15/10/2002
LE PARLEMENT KURDE RÉUNI EN SESSION PLÉNIÈRE RATIFIE L’ACCORD DE WASHINGTON, LA TURQUIE MULTIPLIE LES MENACES La Turquie a multiplié ses menaces depuis que les deux principales formations kurdes contrôlant le Kurdistan irakien, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et l'Union patriotique du Kurdistan (UPK), ont organisé le 4 octobre une session de leur parlement, pour la première fois depuis six ans. Face à une possible attaque des Etats-Unis en Irak, la Turquie hésite entre son soutien traditionnel au grand frère américain et sa hantise non moins traditionnelle des Kurdes. “ L'établissement d'un Etat kurde indépendant près de nos frontières serait inacceptable ”, a martelé le 6 octobre le Premier ministre turc Bulent Ecevit. “ Nous allons bien observer ce qui se passe dans le nord de l'Irak et nous prendrons les mesures nécessaires si le moindre changement négatif apparaîssait ”, a déclaré le Premier ministre lors d'une interview sur la chaîne de télévision TV8. À la question de savoir si ces “ mesures ” pourraient inclure une opération militaire, M. Ecevit a répondu : “ J'espère que non, mais si cela s'avère nécessaire, (cette option) pourrait être envisagée, bien sûr ”. M. Ecevit a également commenté avec circonspection le message du secrétaire d'Etat américain Colin Powell au parlement des Kurdes d'Irak se félicitant de l'accord intervenu entre le PDK et l'UPK et les appelant à persévérer dans la voie de la paix. “ Je ne sais pas dans quelle intention ce message a été envoyé. Mais si cette initiative a été prise en ayant à l'esprit un objectif de création d'un Etat indépendant, nous ne la saluerons pas et nous ne la considèrerons pas comme un acte amical. Mais je ne crois pas que telle était son intention ”, a conclu le chef du gouvernement turc.
Le Parlement du Kurdistan a ratifié à l’unanimité l'accord, signé en 1998 à Washington entre les chefs du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) Massoud Barzani et de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) Jalal Talabani, qui ont participé à la séance en présence de Mme Danielle Mitterrand, présidente de la Fondation France-Libertés et du CILDEKT, venue saluer l’accord de paix.
“ Les Kurdes ne menaceront pas la sécurité et la stabilité de leurs voisins et nous sommes prêts à donner des assurances ”, a affirmé Massoud Barzani, lors de son intervention. Pour sa part, M. Talabani a souligné que le soutien des Kurdes à un Irak fédéral signifiait “ la sauvegarde de l'unité irakienne ce que le gouvernement irakien n'a pas fait ”. Le PDK et UPK veulent créer un Etat fédéral en Irak au sein duquel les Kurdes disposeraient d'une large autonomie. “ Ce jour n'est pas de moindre importance que celui qui a vu l'élection de ce Parlement ”, a poursuivi M. Barzani, avant de présenter ses excuses pour les victimes des combats meurtriers entre les deux formations rivales qui ont fait quelque 3.000 morts. Le chef du PDK a remercié les gouvernements américain, britannique et turc pour la protection qu'ils offrent au Kurdistan, en renforçant la zone d'exclusion aérienne imposée par Washington et Londres sur le Kurdistan irakien.
La Turquie, qui maintient depuis plusieurs années des soldats dans le Kurdistan irakien, affirme son attachement à l'intégrité territoriale de son voisin, mais n'hésite pas à revendiquer un droit de regard sur le Kurdistan irakien et le droit d'y défendre les intérêts de la minorité turcomane. “ Les ressources naturelles de l'Irak ne sont pas des ressources qui peuvent être octroyées à tel ou tel élément du peuple irakien ”, affirmait récemment le ministre turc des Affaires étrangères Sukru Sina Gurel selon lequel il faut empêcher les Kurdes de s'approprier les riches puits de pétrole de la région de Kirkouk. “ Comme nous l'avons fait à Chypre, nous prendrons le moment venu ce qui nous revient de droit à Mossoul et Kirkouk ”, affirmait plus énergiquement encore le 6 octobre le président du parlement turc, l'ultranationaliste Omer Izgi. “ La Turquie devrait prendre l'initiative et ses forces armées prendre le contrôle du nord de l'Irak, plus ou moins jusqu'au 36e parallèle ” avant toute opération militaire américaine, avance pour sa part le général à la retraite et spécialiste de géopolitique Armagan Kuloglu. Ceci permettrait “ d'endiguer l'afflux de réfugiés, de garantir la sécurité des Turcomans et d'empêcher les Kurdes de devenir économiquement forts en prenant la région de Mossoul et de Kirkouk ”, ajoute-t-il, estimant que 30.000 à 40.000 hommes suffiraient à la tâche. “ La Turquie perdra beaucoup si elle ne prend pas une part active ” au renversement du président irakien Saddam Hussein, estime lui aussi le général à la retraite Cevik Bir. Et d'ajouter : “ la Turquie devrait se préparer à une opération qui semble inévitable .
