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Liste
NO: 200 |
4/5/2001 CÉLÉBRATION DE LA LIBERTÉ DE LA PRESSE EN TURQUIE : LE PARLEMENT TURC INTERDIT LA PRESSE DE SES COULISSESLe Parlement turc a célébré à sa manière la journée mondiale de la liberté de la presse en décidant le 2 mai d’interdire la presse de ses coulisses. Après trois heures et demi de réunion présidée par le président du Parlement turc Ömer Izgi (parti de l’Action nationaliste-- MHP) et sur proposition du vice-président du Parlement Ali Iliksoy (parti de la Gauche démocratique -DSP), le bureau de la présidence du Parlement a voté à l’unanimité l’interdiction de la presse de ses coulisses. Les coulisses sont désormais interdites aux journalistes, aux visiteurs, aux assistants des députés, aux gardes du corps et aux conseillers. Le bureau de la présidence entend ainsi faire taire les critiques à l’égard des dépenses des députés et du Parlement turcs. Une telle interdiction avait été édictée précédemment après le coup d’état militaire du 12 septembre 1980. À l’époque note le quotidien Hurriyet du 3 mai, les journalistes, régis par la discipline militaire, étaient même obligés de se mettre en rang pour aller déjeuner. Le quotidien souligne également que sous le gouvernement de Turgut Özal, la même proposition avait vu le jour mais ce dernier s’y était fermement opposé. Cette nouvelle ne semble guère perturber Oktay Eksi, éditorialiste du même quotidien mais aussi président du Conseil de la presse turque, qui consacre le même jour ses colonnes aux rapports selon lui infondés et injustes sur la situation de la presse en Turquie, et fustige à ce titre l’association Reporters sans frontières, mais aussi le Comité de protection des journalistes et World Association of Newspapers, qui condamnent la situation de la presse en Turquie. BULENT ECEVIT RÉELU À LA TÊTE DE SON PARTI ALORS QUE SON SEUL ADVERSAIRE A ÉTÉ INSULTÉ, BRUTALISÉ ET MUSELÉ PENDANT LE CONGRÈS DU PARTILe Premier ministre Bulent Ecevit a été largement réélu, le 29 avril, à la tête de son Parti de la gauche démocratique (DSP) réuni en congrès, éliminant sans surprise son unique adversaire, et ce malgré les appels au changement. Le vieux leader, âgé de 76 ans, s'est assuré un total de 963 voix sur 1084 bulletins valides, sa rivale Mme Sema Piskinsut ne totalisant que 86 votes en sa faveur. Le Premier ministre a salué un congrès qui s'est déroulé " dans la paix et le calme ", affirmant que la Turquie avait " plus que jamais besoin d'un parti comme le DSP ". Il n'a fait aucune mention des incidents au cours desquels son adversaire, l’ancienne présidente de la commission parlementaire des Droits de l'Homme, Mme Sema Piskinsut, ainsi que son fils, ont été molestés par des partisans du Premier Ministre opposés à sa candidature. Les télévisions ont montré des images où on la voit protégée par ses gardes du corps et soustraite aux assauts de ses adversaires. Avant de quitter les lieux, elle a regretté les " atteintes à la démocratie " dont elle s'est estimée victime. Également privée de son droit de parole à la tribune pour présenter son programme, Mme Piskinsut, première femme à présenter sa candidature à la direction du parti, a en outre dû retirer la liste de ses candidats pour le comité directeur et le conseil de discipline du parti. La candidate malheureuse, âgée de 49 ans, n'a eu aucune chance malgré son passé à la tête de la commission parlementaire des Droits de l'Homme durant trois ans qui lui avait conféré une réputation de courage, à force d'interventions surprises dans les commissariats de police pour dénoncer la pratique de la torture. Mais le DSP, fondé en 1985 par la femme du Premier Ministre, Rahsan Ecevit, alors que son mari était banni de politique par les dirigeants militaires du pays, est resté fidèle à sa tradition d'organe fortement centralisé et étroitement contrôlé par le dirigeant en place, à l'instar des autres formations politiques du pays. Dans son discours-programme, le Premier Ministre a rappelé l'importance pour une Turquie ravagée par une crise économique et financière sans précédent que sa coalition gouvernementale tripartite demeure au pouvoir. " Un changement de gouvernement compromettrait les efforts pour mettre l'économie sur les rails. Nous menons une intense bataille économique et nous la gagnerons ", a déclaré M. Ecevit. M. Ecevit a ainsi répondu indirectement aux appels insistants pour qu'il mette un point final à une carrière de 44 ans au sommet de l'Etat et de son parti, le DSP fondé en 1987 et auparavant le Parti Républicain du peuple (CHP). Il a montré au contraire qu'il était déterminé à continuer, stigmatisant ceux qui estiment que le DSP n'est pas une formation " honorable ", et affirmant " avoir fait la preuve que le DSP est magnifique, consciencieux et résolu ". ÉCLABOUSSÉ PAR DES AFFAIRES DE CORRUPTION, LE MINISTRE TURC DE L’ÉNERGIE DÉMISSIONNELe Premier ministre turc Bulent Ecevit a annoncé, le 27 avril, qu'il avait accepté la démission de son ministre de l'énergie qui est mêlé à une affaire de corruption. Cumhur Ersumer, qui avait présenté sa démission la veille, est touché par un scandale éclaboussant de hauts responsables du secteur de l'électricité et des investisseurs qui sont accusés d'avoir truqué des appels d'offre publics et touché des pots-de-vin. Le ministre est soupçonné d'avoir lui-même pesé sur les appels d'offre. Devant la presse, le ministre démissionnaire a toutefois rejeté les accusations le concernant, accusant des fonctionnaires sanctionnés d'avoir monté une cabale contre lui. Cumhur Ersumer est un des dirigeants du Parti de la Mère Patrie (ANAP), l'une des trois formations participant au gouvernement de coalition turc. Son départ a été bien accueilli dans les milieux d'affaires et par la classe politique, pourtant le vice-Premier ministre Mesut Yilmaz avait tout fait pour sauver sa tête allant jusqu’à même critiquer la gendarmerie turque dans l’affaire. Après l'annonce de la démission du ministre de l'énergie, la bourse d'Istanbul a encore fortement progressé, clôturant en hausse de 13,5 %. L'Union européenne et les Etats-Unis, ainsi que les bailleurs de fonds internationaux, avaient exigé d'Ankara une lutte plus sérieuse contre la corruption et ce au plus haut niveau. L'an dernier la police turque avait œuvré en ce sens mais les observateurs craignaient que les mises en cause n'affectent que les seconds couteaux et non pas les hauts responsables politiques tirant les ficelles. LA COUR DE SURETÉ DE L’ETAT CONDAMNE LA " SECONDE DÉLÉGATOIN DE LA PAIX " DU PKKLa Cour de sûreté de l’Etat d’Ankara a, le 2 mai, condamné les cinq membres de la seconde " délégation de la paix " du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), venus de Vienne en Turquie en 1999 " pour contribuer à la paix et montrer la bonne volonté " du PKK. La cour a condamné Haydar Ergül à 18 ans et 9 mois, et Ali Sükran Aktas, Aygül Bidav, Imam Canpolat et Yusuf Kiyak à 12 ans 6 mois pour leurs activités au sein du PKK. RETOUR À LA CASE DÉPART DANS L’AFFAIRE DES POLICIERS TORTIONNAIRES DE MANISALa Cour de cassation turque a, le 2 mai, cassé pour vice de procédure l’arrêt de la cour criminelle de Manisa, qui avait condamné à des peines allant de 5 à 10 ans de prison les 10 policiers ayant torturé 15 adolescents et leur professeur à Manisa au cours de leur détention en garde-à-vue le 26 décembre 1995. La Cour estime que les accusés ne s’étant pas exprimés en dernier lieu avant le verdict, les droits de la défense n’ont pas été respectés. Le verdict de cette affaire reste très important, puisque par décision de la Cour de cassation le sort des 16 victimes, condamnées à des peines allant de deux et douze ans de prison en 1998, reste suspendu à la condamnation des policiers. Si ces derniers sont reconnus coupables, les 15 adolescents de Manisa et leur professeur, arrêtés par la section anti-terreur de la police da Manisa pour " appartenance à une organisation illégale ", seront acquittés. De plus, pour beaucoup il s’agit d’une affaire symbolique, les autorités turques rechignant trop souvent à condamner les policiers tortionnaires. Alors que depuis plus de six ans les 16 victimes de Manisa essayent de voir le bout du tunnel, les 10 policiers tortionnaires, pourtant condamnés, n’ont nullement été inquiétés dans leur profession. 