|
Liste
NO: 283 |
21/4/2004 LA COUR DE SURETÉ DE L’ETAT D’ANKARA A UNE NOUVELLE FOIS CONDAMNÉ LE PRIX SAKHAROV, LEYLA ZANA ET SES COLLÈGUES : CONSTERNATION CHEZ LES DÉFENSEURS DES DROITS DE L’HOMMELa justice turque a condamné une nouvelle fois le 21 avril à 15 ans de prison quatre ex-députés kurdes, à l'issue d'un nouveau procès voulu par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) qui avait jugé le premier jugement “ inéquitable ”. La Cour de sûreté de l'Etat (DGM) d'Ankara, où le nouveau procès s'était ouvert en mars 2003, a décidé à l'unanimité de ses trois juges de prononcer une sentence identique. Ce verdict, qui confirme la première sentence prononcée en 1994, a aussitôt été condamné par la Commission européenne qui a estimé qu'il pourrait nuire aux aspirations européennes d'Ankara. Leyla Zana, Hatip Dicle, Orhan Dogan et Selim Sadak, anciens députés du parti pro-kurde de la Démocratie (DEP, dissous en 1994), avaient été condamnés lors de leur premier procès en 1994 à quinze ans de prison pour “ soutien au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) ”. La condamnation des quatre ex-députés en 1994 avait pourtant été vivement condamnée en Europe. Première femme kurde, élue députée, Leyla Zana, 43 ans, est devenue un symbole pour l'Union européenne de la volonté de la Turquie à se démocratiser notamment à l'aune de son respect des droits du peuple kurde. Le Parlement européen lui a décerné le prix Sakharov des droits de l'Homme en 1995. En 2001, la CEDH avait critiqué le fait que les accusés n'avaient pas pu faire comparaître tous leurs témoins et que l'accusation avait tardé à notifier de nouvelles inculpations lors du premier procès. Le Parlement turc a depuis autorisé dans le cadre de réformes pro-européennes de nouveaux procès pour les prévenus dont les sentences ont été condamnées par la CDEH. La Turquie espère un feu vert des dirigeants européens en décembre pour entamer des négociations d'adhésion à l'UE à laquelle elle est candidate depuis 1999 et ce procès constituait selon les observateurs une “ vitrine ” de sa volonté de se démocratiser. Les quatre condamnés, emprisonnés depuis dix ans, ne devraient pas sortir de prison d'ici au moins mars 2005. Ils ont une nouvelle fois boycotté le 21 avril la 14 ème audience de la DGM pour protester contre l'attitude inéquitable des juges. Les quatre anciens députés boycottaient depuis plusieurs mois leur procès, protestant contre l'attitude des juges de la Cour de sûreté de l'Etat (DGM). Leur principal avocat, Me Yusuf Alatas, a dénoncé le nouveau verdict “ inéquitable ” de la Cour et précisé que la défense ferait appel devant la Cour de cassation et si nécessaire devant la Cour européenne des droits de l'Homme de Strasbourg. “ Les juges ont agi avec des préjugés (...) Nous avons travaillé pour rien pendant 13 mois ” de procès, à raison d'une audience par mois, a déclaré Me Alatas, estimant que le nouveau procès n'avait pas été plus équitable que le précédent. “ Je dois malheureusement dire avec regret que la Cour européenne annulera ce nouveau verdict et il s'agira alors d'un événement sans précédent ”, a-t-il notamment déclaré. La Commission européenne a “ déploré avec vigueur ” la nouvelle condamnation, disant qu'elle pourrait porter atteinte à la candidature d'Ankara à l'Union européenne. “ La Commission déplore avec vigueur le verdict d'aujourd'hui ”, a déclaré un porte-parole de la Commission européenne, Jean-Christophe Filori. Le verdict “ crée des préoccupations sérieuses dans le contexte des critères politiques (de l'UE) et jette une ombre sur la mise en place des réformes politiques en Turquie ”, a ajouté M. Filori. M. Filori s'est refusé à évaluer l'impact de la condamnation de Leyla Zana sur la position que prendra Bruxelles sur la Turquie. “ Je ne veux pas spéculer sur l'évaluation finale, mais c'est un élément qui sera pris en compte parmi d'autres lorsque nous ferons notre évaluation en octobre ”, a-t-il déclaré au cours du point de presse quotidien de la Commission à Bruxelles. Interrogé sur la possibilité que l'Union entame des négociations d'adhésion avec un pays détenant des prisonniers politiques, M. Filori a déclaré: “ La réponse est non ”. “ Mme Zana a été arrêtée et condamnée