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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 32

10/5/1996

  1. ARRESTATION DU DR. KIZILKAN, PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE DES MÉDECINS DE 5 PROVINCES KURDES
  2. LE PARLEMENT TURCA VOTÉ À UNE ÉCRASANTE MAJORITÉ UNE NOUVELLE MISE EN ACCUSATION DE MME. ÇILLER
  3. VISITE DU COMITÉ EUROPÉEN POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE
  4. UNE NOUVELLE EXÉCUTION EXTRAJUDICIAIRE
  5. «TURQUIE; ENNEMIE DE LA PRESSE !»
  6. LA FONDATION TURQUE DES DROITS DE L'HOMME POURSUIVIE PAR LES COURS DE SÛRETÉ DE L'ÉTAT
  7. UNE NOUVELLE INCURSION TURQUE AU KURDISTAN D'IRAK
  8. RAPATRIEMENT DE LA DÉPOUILLE D'ENVER PACHA
  9. LA MAFIA TURQUE DISPOSERAIT DE 23.000 TUEURS À GAGES


ARRESTATION DU DR. KIZILKAN, PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE DES MÉDECINS DE 5 PROVINCES KURDES


La police turque a effectué le 5 mai à 23 h une descente au domicile à Diyarbakir du Dr. Seyfettin Kizilkan, médecin en chef de l'Hôpital de la Sécurité sociale et président, depuis 1994, de la Chambre des médecins des provinces kurdes de Diyarbakir, Mardin, Siirt, Batman et Sirnak, placé en garde-à-vue sous l'accusation de « possession illégale d'armes à feu et de grenades». Ce médecin connu et apprécié par son humanisme et son pacifisme a été écroué le 7 mai par la Cour de Sûreté de l'État de Diyarbakir. Détenu au secret «pour des raisons de confidentialité de l'enquête préliminaire» ce médecin de 43 ans, père de 3 enfants, est présenté par les médias proches de la police et de l'armée comme «un suppôt du terrorisme». M. Kizilkan est connu pour ses dénonciations de la torture et ses critiques des conditions de santé publique et d'hygiène déplorables des centaines de milliers de paysans kurdes déplacés peuplant les faubourgs de Diyarbakir. Il était l'un des principaux interlocuteurs des observateurs étrangers en visite dans la région. De ce fait son arrestation a soulevé une vague d'indignation et de protestation au sein des ONG de Turquie ainsi que parmi les médecins allemands car la Chambre de Diyarbakir est parrainée par son homologues de Berlin. Dans un communiqué rendu public le 7 mai, le conseil d'administration de la Chambre des médecins des 5 provinces kurdes réaffirme sa confiance totale à son président et dénonce «la grossière manipulation policière visant à faire taire un éminent représentant de la société civile». Le même jour, les représentants des syndicats, des associations et des organisations professionnelles de Diyarbakir ont publié un communiqué commun affirmant leur soutien au Dr. Kizilkan «respecté pour ses états de services en tant que médecins, par sa personnalité humaniste et démocrate et par ses opinions universelles». Dénonçant le complot policier ils demandent que «leurs domiciles soient perquisitionnés en présence du procureur de la République et des avocats» afin d'éviter de grossiers montages policiers visant à arrêter les personnes jugées indésirables. La police turque a une longue tradition de placer, lors des perquisitions, des «documents compromettants», des armes ou des stupéfiants dans les appartements des opposants politiques qu'elle veut arrêter et criminaliser.

LE PARLEMENT TURCA VOTÉ À UNE ÉCRASANTE MAJORITÉ UNE NOUVELLE MISE EN ACCUSATION DE MME. ÇILLER


Après l'affaire TEDAS, l'ancien Premier ministre turc est accusé d'avoir tiré des bénéfices, évalués à plusieurs millions de dollars, dans la vente des actions de TOFAS, société autonome d'Etat. la motion de création d'une commission parlementaire pour enquêter sur cette affaire a été votée le 9 mai par 376 députés sur 519. Les appels pathétiques de Mme. Çiller auprès de D. Baykal et de B. Ecevit, son discours devant le Parlement clamant son innocence et invoquant «la Justice de Dieu» n'ont pu convaincre 144 députés, pur l'essentiel membres de son propre parti, qualifié ironiquement de «Parti du Salut de Tansu». L'étau se resserre donc autour de l'ancien Premier ministre qui, sauf imprévu, risque fort d'être renvoyé devant la Haute Cour de Justice. Ses chances de retrouver le 1er janvier 1997 le poste de Premier ministre s'amenuisent. Les médias qui chantaient jadis les louanges de «la femme Premier ministre la plus belle du monde» annoncent maintenant la fin de sa carrière politique et concourent à son enterrement.

