|
Liste
NO: 51 |
18/12/1996 LE CONSEIL DE SÉCURITÉ NATIONALE TURC CRAINT QU'EN 2025 LES KURDES NE FORMENT PLUS DE LA MOITIÉ DE POPULATION DE TURQUIESelon le rapport "confidentiel" du CSN intitulé "Problèmes et propositions de solution" préparé à l'intention du Comité interministériel d'orientation qui se réunit le 18 décembre "le taux de natalité et la croissance démographique est, dans cette région (kurde), élevée par rapport aux autres régions. En raison de cette croissance et la vitalité du nationalisme kurde à l'intérieur et à l'extérieur du pays, le changement des équilibres démographiques pourrait constituer à long terme une menace. Des travaux de recherches indiquent qu'en 2010 la population kurde constituera 40% de la population totale du pays et qu'elle tend à dépasser le seuil critique des 50% en 2025. Avec un tel taux le nationalisme kurde surgira au premier plan et sa traduction dans le nombre de députés pourrait, à l'avenir, avoir des conséquences graves. Il est nécessaire de mener dans la région une campagne de planification démographique. Il faudrait adopter des mesures radicales consistant à accorder des primes aux familles ayant peu d'enfants et taxer les familles nombreuses". Ce rapport divulgué par le Milliyet du 18 décembre constate que "les opérations de sécurité intérieure qui avaient au début été lancées sous la responsabilité du ministère de l'Intérieur, sont aujourd'hui complètement confiées à l'armée; en conséquence bien que le ministère de l'Intérieur soit, en droit, compétent pour la lutte contre la terreur, en raison des réalités de notre pays la responsabilité de fait est totalement exercée par l'armée". Le rapport critique également "les actes d'indiscipline, le laisser-aller vestimentaire et les exactions envers la population civile" des équipes spéciales (Özel Tim) de police et recommande leur rattachement à l'armée et leur restructuration. Il propose une coordination des multiples services de renseignements civils et militaires sous la houlette de l'armée. Il évoque aussi la nécessité d'amender le champ de l'immunité parlementaire car "la plupart des trafiquants d'armes sont liés à des députés et en échange d'intérêts variés ils bénéficient de leur immunité parlementaire". Enfin, le rapport du CSN demande que "l'ensemble des sommes consacrées par le budget national à la lutte contre la terreur soient mises à la disposition de l'état-major général de l'armée". En résumé, après avoir mis le ministère de l'Intérieur et le ministère de la défense hors course, l'armée "en raison des la réalités du pays", veut se rattacher ouvertement tous les services de renseignements et de police du pays et leur budget "au nom de l'efficacité de la lutte contre la terreur". A noter également que ce rapport classe l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne parmi "les pays qui soutiennent la terreur en Turquie" car "ils ne font pas une appréciation politique des événements de terreur et du peuple (kurde) de la région" et regardent avec compassion "la population pauvre et victime de cette région". Qu'attendent les dirigeants turcs pour poursuivre leurs infidèles alliés européens devant la Cour européenne de Strasbourg pour "délit de compassion !" SELON UN RAPPORT OFFICIEL TURC 3 288 ÉCOLES PRIMAIRES RESTENT FERMÉES DANS LES PROVINCES KURDESD'après les extraits de ce rapport "confidentiel" du ministère de l'Éducation nationale, publiés dans le quotidien Milliyet du 17 décembre, les 24 provinces kurdes de Turquie comptent théoriquement 11591 écoles. Sur ce total 3288 (soit 35% ) sont actuellement fermées. 