L’Institut kurde de Paris est particulièrement honoré de vous accueillir dans ces lieux, dans cette salle Victor Hugo, dans le cadre du colloque international « Dersim : 1937-1938 ».
Je remercie tout d’abord les intervenants, ces experts qui ont accepté d'apporter ici le résultat de leurs travaux et leurs analyses les plus récents. Notre gratitude va également à M. le député François Loncle, le député de l’Eure et à l’Assemblée nationale pour avoir mis ce lieu prestigieux à notre disposition.
Le présent colloque de dimension internationale se propose d'ajouter un supplément de vérité à l'Histoire de la Turquie du XXe siècle. Il est vrai que l’ensemble de cette période connaît ces derniers temps un regain d’actualité en Turquie où de vives polémiques opposent les démocrates kurdes et turcs aux kémalistes. Toutefois, l’idée d’organiser un tel colloque précédait évidemment les propos du numéro 2 du parti républicain du peuple (CHP).
Je ne peux m’empêcher cependant de penser que Deniz Baykal, le secrétaire général de ce même CHP, né le 20 juillet 1938, a eu l’heureuse fortune de ne pas naître à Dersim. Dersim, alors en proie à des massacres de masse, massacres n’épargnant nullement les civils: femmes, enfants, ou personnes âgées.
Les propos du responsable du parti kémaliste permettent de braquer les projecteurs sur un des coins sombres et funestes de l’Histoire de la Turquie moderne.
Les massacres de Dersim étaient jusqu’à très récemment une sorte de secret de famille murmuré par les victimes et emmuré par les autorités turques. Aussi, la République de Turquie pouvait-elle entretenir sans complexe le mythe d'une opération militaire menée contre une insurrection des rebelles kurdes à Dersim. Ainsi, elle peut nommer sans vergogne la caserne militaire de la ville d’Elazig, « caserne Abdullah Alpdogan », du nom du commandant responsable des massacres à Dersim. Et, bientôt nos conférenciers et nous autres emprunteront à Istanbul l’aéroport international Sabiha Gokçen, du nom de la première femme pilote turque ayant fait ses armes lors du pilonnage de Dersim.
J’espère que ce colloque sera un humble moyen d’encourager la recherche académique sur cet événement, de faire face à l’histoire que l’on croyait oubliée, de commémorer ces histoires méconnues d’hommes et de femmes pour la plus part anonymes, trop souvent méprisées par l’histoire dite officielle, manipulée et malléable à souhait.
Dersim reste toujours en convalescence. Ces habitants à 90% des Kurdes Alévis sont considérés par le régime kémaliste des rebelles en puissance. Je me souviens de l’histoire de cet oncle arrêté après le coup d’état militaire du 12 septembre 1980, âgé alors d’une trentaine d’années, à qui les autorités avaient reproché une « supposée participation » à la révolte de Dersim. Etre coupable de rébellion avant sa naissance... Somme toute, réflexion absurde pour le plus grand nombre mais réflexion logique d’un Etat, pour qui naître Kurde et Alévi dans la province, suffit à l’incrimination.
Enfin, nous tenons à remercier chaleureusement et sincèrement Ismail Besikçi, loin de tout esprit de compromis et de complaisance, il a mené pendant des décennies des travaux sur des sujets sensibles, a su diffuser avec quelques autres académiciens ce qu’on appelle l’esprit critique à des périodes supportant pourtant peu de dissonance, périodes dominées par les tentatives d’occultation dans la mémoire collective des événements horribles.
Et pour finir, puisque nous sommes dans cette salle Victor Hugo, et que le plus cher de mes titres sera toujours d’être devenue son confrère, je voudrai le citer : « Ceux que vous oubliez, ne vous oublieront pas… »
Rusen AYTAC