VISITE DU COMITÉ EUROPÉEN POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE


Une mission de 5 membres de cet organisme du Conseil de l'Europe chargé de faire respecter la Convention européenne par la prévention de la torture, dont la Turquie est signataire, effectue depuis le 6 mai une visite d'inspection de 3 jours en Turquie. Cette mission dirigée par M. Claude Nicoloy va enquêter sur les conditions de garde-à-vue dans les commissariats turcs, sur les méthodes d'interrogatoire de la police turque ainsi que sur les conditions de détention pénitentiaire. La mission aura également des entretiens avec le Premier ministre, avec les ministres de l'intérieur et de la Justice ainsi qu'avec le Directeur général de la Sûreté et le commandant en chef de la gendarmerie.

Au cours de son entrevue du 7 mai avec la mission, le Premier ministre turc a notamment affirmé: «malgré tous nos soins, en raison des conditions créées par la lutte contre le terrorisme des cas de torture peuvent malheureusement avoir lieu. Cependant, avec la levée de l'état d'urgence dans la région les cas de torture vont diminuer». M. Yilmaz a également ajouté que le nouveau cabinet n'avait pas de poste de ministre chargé des droits de l'homme car «chaque ministre est désormais en charge des droits de l'homme»

Le rapport élaboré au terme de cette visite reste en principe confidentiel mais en 1992, le comité européen, consterné par l'ampleur et le caractère de routine de l'usage de la torture en Turquie avait décidé de rompre cette règle de confidentialité et de rendre public son rapport. Le Comité européen qui est un organisme officiel nommé par les États cosignataires de la Convention.

UNE NOUVELLE EXÉCUTION EXTRAJUDICIAIRE


Une jeune fille kurde, Hazal Sevim, âgée de 17 ans, a été exécutée par les forces de sécurité dans le village de Sirya, dans la province de Siirt. Présentée comme une militante du PKK alors qu'elle n'est qu'une simple bergère nomade qui venait de garder son troupeau et rentrait dans son village, elle a été surprise par une patrouille de commandos qui a tiré sur elle à bout portant.

«TURQUIE; ENNEMIE DE LA PRESSE !»


Pour célébrer la journée de la liberté de la presse, le 3 mai, le Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ) a rendu publique une liste de 10 dirigeants déclarés comme «ennemis de la presse». «Chacune de ces personnes est activement impliquée dans l'éradication de toute presse indépendante» a déclaré M. William Orme Jr, directeur du «CPJ». Le nom de Mesut Yilmaz, actuel premier ministre turc, figure sur cette liste d'ennemis de la presse» à côté de celui d'Abu Abdul Rahman, dirigeant du Groupe islamique armé en Algérie, et du président du Nigeria le général Sani Abacha. Selon les statistiques du CPJ, 51 journalistes de nationalité turque se trouvaient dans les prisons turques à la fin de l'année dernière «tout simplement parce qu'ils exercent leurs fonctions». Ce chiffre a valu à la Turquie d'être en tête d'une autre liste du CPJ, rendue publique en janvier dernier, comme «le pays le plus répressif envers les journalistes» qui, dans l'exercice de leur métier, écrivent des articles relatifs à la guerre du Kurdistan.

LA FONDATION TURQUE DES DROITS DE L'HOMME POURSUIVIE PAR LES COURS DE SÛRETÉ DE L'ÉTAT


Depuis sa création en 1990, les responsables de la Fondation turque des Droits de l'Homme (IHF) ont, à maintes reprises, comparu devant les Cours de Sûreté de l'État pour leurs activités «gênantes» et «la mauvaise image» qu'ils donnent de la Turquie. Ce jeudi 9 mai, 9 responsables de (IHF) doivent comparaître devant la Cour de Sûreté de l'État d'Ankara pour un article paru dans une des publications de «IHF» et jugé par les autorités comme «insultant les lois de la République turque et les décisions de la Grande Assemblée». En vertu de l'article 159/3 du Code pénal turc, chacun de ces responsables est passible de plus de 6 mois de prison. Par ailleurs, les centres de soins mis en place par la Fondation pour venir en aide aux victimes de la torture en Turquie et qui sont subventionnés par le Fonds volontaire pour les victimes de la torture de l'ONU et par l'Union européenne, sont également mis en cause par les autorités turques. Le 10 mai, deux responsables du Centre de soins des victimes de la torture de la ville d'Adana doivent comparaître devant la Cour de Sûreté de l'État de cette ville accusés de «désobéissance aux ordres des autorités officielles» et de «négligence en dénonçant un crime».

