« Qui a tué Lady Winsley ? », film belge, français et turc de Hiner Saleem. MEMENTO FILMS DISTRIBUTION
Lemonde.fr | Par Véronique Cauhapé Publié
Le film de Hiner Saleem mêle les genres et multiplie les références cinématographiques, avec beaucoup d’humour.
Sur une île au large du Bosphore, est retrouvé, en sa belle demeure, le cadavre d’une romancière. Un inspecteur est dépêché d’Istanbul pour mener l’enquête. Une goutte de sang ayant été retrouvée dans l’œil de la victime, les tests ADN devraient aisément mener au coupable et l’affaire vite se conclure. D’ailleurs, quelque chose nous dit, dans la manière dont elle nous est présentée, que l’énigme est secondaire, prétexte à une autre histoire. Celle qui se joue au sein d’une communauté turque, consanguine, paranoïaque et raciste dans laquelle se glisse un cinéaste qui n’a pas pour habitude de se prendre au sérieux.
Hiner Saleem se plaît, ici, plus que dans ces précédents longs-métrages (My Sweet Pepper Land, en 2013 ; Si tu meurs, je te tue, en 2011), à chambouler les repères. Il s’en donne visiblement à cœur joie, mêlant les genres (comédie, polar, romance, drame social et politique), multipliant les références cinématographiques, faisant entrer l’esprit d’Agatha Christie dans un univers de l’absurde, où le rocambolesque se fond à la mélancolie. Qui a tué Lady Winsley ? se perd parfois dans ce foisonnement, privant le film d’une assise, d’un centre auquel se rattacher. Il y trouve aussi une matière à malice qui le rend proprement réjouissant.
Né dans le Kurdistan irakien qu’il a quitté à l’âge de 17 ans pour s’exiler en Italie d’abord, puis en France, Hiner Saleem a trouvé dans le cinéma son refuge, et dans l’humour, son remède à tout ce qui pourrait le fâcher. Cela est inscrit dans son œuvre qui ne sait pas faire autrement que de rendre hommage au septième art, en y apportant une fantaisie singulière, dont le but est de semer la discorde et de rendre l’objet un brin irrespectueux.
Société conservatrice
Sur l’île où débarque le très distingué et ténébreux inspecteur Fergan (Mehmet Kurtulus) – ne craignons pas de dire qu’il y a du Humphrey Bogart en lui –, l’ambiance n’inspire pourtant pas la rigolade. Un meurtre a été commis et les habitants, hostiles à tout ce qui peut venir de l’extérieur, sont fermement décidés à se taire. Ajoutons que la victime était américaine, que l’inspecteur est kurde, et la petite communauté turque. Une configuration cosmopolite qui est loin d’arranger l’affaire. Surtout au pays de ces îliens où l’on n’aime pas l’étranger, où les rancœurs et les secrets soudent les familles, autant que les traditions ancestrales qui placent, notamment, les hommes d’un côté, et les femmes de l’autre.
Cette société conservatrice sur laquelle s’enracine Qui a tué Lady Winsley ? fournit un formidable terrain de jeu au cinéaste qui prend un malin plaisir à insérer, dans ce cadre étroit, scènes burlesques, dialogues flirtant avec l’absurde, décalages entre l’image et le son. L’œil qui accompagne la caméra est ironique. Il perce le mystère et les mesquineries de chacun, il éclaire le propos avec une gaieté réjouissante. Il sait aussi s’accorder une pause quand il s’agit de parler d’amour. Celui qui naît entre Fargan et Azra (Ezgi Mola), la patronne de l’hôtel, laisse croire à un monde meilleur. Le seul message, sans aucune moquerie, que s’accorde à délivrer le film.
Film belge, français et turc de Hiner Saleem. Avec Mehmet Kurtulus, Ezgi Mola, Ahmet Uz (1 h 30). Sur le Web : distribution.memento-films.com/film/infos/93
Véronique Cauhapé