L'été dernier le parlement turc, soucieux de l'attitude de l'Union européenne que le pays voudrait rallier, a autorisé l'enseignement privé et la diffusion radio-télévisée en langue kurde. Cette réforme qui demeure contestée, notamment par les ultra-nationalistes, n’a toujours pas d’application effective.
Dans un entretien au journal Milliyet publié le 9 octobre, Bulent Ecevit a de nouveau qualifié d' “ inacceptable ” le projet kurde de Constitution, affirmant que celui-ci “ ignore ” l'administration centrale. “ Ce projet en l'état est inacceptable (...) Si ce projet qui ignore Bagdad est adopté et officialisé, la Turquie ne l'acceptera pas ”, a-t-il averti. “ Le projet de Constitution prévoit un statut (pour le Kurdistan irakien) proche de l'indépendance ”, selon M. Ecevit. Le Premier ministre turc s'est montré irrité le 12 octobre par la proclamation d'une “ capitale ”, estimant que les choses allaient “ trop loin ”. “ Les choses sont allées trop loin désormais ”, a déclaré le chef du gouvernement. “ Il nous faut discuter de ces questions plus précisément, plus en profondeur, avec ceux qui sont concernés, en premier lieu les Etats-Unis ”, a souligné M. Ecevit, estimant que l'annonce de la “ Constitution ” kurde était une “ tromperie ”. “ C'est une situation véritablement inquiétante, une situation que nous ne pouvons pas accepter ”, a-t-il encore indiqué, promettant de “ se saisir du sujet ”. “ Jusqu'à présent, cette question était plus une question de sécurité ” (pour la Turquie), a estimé Bulent Ecevit, “ mais ce n'est plus suffisant, nous devons en discuter d'un point de vue politique ” avec les Etats-Unis. Milliyet daté du 13 octobre écrivait d’ailleurs à la Une la petite phrase de M. Ecevit : “ Nous sommes poussés à la guerre… Au nord de l’Irak, on a dépassé les bornes… La Turquie est conduite malgré elle vers la guerre… ”.
L’UNION EUROPÉENNE N’OUVRE PAS DE NÉGOCIATIONS AVEC LA TURQUIE QUI NE REMPLIT PAS LES CRITÈRES POLITIQUES La Turquie “ ne remplit pas pleinement les critères politiques ” pour engager avec l'Union européenne des négociations sur son adhésion, affirme un rapport de la Commission de Bruxelles qui a été rendu public le 9 octobre. La Commission européenne va proposer comme prévu l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux pays en 2004 mais renvoie à plus tard le problème ultra sensible de la candidature turque. La Commission recommande aux quinze Etats membres de l'UE d'accueillir la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie, la Lituanie, la Lettonie, l'Estonie, Malte et Chypre. Ces dix pays ont été désignés au sommet européen de Laeken, en décembre 2001, comme susceptibles de terminer leurs négociations d'adhésion pour la fin 2002 et, après ratification des traités, d’adhérer à l'UE, à temps pour les élections au Parlement européen de juin 2004. Le rapport de la Commission s'annonce dès lors sans surprise, même si la candidature de Chypre suscitait des interrogations ces derniers mois.
La Turquie espérait que le Conseil européen, prévu en décembre 2002 à Copenhague, qui sera consacrée principalement à l'élargissement de l'Europe des Quinze, fixerait une échéance pour l'ouverture de pourparlers en vue de son adhésion. Mais le document de la Commission ne mentionne aucune date. L'exécutif européen se borne à encourager la Turquie à poursuivre la voie des réformes démocratiques et recommande de lui fournir une aide plus importante en attendant qu'elle remplisse pleinement les critères pour son adhésion. La Commission européenne attendra la fin des élections législatives du 3 novembre en Turquie pour fixer la date des négociations avec Ankara afin de ne pas influencer la campagne électorale, avait annoncé le 4 octobre Gunter Verheugen, le commissaire européen chargé des questions d'élargissement. Cette décision “ politique ” sera renvoyée aux chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze lors du sommet de Copenhague les 12 et 13 décembre. Il a par ailleurs jugé “ absurde ” les informations publiées par la presse allemande selon lesquelles Bruxelles souhaiterait verser un milliard d'euros d'aide annuelle à Ankara au lieu d'ouvrir les négociations d'adhésion.
