulent Ecevit n'ont pas aidé à forger un consensus sur les réformes à mener. Ainsi, une question aussi symptomatique que l'autorisation d'une télévision en kurde continue d'être l'objet d'une vive polémique. M. Yilmaz s'est prononcé pour, M. Ecevit a laissé entendre que le gouvernement devait s'en occuper rapidement, le MHP y est hostile. La puissante armée turque s'y montre également opposée dans son rapport annuel sur la lutte menée depuis seize ans contre le parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Troublante coïncidence, ce rapport a été publié au moment même où M. Ecevit se trouvait à Nice.

LE PRÉSIDENT TURC A MIS UN TERME À LA FONCTION DU PROCUREUR GÉNÉRAL VURAL SAVAS


Le président turc, Ahmet Necdet Sezer, a nommé le 18 décembre, M. Sabih Kanadoglu, au poste de procureur général près de la Cour de cassation.

Le haut Conseil de la cour de cassation s’était réuni le même jour pour élire le remplaçant de Vural Savas, qui était à nouveau candidat à ce poste. Le président turc a choisi de nommer M. Kanadoglu malgré les 153 voix obtenues par M. Savas contre 104 pour M. Kanadoglu. Le nouveau procureur devrait prendre ses fonctions le 21 janvier 2001. Le président Sezer s’était opposé sur de nombreux sujets au procureur Savas, conservateur et farouchement pro-militaire, et réagissant aux nombreuses déclarations de M. Savas, il avait récemment déclaré que le parquet général ne devait pas se politiser.