Kendal Nezan
Kendal Nezan, président de l'Institut kurde de Paris. Crédits photo : Olivier Roller/Divergence
Lefigaro.fr
INTERVIEW - Le physicien français d'origine kurde Kendal Nezan, président de l'Institut kurde de Paris, s'alarme de la forte baisse du soutien financier de l'État, qui met en péril la survie de l'organisation.
LE FIGARO. - La question kurde est au cœur de l'actualité, les Kurdes d'Irak et de Syrie sont en première ligne dans la guerre contre l'État islamique, et pourtant l'Institut kurde de Paris est au plus mal: comment expliquez-vous ce paradoxe?
Kendal NEZAN.- L'Institut kurde de Paris a été, pendant plus de trente ans, le porte-parole d'un peuple sans État qui n'avait pas voix au chapitre, mais il est aujourd'hui asphyxié financièrement. Nous allons vers le dépôt de bilan. Nous bénéficiions, il y a une dizaine d'années, d'une modeste subvention du gouvernement français de 600.000 euros, évaluée en fonction de nos besoins, qui nous permettait d'accomplir nos missions. Elle a été réduite progressivement puis supprimée. Les subventions publiques Les subventions publiques sont passées en dix ans de 570 000 euros en 2002 à 20 000 euros en 2010. La France souhaitait que la région autonome du Kurdistan irakien prenne le relais. Le petit gouvernement kurde a fait ce qu'il a pu, mais il fait, lui-même, face à de graves difficultés financières à la suite d'un conflit budgétaire avec le gouvernement central irakien. Il est de surcroît confronté à l'afflux de réfugiés toujours plus nombreux et doit tenir une ligne de front de plus de mille kilomètres face à l'État islamique.
Qu'ils nous expliquent pourquoi il n'est plus possible de verser 600 000 euros à l'Institut kurde alors qu'on trouve 13 millions d'euros à donner à l'Institut du monde arabe qui peut bénéficier par ailleurs de l'aide de riches pays du monde arabe? En France, on est très fort du côté des oraisons funèbres et dans les regrets. Tout le monde fait l'éloge des Kurdes - remparts contre la barbarie - et de l'Institut. Cela finit par ressembler à des fleurs d'enterrement. On ne peut pas avoir le verbe haut et les bras si courts. À défaut de sauver les Kurdes sur place, on peut au moins sauver l'Institut kurde.
Les valeurs défendues par les Kurdes sont très proches des valeurs occidentales. Les Kurdes entretiennent le vivre- ensemble entre communautés, la tolérance et un statut relativement privilégié pour les femmes par rapport au reste du monde musulman.
Nous sommes dans une situation étrange où les Iraniens soutiennent avec des moyens considérables leurs alliés chutes, les Saoudiens et les Qatariens soutiennent avec des moyens considérables leurs alliés islamistes, la Russie. soutient les orthodoxes. Quant aux démocraties, elles parlent beaucoup de promouvoir leurs valeurs mais font malheureusement peu de choses ici et là bas. Elles devraient accorder leur rhétorique avec leurs actes sous peine de perdre toute crédibilité.
Lorsque je suis arrivé à Paris à la fin des années 1960, il y avait juste une poignée de Kurdes. 30000 à 40000 exilés ont débarqué en France dans les années 1980 pour échapper à la prison après le coup d'Etat militaire (1982) en Turquie, à la guerre Iran-Irak (1980-1988) ou pour fuir la guerre de Saddam contre les Kurdes d'Irak (1987-1988). Nous avons créé l'Institut kurde en 1983 pour venir en aide à ces gens, mais aussi pour informer sur le Kurdistan qui était une zone interdite. Dans cette nuit noire pour les Kurdes, nous étions une lueur d'espoir.
Nous œuvrons depuis 1994 à la recherche d'une solution pour les Kurdes de Turquie. L'Institut a organisé avec le soutien du gouvernement norvégien les premières rencontres turco-kurdes. Des discussions ont repris en 2008 avec le PKK pour établir une base de négociations acceptable par les deux parties. Il y a maintenant un processus officiel de négociation en cours impliquant Ankara.
En ce moment. Nous avons lancé le 11 juin une campagne qui vise les mécènes privés. C'est la dernière piste que nous explorons avant de mettre la clé sous la porte. Notre Conseil d'administration se réunit le 23 juin pour prendre une décision. Si nous fermons, nous envisageons un déménagement en Suède, un pays qui est prêt à nous accueillir. Nous serions alors contraints de nous expatrier.