pour avoir exprimé des opinions d'une manière pacifique. Elle est donc pour nous une prisonnière politique ”, a-t-il ajouté. Un eurodéputé italien a aussi vivement dénoncé le verdict. “ Les conclusions de ce procès sont honteuses ”, a déclaré devant les journalistes Luigi Vinci, député au Parlement européen venu à Ankara en observateur. Il a estimé que le nouveau procès était également une “ honte ” pour l'UE et la Cour de Strasbourg. M. Vinci s'est déclaré “ solidaire ”, au nom du Parlement européen, des anciens députés emprisonnés estimant que “ le verdict d'aujourd'hui est une insulte à ce pays (Turquie) qui ne mérite pas une telle chose ”. Le député européen s'en est par ailleurs pris aux DGM turques, des juridictions qui, selon lui, constituent “ une relique du faschisme ”, et a demandé leur dissolution. Le président de la Chambre des députés allemands, Wolfgang Thierse, en visite à Ankara, a également dénoncé le jugement. “ Il sera très difficile pour la Turquie de surmonter les effets de ce procès à l'étranger ”, a-t-il déclaré, cité par des sources diplomatiques allemandes. Les milieux politiques pro-kurdes se sont joint aux condamnations. “ Il s'agit d'une mise en scène politique ”, a commenté Osman Ozcelik, le vice-président du Parti démocratique du peuple (DEHAP), une émanation du DEP, interdit et qui pourrait également être interdit bientôt par la justice. La Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH) s'est quant à elle déclaré “ consternée ” par le verdict. La FIDH qui a observé de nombreuses audiences de ce nouveau procès, a dénoncé les atteintes permanentes portées contre le principe d’indépendance et d’impartialité de la cour. Le Collectif pour les droits de l’homme en Turquie, réunissant l’Action des Chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), l’Assemblée citoyenne des originaires de Turquie (ACORT), Amnesty International, section française, France-Libertés, Ligue des droits de l’homme (LDH), Médecins du monde (MDM), Association Primo Lévi et la CIMADE, ont condamné “ avec la plus grande fermeté la décision de la condamnation ”. Le Collectif estime que le “ déroulement du procès depuis sa réouverture s’est illustré par une violation flagrante du droit à un procès équitable, au mépris des termes de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme ”. LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME CONDAMNE LA TURQUIE DANS TROIS AFFAIRES DIFFÉRENTES EN DEUX SEMAINESLa Turquie a été condamnée le 20 avril par la Cour européenne des droits de l'Homme pour n'avoir pas conduit d'enquête effective sur la mort d'un Kurde abattu dans des circonstances inexpliquées. En juin 1994 à Istanbul, Savas Buldan et deux de ses amis avaient été enlevés par des hommes armés et leurs corps avaient été retrouvés quelques heures plus tard à 270 km de là. Les trois hommes avaient été abattus à bout portant. Un suspect de ces meurtres avait ensuite été acquitté faute de preuves. Le requérant Nejdet Buldan, frère d'une des victimes, a affirmé devant la Cour européenne que les trois hommes avaient été enlevés par des agents de l'Etat en civil. Les juges européens ont estimé que “ les preuves disponibles ne permettent pas de conclure au-delà de tout doute raisonnable que le frère du requérant a été tué par des agents de l'Etat ”. En revanche, ils ont jugé que les autorités turques n'avaient “ pas réellement cherché à enquêter au sujet d'une possible implication d'agents de l'Etat dans le meurtre ”. La Cour européenne a ainsi condamné la Turquie pour défaut de réalisation d'une “ enquête effective et adéquate ” (article 2 de la Convention européenne des droits de l'Homme) et pour absence de recours effectif (article 13). La Turquie a également été condamnée à verser 6.000 euros au requérant pour dommage moral et 10.000 euros aux enfants de la victime Savas Buldan. D’autre part, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a condamné le 6 avril la Turquie à verser 7.500 euros de dommages et intérêts à Mehdi Zana, époux de l'ex-députée du parti pro-kurde de la Démocratie (DEP) Leyla Zana, pour “ violation de la liberté d'expression ”. M. Zana, 63 ans, ancien maire de la ville de Diyarbakir, avait été condamné par