ÉDITORIAL
Le Figaro - Editorial | Par Arnaud De La Grange | mercredi 21 mars 2018
En grand chroniqueur de la comédie humaine, Honoré de Balzac nous dit que « l’ingratitude vient peut-être de l’impossibilité où l’on est de s’acquitter ». C’est une tragédie qui se joue dans le nord de la Syrie, mais l’une de ses clés se trouve peut-être dans ces mots. Aux Kurdes qui leur ont servi de fantassins dans la lutte contre Daech, les Occidentaux ne savent qu’offrir. Alors ils les lâchent, les sacrifient.
Cette indignité se fait dans l’indifférence de l’opinion et l’indignation très amortie des politiques. Il y a trois ans, les jeunes combattantes kurdes qui avaient défendu Kobané face aux djihadistes étaient célébrées jusqu’au Palais de l’Élysée. Aujourd’hui, on les regarde mourir en silence.
Cela semble une fatalité. Comme si, à la fin, dans cet Orient compliqué, les Kurdes devaient toujours perdre. Il est vrai qu’ils ne s’aident pas toujours eux-mêmes. Divisions claniques, conflits et sous-conflits en cascade, alliances de revers minent leur cause et leurs projets.
Cet abandon est d’autant plus révoltant que les Kurdes sont laissés seuls face à un autocrate turc qui passe son temps à défier ces mêmes Occidentaux. Et qui s’appuie sur des soi-disant « rebelles syriens » aux forts relents islamistes. Nous renions notre propre camp.
Il ne s’agit pas de faire des forces kurdes de Syrie une armée des anges. Elles restent cousines du PKK marxiste-léniniste de Turquie, même si cette coloration idéologique a passé avec les années. Mais nous avons des valeurs en commun. Et nous serons toujours plus proches d’un mouvement qui met les femmes au même rang que les hommes que de ceux qui les rangent dans une catégorie inférieure.
Ce lâchage est une faute morale. C’est aussi une faute politique. Les Occidentaux montrent que leurs alliés d’un jour peuvent le lendemain être traités comme de vulgaires supplétifs. De la chair à canon qu’on laisse tomber quand elle a fini de servir. Alors que des combats essentiels sont loin d’être terminés, le signal est désastreux.