En matière de droits de l'Homme, les réformes votées en août par le parlement turc “ sont d'une ampleur particulièrement importante ”, note le rapport, tout en soulignant qu'elles présentent des “ limitations significatives ”, notamment à la liberté d'expression, d'association ou de liberté religieuse. La Commission déplore la décision du Haut Conseil électoral turc de déclarer inéligible pour le scrutin du 3 novembre "le chef d'un parti politique important",allusion transparente à Recep Tayyip Erdogan, dirigeant du parti pro-islamiste de la Justice et du Développement (AK). Cette décision “ est contraire à l'esprit des réformes ” votées il y a deux mois, relève l'exécutif communautaire qui dénonce aussi la pratique récurrente de la torture dans les prisons. La Turquie doit mettre en œuvre davantage de réformes avant d’engager avec l'Union européenne des négociations sur son adhésion, affirme le rapport de la Commission. La Commission exhorte aussi Ankara à placer les puissantes instances militaires sous l'entier contrôle des civils.
Dans son rapport, l'exécutif européen exhorte aussi la Turquie à soutenir d'ici la fin de l'année les efforts de règlement de paix à Chypre. Mais il réaffirme qu'en l'absence de règlement, l'UE admettrait si nécessaire la partie de l'île administrée par le gouvernement chypriote grec, reconnu par la communauté internationale, laissant à l'extérieur les Chypriotes turcs sécessionnistes dont la république autoproclamée n'est reconnue que par Ankara. La Commission a promis qu'en cas d'accord, la partie chypriote turque recevrait une aide considérable de l'UE pour rattraper son retard sur les Chypriotes grecs à l'économie plus développée.
La Commission souligne les progrès accomplis par la Turquie pour réformer et consolider son économie, en vue d'un rapprochement avec l'UE. Mais elle pointe les déficiences encore nombreuses, notamment en matière de restrictions des investissements étrangers et juge “ capital de continuer à juguler la forte inflation chronique élevée et de maintenir la discipline fiscale ”. À défaut d'avancer une date pour ouvrir des négociations d'adhésion à l'UE, la Commission encourage Ankara à “ faire avancer la cause de sa candidature ” en poursuivant ses réformes et propose que l'aide européenne totale à la Turquie (177 millions d'euros par an) “ puisse être au moins doublée pour 2006 ”.
Cette absence de date a été immédiatement dénoncée par le vice-Premier ministre turc Mesut Yilmaz, chargé des relations européennes, selon lequel le rapport de la Commission est “ loin de répondre aux attentes ” de son pays. “ De façon générale, la Turquie a accompli des progrès remarquables (...) et plus particulièrement pendant l'année écoulée ”. “ Néanmoins, la Turquie ne remplit pas pleinement les critères politiques ” qui permettraient d'arrêter une date pour engager avec elle des pourparlers formels d'adhésion.
LA PEINE DE MORT D’ABDULLAH OCALAN COMMUÉE EN RÉCLUSION À PERPÉTUITÉ La Cour de sûreté d'Ankara a commué le 3 octobre la peine capitale pour “ trahison et séparatisme ” prononcée en juin 1999 à l'encontre du chef du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Abdullah Ocalan. Le Conseil de l'Europe s'est félicité le lendemain de la décision de la Cour de sûreté d'Ankara et a indiqué dans un communiqué : “ Cette décision judiciaire de la plus grande portée politique est la suite logique des changements constitutionnels et juridiques ayant consisté récemment à abolir la peine de mort en temps de paix et à aligner plusieurs aspects fondamentaux de la législation turque sur les normes du Conseil de l'Europe, ” a déclaré le président l'Assemblée parlementaire du Conseil Peter Schieder.
La décision de la Cour de sécurité de l'Etat d'Ankara fait suite à l'abolition de la peine de mort en août dernier par les autorités turques afin de se conformer aux critères européens en matière de droits de l'Homme. Au total, une vingtaine de condamnés à mort devraient voir leur peine commuée en prison à perpétuité. Mais l'arrêt de la Cour de sécurité de l'Etat, même s'il n'est qu'une formalité, revêt une forte valeur symbolique dans le pays.
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