la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara en mai 1994 à 4 ans d'emprisonnement pour “ propagande séparatiste ” puis à deux ans en appel en 1995, pour des propos tenus lors d'une conférence de presse au Parlement européen en octobre 1992 et devant la sous-commission des droits de l'Homme du Parlement européen en décembre de la même année. Lors de ses interventions au Parlement européen, M. Zana, qui a purgé plus de 14 ans dans les geôles turques pour ses idées politiques, avait relaté sa lutte personnelle pour la reconnaissance des droits des Kurdes en Turquie et condamné les actions des autorités turques dans les provinces kurdes, faisant notamment état de la destruction de villages et des violences infligées à la population kurde. Cette condamnation a été jugée comme une “ ingérence dans son droit à la liberté d'expression ” par la CEDH qui a également accordé à M. Zana 2.500 euros pour frais et dépens. La Cour a en outre condamné la Turquie pour violation du droit à un procès équitable en raison de la présence d'un juge militaire au sein de la Cour de sûreté de l'Etat qui avait prononcé la peine. Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l'Homme a condamné le 6 avril la Turquie pour des “ traitements inhumains et dégradants ” infligés à des villageois d'origine kurde lors d'une opération armée en 1993 pour rechercher des membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). La Cour, saisie par 32 personnes, a alloué à chacune d'entre elles des indemnités pour dommage matériel, variant de 170 à 97.010 euros, et pour dommage moral (de 1.500 à 68.100 euros). Selon les requérants, les forces de l'ordre, à la recherche de membres du PKK, avaient attaqué en février 1993 le village kurde d'Ormaniçi. Quatorze maisons avaient été incendiées et la plupart des hommes arrêtés. La Cour a mis en cause les forces de l'ordre pour les “ traitements inhumains ” infligés aux hommes du village qui avaient été contraints de s'allonger face contre terre, dans un mélange de boue et de neige fondue, recevant des coups de pied des militaires. Elle a également condamné la Turquie pour violation du “ droit à la vie ” pour le décès d'une fillette de six ans, morte des suites de blessures reçues pendant l'assaut, et celui d'un des villageois, mort au cours de son incarcération, à la suite d'une pneumonie contractée après avoir été contraint de marcher pieds nus dans la neige et la boue. L’ORGANISATION KONGRA-GEL INSCRITE SUR LA LISTE DES ORGANISATIONS TERRORISTES DE L’UNION EUROPÉENNEL'organisation kurde KONGRA-GEL, issue du Parti des Travailleurs du Kurdistan, proteste contre son inscription sur la liste des mouvements terroristes de l'Union européenne. “ La décision de l'UE de placer le KONGRA-GEL (Congrès du peuple du Kurdistan) sur la liste des organisations terroristes, est un coup porté à la démocratie et aux droits de l'homme, ainsi qu'une diffamation pour le peuple kurde ”, a affirmé, le 6 avril, un communiqué publié à Berlin. Selon lui, l'UE a cédé à la pression de la Turquie, pour la rendre plus conciliante sur le problème de la réunification de Chypre. “ L'option d'une solution démocratique pour la question kurde a été sacrifiée au profit du petit Chypre. Que l'UE joue ainsi le jeu de la Turquie est infamant. Une fois de plus la chance d'une solution a été gâchée ”, ajoute le communiqué. La liste noire européenne des organisations terroristes, dont une version révisée a été publiée le 3 avril au Journal officiel des communautés européennes, comprend désormais à côté du PKK la mention “ alias KADEK, alias KONGRA-GEL ”. Le mouvement proteste contre cette mise sur le même pied que le PKK et affirme qu' “ il est engagé en faveur d'une solution pacifique de la question kurde, comme chacun peut le lire sur son programme accessible sur internet ”. Les Etats-Unis ont aussi décidé de placer le KONGRA-GEL sur la liste des organisations terroristes. Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan s'était félicité en janvier 2004 de cette prise de cette position. Le département d'Etat américain avait estimé que le KONGRA-GEL, fondé en 1999, était un nouvel avatar du PKK et, qu'en conséquence, il devait être placé sur cette liste. Les affrontements se sont accus depuis cette annonce. Le Kongra-Gel a affirmé le 16 avril avoir tué ces derniers jours 10 militaires turcs et sept supplétifs kurdes, appelés “ gardiens de villages ” dans des combats dans la zone montagneuse kurde de Sirnak, à la frontière avec l'Irak. “ L'attaque turque a commencé le 6 avril dans la région de Sirnak où nos forces sont bien implantées et les combats continuent jusqu'à présent ”, a affirmé Zubeyir Aydar, le représentant de l'ex-PKK dans la ville kurde irakienne de Suleimaniyeh. “ Au cours des combats, 10 militaires turcs, dont un officier, et sept mercenaires kurdes ont été tués ainsi qu'un de nos combattants ”, a-t-il ajouté. Le 15 avril, une source locale à Diyarbakir avait affirmé que cinq combattants kurdes de Turquie et trois soldats avaient été tués lors d'une vaste opération des forces de sécurité à Sirnak. Dix soldats et “ gardiens de villages ”--miliciens kurdes armés par l'Etat turc-- ont été blessés. Selon les officiels, l'opération à laquelle ont participé quelque 6.000 membres des forces de sécurité, appuyés par des hélicoptères, a débuté il y a quatre jours après que les autorités eurent pris connaissance de l'infiltration en territoire turc, depuis le Kurdistan irakien, d'un groupe de 60 militants du PKK (rebaptisé KONGRA-GEL). LA FONDATION TURQUE DES DROITS DE L’HOMME DÉNONCE LES ATTEINTES PORTÉES CONTRE LA LIBERTÉ DE L’OPINON EN 2003 MALGRÉ LES RÉCENTES RÉFORMESLa Fondation turque des droits de l’homme (TIHV) a le 19 avril publié son “ rapport 2003 sur la liberté de l’opinion en Turquie ” en prenant en considération l’adoption récente des réformes législatives dans le cadre de l’harmonisation avec l’Union européenne. Selon ce rapport, 774 affaires juridiques relatives aux opinions écrites ou orales, exprimées dans des livres, des journaux ou encore des revues, ont été enregistrées l’année dernière. Plus de 70 poursuites ont été lancées pour violation de l’article 159 du code pénal turc “ régissant l’atteinte portée contre l’Etat, la République, les forces de sécurité et militaires ”. Il y a eu sept condamnations et 14 acquittements parmi les 21 affaires jugées en 2003. L’article 312 du code pénal relatif à “ l’incitation au racisme, à la discrimination religieuse et linguistique… ” a donné lieu à 68 poursuites, dont 10 condamnations et 16 acquittements parmi les 26 affaires jugées dans l’année 2003. Toujours selon le rapport, l’article 6 de la loi anti-terreur sanctionnant “ la publication des déclarations émanant des organisations illégales ” a servi de fondement à 175 actions juridiques. Sur 91 jugements prononcés 84 ont donné lieu à des condamnations. Quant au tristement célèbre l’article 8 de cette même loi anti-terreur réprimant “ la propagande contre l’unité et l’indivisibilité de la patrie ”, 38 procès ont été ouverts aboutissant à 13 condamnations. L’article 7 de la même loi relative à la “ propagande d’une organisation illégale ” a donné lieu à 39 poursuites judiciaires. Le rapport souligne également que plus de 40 livres ont été traduits en justice en 2003. La Fondation indique que l’article 169 du code pénal réprimant “ l’aide et l’assistance à une organisation illégale ” a été l’article le plus invoqué par la justice turque malgré les réformes apportées en août 2003 restreignant son domaine d’application. Cet article a continué à être la menace la plus importante contre toute personne, organe de presse ou parti politique s’exprimant sur la question kurde. Selon le rapport, beaucoup de procès ont été lancés du seul fait des déclarations contenant les mots “ Monsieur Ocalan ”. Le ministère public considérant que la combinaison de ces mots constitue le délit d’“ aide et assistance à une organisation illégale ”. Le rapport précise qu’il y a eu 58 condamnations en ce sens. Le rapport met en relief la situation du journal pro-kurde Yeniden Ozgur Gundem, qui a été condamné à 476 milliards de livres turques d’amendes et qui a été forcé d’arrêter sa parution. 370 jours d’interdiction de parution a été prononcée à l’encontre de divers revues et quotidiens et le RTUK, l’équivalent turc du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a prononcé 480 jours d’interdiction de diffusion à l’encontre des radios et télévisions en Turquie au cours de l’année 2003. |