Des détenus des proches de personnes soupçonnées d’appartenir à l’Etat islamique, au camp Roj, près de Derik (Syrie), le 28 mars 2021.
DELIL SOULEIMAN / AFP
Lemonde.fr
Dans une tribune au « Monde », des élus français appellent au rapatriement « immédiat », au nom de « l’impératif humanitaire », des quelque 200 enfants français détenus dans les camps du nord-est de la Syrie, et à celui de leurs mères, pour des raisons sécuritaires.
Dans les camps de Roj et d’Al-Hol du nord-est de la Syrie survivent, depuis plus de deux ans, deux cents enfants français et leurs mères détenus arbitrairement. Les conditions sanitaires indignes dans lesquelles ces enfants sont maintenus sont renseignées depuis longtemps par de nombreux observateurs et ONG.
Le 8 février 2021, une vingtaine d’experts indépendants des droits de l’homme auprès des Nations unies ont appelé à une action immédiate pour « prévenir des dommages irréparables aux personnes en situation vulnérable qui y sont détenues » et relevaient qu’« un nombre indéterminé de personnes sont déjà mortes à cause de leurs conditions de détention ».
Mme Fionnuala Ni Aolain, rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, a déclaré que « l’existence de ces camps entache la conscience de l’humanité ». Dans son rapport du 17 février 2021 intitulé « Europe’s Guantanamo », l’ONG Rights and Security International (RSI) décrit ainsi l’état de santé des enfants : « De jeunes enfants présentant des éruptions cutanées, aux membres squelettiques et au ventre ballonné, fouillant dans des tas d’immondices nauséabonds sous un soleil de plomb ou étant étendus sur le sol d’une tente, le corps recouvert de poussières et de mouches. Des enfants meurent de diarrhée aiguë et d’infections similaires à la grippe. »
Ces enfants sont innocents : ils n’ont pas choisi de partir en Syrie, de naître en zone de guerre ou dans ces camps. Ils sont des victimes, que la France abandonne en leur faisant payer le choix de leurs parents : laisser périr ces enfants dans ces camps est indigne de notre Etat de droit et contraire à nos engagements internationaux.
Terrorisme de demain
Depuis plus deux ans, l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie (Aanes), incapable de sécuriser ces camps, appelle les Etats étrangers – et particulièrement européens – à rapatrier l’ensemble de ces enfants et de leurs mères. Dans un communiqué du 18 mars 2021, les autorités du Rojava ont à nouveau affirmé qu’elles ne pouvaient pas juger les mères de ces enfants, qu’elles n’avaient aucune preuve contre elles et que celles-ci devaient être rapatriées avec leurs enfants, au plus vite, contrairement au vœu de certains Etats qui souhaiteraient les séparer. L’intérêt supérieur des enfants concernés n’est en effet pas d’être séparés de leurs mères en Syrie, dans des conditions qui aggravent encore leur traumatisme, et de rentrer en France en les sachant seules dans la tente où ils ont souffert avec elles.
Rapatrier ces femmes est par ailleurs, et avant tout, un impératif sécuritaire. En les laissant sans perspective de jugement dans ces foyers de violences et de radicalisation, la France prend le risque que ces femmes s’évadent, se dispersent, rejoignent des groupuscules terroristes et viennent grossir les rangs de l’[organisation] Etat islamique [EI] en emportant, avec elles, leurs enfants.
Faut-il rappeler que, depuis plus de deux ans, l’EI appelle publiquement ses partisans à libérer ces femmes pour mieux les enrôler à nouveau ? Faut-il rappeler qu’Hayat Boumeddiene, veuve du terroriste Amedy Coulibaly, qui a frappé la France en janvier 2015, s’est évadée du camp d’Al-Hol, en 2019, pour rejoindre Al-Qaida ?
En France, David De Pas, le coordonnateur des juges antiterroristes, particulièrement conscient du danger que nous encourons en laissant perdurer cette situation, a publiquement appelé la France à « une volonté politique de rapatriement », rappelant le « risque des migrations incontrôlées du fait des évasions » et de la « reconstitution de groupes terroristes combattants particulièrement aguerris et déterminés dans la région ».
Dans une lettre rendue publique le 11 septembre 2019, les plus grands spécialistes du contre-terrorisme et de la sécurité intérieure aux Etats-Unis et au Royaume-Uni refusaient, « en ce triste anniversaire », que « l’histoire se répète » et assuraient que le choix de laisser ces femmes et ces enfants dans les camps de Roj et d’Al-Hol créerait irrémédiablement le terrorisme de demain : « Ne répétez surtout pas les erreurs du passé et brisez le cycle de la violence », assénaient-ils aux Etats concernés, et à la France en particulier.
En octobre 2019, Mohammed Ali Al-Hakim, chef de la diplomatie irakienne, a fait savoir à la France que l’Irak n’était pas un « dépotoir » à djihadistes européens. Aucune juridiction internationale ad hoc ne peut par ailleurs être créée en Syrie.
Jugées par contumace
Ces femmes doivent donc être jugées ; elles ne sont actuellement judiciarisées que dans un seul pays : la France. Elles font, en effet, déjà toutes l’objet d’une procédure judiciaire antiterroriste en France et d’un mandat d’arrêt international délivré par un juge français. Celles qui ont été jugées par contumace ont été condamnées à des peines extrêmement lourdes, allant de vingt à trente ans de réclusion criminelle. L’administration pénitentiaire s’est par ailleurs dite prête à la prise en charge de ces femmes en détention dès le mois de janvier 2020 et a finalisé, en mars 2021, la création de deux structures de détention dévolues aux femmes mises en examen ou condamnées pour des actes de terrorisme.
Ces prises en charge sont certes perfectibles, mais la France a le devoir de choisir l’incarcération et le contrôle plutôt que le maintien arbitraire de ces femmes à l’endroit même où les attentats de 2015 ont été fomentés. « Est-ce qu’on préfère qu’ils soient dispersés, qu’ils rejoignent les rangs de Daech ou qu’ils partent dans un autre pays pour continuer à fomenter de tels actes ? », interrogeait notre ancien premier ministre, Edouard Philippe, en janvier 2019, pour mieux expliquer l’impérieuse nécessité de rapatrier nos ressortissants.
La Cour européenne des droits de l’homme, saisie du cas de trois enfants français et de leurs mères détenus arbitrairement dans les camps du Nord-Est syrien, a siégé, le 29 septembre, en Grande Chambre. Le Parlement européen a, lui, déjà voté une résolution en février appelant au rapatriement de tous les enfants européens dans leur « intérêt supérieur ».
La Belgique, la Finlande et le Danemark ont rendu publique leur décision de rapatrier l’ensemble de leurs ressortissants, et l’Allemagne et l’Italie ont d’ores et déjà commencé à rapatrier les enfants et leurs mères. Les Etats-Unis, la Russie, le Kosovo, l’Ukraine, la Bosnie, l’Albanie, l’Ouzbékistan et le Kazakhstan ont rapatrié ou rapatrient actuellement l’ensemble de leurs ressortissants.
Au nom de l’impératif humanitaire, nous appelons la France à rapatrier immédiatement les enfants français victimes de traitements inhumains et dégradants, qui périssent dans les camps syriens.
Au nom de l’impératif sécuritaire, nous appelons la France à prendre ses responsabilités et à organiser le rapatriement des femmes françaises détenues dans les camps de Roj et d’Al-Hol et déjà judiciarisées en France.
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