1859 d'entre elles sont fermées "pour des raisons de sécurité", 1248 "faute d'instituteurs" et 181 parce qu'il n'y a plus assez d'élèves. Dans les écoles qui restent ouvertes, en raison de pénurie de crédits et d'instituteurs "chaque classe compte en moyenne 80 élèves". A la base de cette situation dramatique se trouve l'évacuation et la destruction des villages kurdes et les déplacements massifs des populations car le nombre d'écoles fermées correspond à peu près à celui des villages évacués par l'armée. Les instituteurs, craignant pour leur vie, sont peu volontaires pour aller servir dans les provinces kurdes. En 1996, alors qu'un chômage massif sévit dans le pays, sur 9895 instituteurs et enseignants du secondaire nommés pour les provinces kurdes à peine la moitié a accepté d'aller y travailler. Encore s'agit-il en grande partie d'enseignants d'origine kurde soucieux de l'avenir de la jeune génération. Et cela place l'administration turque face à un nouveau dilemme. Les fonctionnaires d'origine turque malgré les fortes primes de risques ne veulent plus aller travailler au Kurdistan; pour assurer un fonctionnement minimum de l'appareil d'État; on nomme alors, à des postes subalternes, nombre de Kurdes qui sont "peu fiables" aux yeux du pouvoir politique. Dans le rapport préparé par le Conseil de sécurité nationale mentionné ci-dessus les militaires s'inquiètent du fait que "90% des imames (prêtres musulmans), 80% des gardiens de prison et 43 % des instituteurs servant dans ces provinces (kurdes) sont d'origine locale". Le CSN demande l'adoption des mesures urgentes pour remédier à cette situation. YACHAR KEMAL AFFIRME AVOIR FUI DEVANT DES MENACES DE MORT RÉPÉTÉESDans une interview publiée dans le quotidien danois Politiken du 17 décembre le célèbre romancier affirme avoir reçu de nombreuses menaces de mort émanant des organisations turques d'extrême droite et qu'il est venu en Suède pour échapper à ces menaces, pour travailler dans un climat de sécurité et surtout pour protester contre la répression par l'État turc. Il "rappelle que ces derniers temps des forces spéciales organisées au sein de l'État ont assassiné de nombreux intellectuels, notamment des journalistes kurdes". Selon Kemal, "la démocratie en Turquie est octroyée par le Conseil de sécurité nationale et par l'armée (..) Le droit à la critique est un droit naturel de la société civile. Mais en Turquie c'est le plus grand des crimes. L'État nous fait peur par des menaces de meurtres et de prison. L'histoire de la littérature turque est remplie d'indésirables (par le pouvoir politique), d'exilés, d'évadés. A cette aune-là mon sort constitue à peine la pitance d'un jour (de l'ogre de la répression). La République turque est fondée sur des crimes massifs perpétrés contre la population. En Anatolie de l'Est, les Kurdes et mes proches sont arrachés par la force à leurs racines et sont dispersés". L'écrivain kurde ne précise pas combien de temps il envisage de rester en Suède mais indique qu'il n'a pas demandé l'asile politique et qu'il est actuellement l'hôte de ses collègues de l'Union des écrivains suédois. LE PARLEMENT EUROPÉEN PRÉOCCUPÉ PAR LA DÉGRADATION DES DROITS DE L'HOMME EN TURQUIEDans une résolution, adoptée le jeudi 12 décembre, le Parlement européen s'est prononcé sur l'expulsion d'un député danois (voire notre dernier bulletin) dans les termes suivants: "Le Parlement est choqué par l'emprisonnement, suivi d'une condamnation à une amende et de l'expulsion de Turquie de Soeren Soendergaard, qui s'était rendu dans ce pays en qualité de membre du Parlement danois pour participer à l'observation du procès de Kemal Koc". Par ailleurs, à la suite de l'audition par plusieurs groupes du Parlement européen des rédacteurs en chef de principaux journaux turcs, les eurodéputés se sont déclaré "vivement préoccupés de la dégradation constante des droits de l'homme en Turquie et opposés aux tentatives d'Ankara de limiter la liberté de la presse". Tout en reconnaissant la gravité du projet de loi gouvernemental visant à museler la relative liberté de presse, Ilnur Çevik, directeur du journal turc en langue anglaise Turkish Daily News, dans son éditorial du 12 décembre, ironise sur les démocrates de la 25 heure que sont les patrons des grands journaux turcs accourus à Strasbourg. Extraits: "..Il semble que ceux qui ont invité ces éditeurs (de journaux) ignoraient que ce sont bien ces derniers qui ont fait en sorte pour que la véritable répression de l'État, qui a endommagé notre image dans le monde, soit cachée. Ce sont eux qui ont applaudi Tansu Çiller, qui était Premier ministre à l'époque, dans sa démarche de jeter hors du Parlement les députés pro-kurdes du Parti de la Démocratie (DEP), qui ont fini par la suite en prison. Ce sont eux qui sont restés silencieux lorsque des villages ont