9 d’entre eux sont en fonction, dont 4 toujours à Manisa, et un seul a tranquillement pris sa retraite. LE FONDS MONÉTAIRE INTERNATIONAL ET LA BANQUE MONDIALE ACCORDENT 10 MILLIARDS DE DOLLARS À LA TURQUIELe Fonds monétaire international, FMI, et la Banque mondiale ont à nouveau volé au secours de la Turquie en lui accordant une aide financière supplémentaire d'environ 10 milliards de dollars pour faire face à ses difficultés économiques. En annonçant cette aide le 27 avril, le directeur général du FMI, Horst Koehler, a affirmé qu' " il y a de fortes probabilités que le programme de la Turquie marche mais qu'il n'y a pas de certitude absolue ". L'organisation financière internationale est, il est vrai, échaudée. Un premier plan de soutien d'un montant total de plus de 11 milliards de dollars, dont une aide d'urgence de 7 milliards, décidé en décembre dernier n'a pas suffi à éviter à la Turquie de plonger dans la crise. " Les détails du plan restent à finaliser ", a précisé Horst Koehler. Selon les premières informations, le FMI devrait contribuer à hauteur de 8,5 milliards de dollars et la Banque mondiale de 1,5 milliard de dollars. Il n'apparaît pas encore clairement si d'autres pays vont contribuer directement. Le secrétaire au Trésor américain Paul O'Neill a affirmé qu'il estimait l'aide du FMI " appropriée " mais n'a pas donné d'indication sur un complément qui serait versé par les Etats-Unis. Pour obtenir ce nouveau soutien financier international, le ministre turc de l'Economie, Kemal Dervis, avait présenté mi-avril un nouveau programme de réformes visant à enrayer la crise financière qui sévit dans le pays depuis plus de cinq mois. Priorités de ce plan de redressement : la réforme du système bancaire (les dettes des banques publiques dépassent 2 % du revenu national) et l'accélération des privatisations. Pour le reste, Kemal Dervis s'est engagé à réduire les dépenses publiques de 9 % cette année, mais il a exclu d'avoir recours à de nouveaux impôts, tablant sur une hausse du PIB de 5 % en 2002 après un recul cette année, limité à 3 % " grâce aux exportations et au tourisme ". LE RESPONSABLE D’UN FORUM SUR INTERNET CONDAMNÉ À 40 MOIS DE PRISON POUR AVOIR DIFFUSÉ " DES MOQUERIES ET INSULTES ENVERS LES INSTITUTIONS TURQUES "Pour la première fois en Turquie, le responsable d´un forum sur Internet vient d´être sanctionné par la justice. Caskun Ak, ancien employé du fournisseur d´accès Superonline, a été condamné le 27 mars 2001 à 40 mois de prison pour " moqueries et insultes envers les institutions " par un tribunal d´Istanbul. La justice turque lui reproche de ne pas avoir censuré un texte de 24 pages, qui regroupait des articles de presse et des rapports d´ONG, portant sur les violations des droits de l´homme " dans le Sud-Est " [le Kurdistan turc] alors qu´il assurait la modération du chat. Ayant fait appel, Caskun Ak reste en liberté, mais se dit " très inquiet et surpris... Mon travail se limitait à vérifier que les propos injurieux ou les images pornographiques ne venaient pas polluer les forums. C´était la seule limite fixée par mon employeur. " Aussi, le 26 mai 1999, lorsqu´un internaute envoie un document concernant des meurtres, des agressions et autres arrestations de militants politiques au Kurdistan, Caskun " jette un coup d´oeil sans rien trouver de répréhensible. C´était le sujet du forum à ce moment-là et les autres participants continuaient de discuter. ". Un dénommé Can lui demande promptement de supprimer le message et écrit : " Je porte plainte contre toi si tu ne fais pas ton travail ". Nouveau refus du modérateur. Et Caskun est convoqué par la police à la suite de quatre plaintes déposées par les ministères de l´Intérieur et de la Justice, le Parlement et l´État-major turcs. Pourtant, ni son employeur, ni ses collègues ne soutiennent Caskun, qui est licencié sans motif après sa première audition chez le Procureur. Superonline appartient à un puissant groupe, la Cukurova Holding, qui se doit d´être en bons termes avec les autorités. " Cette condamnation est la première d´une longue liste ", remarque un juriste turc. Caskun a été considéré comme le rédacteur en chef du site, ce qui explique la dureté de la sanction. Pour lui, le ministre de l´Intérieur a profité de l´affaire pour agiter l´épouvantail d´une loi d´encadrement de l´Internet. " Pendant deux heures, j´ai dû expliquer en quoi consistait mon travail à un juge qui ne comprenait rien. À la fin, il m´a même demandé si j´étais l´inventeur de l´Internet ! ", raconte Caskun. Dans l´attente de la décision d´appel, Caskun Ak, 33 ans, a retrouvé un emploi. Il met la dernière touche au site Web d´une