Le Figaro | Par Alain Barluet | Le 23/10/2019
Le chef du Kremlin et le président turc se sont entendus pour partager le contrôle dans le nord-est du pays.
MOYEN-ORIENT C’est sur son terrain, à Sotchi, que Vladimir Poutine a reçu mardi Recep Tayyip Erdogan, dans la cité balnéaire de la mer Noire où le président russe se sent chez lui. La rencontre entre les deux dirigeants, la septième depuis le début de l’année, intervenait à un moment crucial, quelques heures avant l’expiration, dans la soirée, de la « pause » de cinq jours à laquelle le président turc a consenti dans son offensive engagée le 9 octobre contre les miliciens kurdes dans le nord-est de la Syrie.
À l’issue de plusieurs heures d’entretien, la Russie et la Turquie sont parvenues à un accord qualifié d’« historique » par le président turc. Un compromis qui recouvre « la lutte contre le terrorisme, l’intégrité territoriale et l’unité politique de la Syrie ainsi que pour le retour des réfugiés », a déclaré M. Erdogan.
Considérés par Ankara comme des terroristes liés aux séparatistes dans le sud-est de la Turquie, les combattants des Unités de protection du peuple (YPG) « doivent quitter » la « zone de sécurité », avait prévenu M. Erdogan avant la rencontre de Sotchi. « Tous devront partir, le processus ne prendra pas fin tant qu’ils ne seront pas partis », a-t-il martelé. Ce point fixe du dirigeant turc, paramètre obsédant au cœur d’une complexe équation politique et sécuritaire, explique la longueur et l’âpreté des discussions qui se sont déroulées hier.
Car pour Vladimir Poutine, il ne pouvait être question que l’offensive turque contre les Kurdes ne vienne contrarier les plans de Moscou en Syrie. Le président russe a d’ailleurs condamné hier « toute présence étrangère » sur le territoire de son allié syrien. « Nous comprenons les préoccupations de la Turquie pour sa sécurité mais nous espérons que ses actions resteront proportionnées et ne compliqueront pas le processus de règlement politique en Syrie », a souligné le porte-parole du Kremlin. Néanmoins, selon le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, les deux dirigeants russe et turc seraient convenus mardi de l’« intégrité » du territoire syrien. Lavrov a assuré que la Russie veillera à ce que les combattants kurdes et leurs armes se retirent à 30 kilomètres de la frontière syro-turque. Et d’ajouter que les milices kurdes ont « 150 heures » pour quitter la zone. La Russie et la Turquie lanceront des patrouilles communes dans le nord-est de la Syrie, après le désarmement des milices kurdes dans la région. Ce mécanisme est destiné à éviter la reprise de l’opération militaire turque dans le nord-est de la Syrie.
Si le retrait militaire américain de Syrie, entamé le 6 octobre, a placé Vladimir Poutine en position de force, il l’a aussi mis au défi d’assumer cette prééminence diplomatique, partagée avec l’Iran, « co-parrain » du soutien à Bachar el-Assad. À Sotchi, l’enjeu était d’amener Erdogan à accepter l’amorce d’une solution qui préserve les intérêts de la Russie en rétablissant la stabilité et en permettant au régime de Damas de recouvrer, autant que possible, la souveraineté sur son territoire. Cette piste, vue de Moscou, passerait idéalement par un dialogue direct entre les présidents turc et syrien. Proposée mardi à son interlocuteur turc, cette perspective, si elle se concrétisait, permettrait à Vladimir Poutine de se présenter en faiseur de paix. « Cela renforcerait encore son influence dans la région et poursuivrait le rétablissement de la Russie dans son statut de grande puissance aux dépens de Washington », comme le souligne Anna Borshchevskaya, du think thank Washington Institute. Piste hypothétique à ce stade : Bachar el-Assad, lors d’un déplacement mardi sur la zone frontalière, dans le nord-ouest du pays, s’en est pris avec force à Recep Erdogan en l’accusant de « voler le territoire syrien ».
La « zone de sécurité », dont Poutine sait qu’elle est un gage incontournable pour son interlocuteur turc, était au cœur des décalages d’approche entre Moscou et Ankara. La Turquie disait vouloir une « zone de sécurité » le long des 440 kilomètres de frontière avec la Syrie. Son offensive s’était toutefois concentrée jusqu’à présent sur deux localités dans le centre de cette bande de territoire, Ras al-Aïn et Tall Abyad, soit 120 kilomètres. Mardi, la Russie et la Turquie ont réaffirmé l’accord d’Adana passé en 1998 entre Ankara et Damas. Ce texte prévoit un droit de poursuite accordé aux forces turques pour pénétrer à 5 kilomètres à l’intérieur du territoire syrien afin de faire la chasse aux « terroristes ».