été détruits (par l'armée) dans notre pays. Ce sont eux qui sont restés silencieux alors qu'on jetait en prison des dizaines d'écrivains pour avoir exprimé leurs points de vue. Ce sont eux dont les journaux recevaient des primes et des subventions et, de ce fait, servaient de couverture (à la répression de l'État). C'est seulement dans les dernières semaines que ces éditeurs se sont montré un peu responsables en permettant à leur journaux d'écrire sur la sale guerre en Turquie où les responsables de l'État sont accusés d'utiliser des gangs pour éliminer les sympathisants séparatistes kurdes .Peut être les parlementaires européens auraient dû demander à ces éditeurs pourquoi ils ont permis à leurs journaux d'être instrumentalisés par l'État afin de dissimuler le chaos régnant au Sud-Est de la Turquie toutes ces années. Peut-être auraient-ils dû leur demander pourquoi ils ont permis à leurs journaux de violer les droits de l'individu aussi longtemps." Même si en nationaliste turc militant, M. Çevik n'est pas tout à fait exempt non plus de participation à la campagne de désinformation et de bourrage de crâne pratiquée depuis des années par les média turcs, à la demande de l'armée, sur la situation au Kurdistan, ses remarques ont le mérite de rappeler l'étendue des dégâts provoqués par la guerre kurde dans de vastes secteurs de la société et au sein de l'appareil d'État turc. La population découvre avec amertume qu'on ne cesse de lui mentir, que les prétendus "sauveurs de la nation" sont des affairistes sans scrupules liés à la mafia, impliqués dans de centaines d'assassinats d'opposants civils, que la justice ne poursuit que les malpensants tandis que des criminels et des trafiquants de drogue notoires, recherchés par Interpol, sont protégés par les plus hautes autorités publiques du pays. C'est peu dire que les Turcs, dans leur grande majorité, ont perdu confiance dans leurs institutions. Même l'armée, qui absorbe la part du lion dans le budget du pays et qui depuis une douzaine d'années promet de "venir au bout du terrorisme dans les prochains mois", n'échappe plus à cette crise de confiance. En cette fin d'année 1996, les citoyens réalisent que leur État est gravement malade, gangrené et que le problème kurde est à l'origine de cette gangrène. Le directeur de Hurriyet, qui est pourtant un pilier de l'establishment nationaliste turc, lance dans le numéro du 13 décembre de son quotidien cet appel pathétique: " Il faut sauver la Turquie de la tyrannie des gangs secrets de l'État, des barons de la drogue et des fortunes acquises par des moyens noirs". TURQUERIESAlors que certains intellectuels et des hommes politiques comme B. Ecevit et D. Baykal, tentent d'alerter l'opinion sur "la désagrégation de l'État qui vit la plus grave crise politique de son histoire" les principaux acteurs de la vie politique turque continuent de jouer des rôles dignes d'une mauvaise comédie de boulevard.Il en est ainsi de Mme. Çiller et l'islamiste N. Erbakan qui sont officiellement des partenaires d'une coalition gouvernementale. Avant la formation de ce gouvernement, le parti de N. Erbakan voulait traduire Mme. Çiller en Haute Cour pour corruption et délit d'initiés dans l'exercice de ses fonctions de Premier ministre, Mme. Çiller accusait à son tour M. Erbakan d'être "un trafiquant d'héroïne" et voulait poursuivre le trésorier du Refah de détournements de fonds collectés pour la population musulmane de Bosnie. Devenus partenaires du pouvoir, ils ont l'un et l'autre mobilisé les députés membres de leurs partis respectifs à voter en faveur de leur absolution dans les enquêtes parlementaires les concernant. C'est désormais chose faite, au moins au niveau des commissions parlementaires. Cependant, les tribunaux civils ont poursuivi leur besogne. Et la semaine dernière Mme. Çiller a été condamnée à verser à M. Erbakan 2 milliards de livres turques ($ 20 000) de dommages et intérêts pour diffamation. Bien que, dans le passé, nombre de militants du Refah, y compris deux députés, aient été reconnus coupables de trafic d'héroïne Mme. Çiller n'a pas pu prouver que le chef de la formation islamiste était personnellement impliqué dans ce trafic. Un malheur ne vienant pas