maison d´édition. Et jure qu´il veillera à ce qu´aucun texte susceptible de tomber sous le coup de la loi n´y soit jamais mis en ligne. COMPLAISANCE PARTICULIÈRE CONTRE LES PRENEURS D’OTAGES DU SWISS HOTELLe commando pro-tchétchène qui retenait, le 23 avril, en otages 120 personnes au Swiss Hôtel à Istanbul reçoit une nouvelle fois toute la complaisance des autorités turques. Les autorités turques n’ont pas manqué de relativiser la prise d’otages en déclarant qu’il s'agissait essentiellement de la part des " activistes " d'une opération médiatique, daignant ainsi de qualifier les ravisseurs de terroristes. Elle précise qu'à aucun moment de l' " occupation " de l'hôtel ou de l'intervention policière, les clients et le personnel de l'établissement n'avaient été menacés. Pis encore, le ministre du Tourisme Erkan Mumcu a accusé certains médias non précisés d'avoir fait une surenchère dans un " sensationnalisme susceptible de nuire au tourisme ", l'une des ressources essentielles de revenus du pays. D’ailleurs, ce dernier a même tenu une conversation téléphonique avec le chef du commando, qu’il a appelé " mon frère " et poursuivi en demandant " vous ne vous rendez pas compte de ce que vous nous faîtes en cette période de crise ", ce à quoi le ravisseur s’est excusé d’avoir mené cette opération. La police a interpellé 13 hommes, qui ont été conduits au siège de la police d'Istanbul pour interrogatoire. Au nombre des membres du commando arrêtés figure Muhammet Emin Tokcan, qui avait déjà dirigé, en 1996, le détournement par un groupe pro-tchétcène d'un ferry russe de la mer Noire pour protester contre l'intervention militaire russe en Tchétchénie. À l’époque le Parlement turc à l’initiative du gouvernement [coalition entre le parti de la Juste Voie (DYP) et le parti de la Gauche démocratique (DSP) ], voulant éviter l’application de la loi anti-terreur à ces hommes, avait voté une loi cousue de fil blanc pour ce commando, disposant que le détournement d’un véhicule de transport ne constitue pas un acte de terrorisme. Finalement, M. E. Tokcan, avait curieusement réussi à s'évader d'une prison turque en 1997 après avoir purgé moins d'un an d'une peine de huit ans de réclusion. Arrêté de nouveau en 1999 alors qu'il tentait de quitter la Turquie pour la province yougoslave du Kosovo, il a été libéré en 2000 dans le cadre de la dernière amnistie, qui n’est pourtant pas appliquée aux prisonniers politiques pro-kurdes. Aujourd’hui, les autorités turques veulent une nouvelle fois les exonérer en leur appliquant la loi sur la constitution de bande et non les lois anti-terreur. Interrogé sur la question, Bakir Çaglar, professeur à la faculté des sciences politiques, déclare : " ils ont commis un acte terroriste mais sont jugés comme une simple bande…Cette opération est un acte terroriste que ce soit au vu des lois internes ou conventions internationales. Ceux qui accusent l’Occident d’employer un double standard doivent se regarder dans un miroir… " La cause tchétchène est particulièrement populaire parmi l'opinion publique turque, car cette république du sud de la Russie est peuplée de musulmans et nombre de Turcs ont pour origine la région du Caucase. Cette prise d'otages est d'ailleurs intervenue exactement cinq ans après que le premier président de la Tchétchénie, Djokhar Doudaïev, qui avait conduit l'insurrection contre le pouvoir central de Moscou, eut été tué par un missile russe. Le mois dernier, d'autres malfaiteurs réclamant la fin de la guerre en Tchétchénie avaient pris en otage les passagers d'un avion russe qui faisait route entre Istanbul et Moscou. L'avion s'était posé en Arabie saoudite. Un raid des forces saoudiennes avait permis de libérer les 170 otages. Un preneur d'otage et un membre d'équipage avaient été tués. Nombre d’observateurs se demandent si ce ne sont pas les services spéciaux turcs qui sont derrière ces opérations spectaculaires déclenchées comme par hasard lors de graves crises politiques turques pour détourner l’attention de l’opinion publique. À l’appui de cette thèse : la mansuétude dont bénéficient ces preneurs d’otages dans un pays où même des adolescents, comme ceux de Manisa ou de Mardin sont condamnés à de lourdes peines de prison pour avoir crié un slogan, écrit des graffitis anti-militaristes ou porté des pancartes " subversives ". |