UNE NOUVELLE INCURSION TURQUE AU KURDISTAN D'IRAK


Les troupes turques fortes de 35 000 soldats ont pénétré, dans la nuit du dimanche à lundi, de 10 Km au Kurdistan d'Irak «pour poursuivre les militants du PKK» selon le communiqué de l'état-major turc. Cette incursion fait suite à «la campagne du printemps» lancée, le 6 avril dernier, par l'armée turque contre les militants du PKK. Des hélicoptères Cobra, de fabrication américaine, participent activement à cette incursion. A ce jour, le bilan de cette opération militaire, selon les autorités turques, est de 16 morts parmi les maquisards du PKK. Par ailleurs en parallèle avec cette incursion, des affrontements armés ont opposé forces de sécurité turques et militants du PKK dans la province kurde de Dersim (Tunceli): 4 soldats turcs et 9 militants du PKK y ont trouvé la mort. Commentant l'incursion de l'armée turque, M. Safeen Dizay représentant du Parti démocratique du Kurdistan d'Irak à Ankara a déclaré que «des dizaines de familles kurdes irakiennes fuient les bombardements turcs dans une zone habitée par des civils». 3 Kurdes irakiens du village Tirvanis ont été tués à la suite des bombardements turcs.

RAPATRIEMENT DE LA DÉPOUILLE D'ENVER PACHA


À la demande du président turc Suleyman Demirel, le président tadjik Imamali Rahmanov a accepté le rapatriement vers la Turquie de la dépouille d'Enver Pacha enterré au Tadjikistan, aux environs de Douchambé. Dernier chef d'état-major des armées de l'Empire ottoman, Enver Pacha fut, avec Talat Pacha et Cemal Pacha, l'un des principaux décideurs du génocide arménien de 1915. Il fit également déporter plus de 700 000 kurdes, afin de réaliser son projet d'un «empire pan-turc allant des Balkans à la muraille de Chine». Principal artisan de l'alliance militaire turco-allemande, il fut condamné à mort pour crimes de guerre après la défaite ottomane et dut fuir la Turquie à bord d'un sous-marin allemand, puis rejoienit l'Asie centrale où il organisa des bandes armées et poursuivit quelque temps ses aventures militaires pour la réalisation de son délire «pan-turc», avant d'être tué en août 1922 par une «brigade bolchévike arménienne». C'est donc un tel personnage que le président turc loue comme «un commandant héroïque de la nation turque» et demande le rapatriement pour le 4 août prochain, «jour de son martyre». Il sera enterré à Istanbul en grande pompe et avec les honneurs militaires à la Colline de la Liberté.

LA MAFIA TURQUE DISPOSERAIT DE 23.000 TUEURS À GAGES


La mafia turque est un véritable Etat dans l'État en Turquie affirme le quotidien Milliyet du 10 mai qui établit la liste de 40 domaines d'activité où elle sévit. Selon le quotidien, la Pieuvre a un budget annuel de 200 trillions de livres (environ 15 milliards de FF.) et elle emploie dans l'ensemble du pays 23.000 tueurs à gages. Le journal publie également les tarif en vigueur en 1994: blesser quelqu'un à la jambe ou le blesser avec un couteau est facturé 2000 FF; le passage à tabac avec brisure d'un bras ou de doigs: 1000 FF; simple menace verbale: 400 FF. Quant au meurtre, il coûte environ 200.000 FF. La mafia turque tire la majeure partie de ses ressources du trafic de stupéfiants et de l'obtention, par menace ou corruption, de marchés de construction ainsi que du paiement des chèques et créances non honorés des entreprises ou des particuliers. Pour obtenir son dû, il est courant en Turquie de s'adresser à la Mafia qui, en échange de ses services, retient 50% de la somme recouvrée. La mafia entretient également des relations suivies avec la classe politique à tous les nivaux ainsi qu'avec la police, la justice et la haute hiérarchie militaire. Les relations ne sont pas toujours occultes. Inci Baba, l'un des parrains illustres de la Mafia turque, a accompagné à plusieurs reprises M. Demirel dans ses voyages à l'étranger et à sa mort le président turc a un moment songé à publier un décret gouvernemental pour autoriser sa famille à ériger un mausolée à la mémoire de cet Al Capone local qui avait porté aide financière et «protégé» M. Demirel après le coup d'Etat militaire de 1980.