seul, elle a également été condamnée à verser $ 20 000 à son collègue islamiste, S. Kazan, ministre de la Justice, qu'elle avait publiquement injurié en des termes que la Cour turque a estimés "offensants" (sans honneur, traître à la patrie, ..etc.) C'est la première fois que "la Belle blonde à l'éducation américaine", qui jure comme un cocher, est condamnée pour ses impertinences verbales. Apparemment peu échaudée, elle poursuit maintenant les journaux allemands Focus et Sudentsche Zeitung et la chaîne de télévision publique ZDF qui, ces derniers temps, l'ont quelque peu malmenée. L'hebdomadaire Focus l'avait qualifiée de "femme impitoyable qui veut transformer son pays en une société familiale" avant d'ajouter qu'elle est "prête à tout pour ses intérêts, y compris à coopérer avec le milieu, par le biais d'Abdullah Çatli, un terroriste tué dans un récent accident qui portait un passeport de diplomate". Curieusement, et comme si elle était plus soucieuse de son image à l'étranger, elle n'a pas engagé de poursuites contre le quotidien Milliyet qui dans ses éditions du 13 décembre, a publié un organigramme des réseaux criminels du couple Çiller avec des noms d'une vingtaine de membres de la mafia d'extrême droite (Ülkücü), des agents assurant leurs liaisons avec la mafia de drogue, d'armes et de matériaux nucléaires, des correspondants dans les services de renseignements (MIT), dans l'armée et dans la police. En tête de cet organigramme arrive l'ancien ministre de l'Intérieur, Mehmet Agar. Ayant personnellement commandité plus de "mille opérations secrètes", c'est à dire d'assassinats d'opposants kurdes ou présumés comme tels, celui-ci vient d'être également montré du doigt dans l'affaire du meurtre d'Omer L. Topal. Considéré comme "le roi des casinos", cet homme d'origine kurde a été criblé de balles en sortant de chez lui. Trois policiers d'équipes spéciales suspectés de ce meurtre ont été arrêtés et interrogés par la Sûreté d'Istanbul. Ils auraient, selon la presse turque, reconnu avoir commis ce meurtre sur "instructions venant de très haut". Le chef de la police d'Istanbul, Yazicioglu qui a enregistré ces aveux sur cassettes audio et vidéo, dont une copie a été communiquée à Mesut Yilmaz, chef de l'opposition parlementaire de droite, afin d'éviter tout étouffement de cette affaire de banditisme car la victime n'avait pas d'engagement politique connu. Le soir même de l'arrestation de ces policiers, sur ordre personnel de M. Agar, ministre de l'Intérieur, ces trois meurtriers présumés ainsi que deux chefs de la mafia également détenus à Istanbul sont transférés à Ankara où ils seront libérés quelques heures plus tard "faute de preuves". Ensuite, ces policiers "émérites" sont affectés à la garde rapprochée du député Bucak, membre important du réseau Çiller. Agar reconnaît, dans le Hurriyet du 18 décembre, avoir ordonné le transfert à Ankara de ces trois policiers comme il se vante d'avoir organisé ses "plus de 1000 opérations secrètes". On trouve aussi sa signature en bas du permis d'armes et du faux passeport de diplomate du chef mafieux A. Çatli, tué dans l'accident de Susurluk. Apparemment très sûr de ses arrières, il ne craint aucune poursuite. Un jeune, et sans doute naïf, procureur d'Ankara, se basant sur ses déclarations, a rédigé un mémorandum visant à demander la levée de l'immunité parlementaire de M. Agar qu'il a adressé au ministère de la Justice. Celui-ci vient de lui renvoyer son "dossier incomplet" et sans doute fortement menacé, le procureur a demandé qu'on le décharge de ce dossier. Le chef de la police d'Istanbul Yazicioglu a été suspendu. Et malgré les déclarations du président Demirel affirmant l'implication "de très hauts personnages d'Etat" dans ces scandales, les observateurs sont convaincus que la Commission d'enquête parlementaire finira par enterrer ces affaires comme elle a su enterrer les affaires de "meurtres mystérieux" et de destructions de milliers de villages kurdes. Contrairement à l'Espagne où l'affaire du GAL a fait tomber de nombreuses têtes, la Turquie n'est pas un État de droit avec une Justice indépendante. La philosophie dominante y reste encore: "que le serpent qui ne me mord pas vive mille fois!" |