Ihsan Kurt, président du Fonds kurde Ismet Chérif Vanly. Le municipal de Prilly compte parmi les organisateurs d’un important colloque voulant reconsidérer le contexte et le contenu du Traité de Lausanne. Signé au Palais de Rumine en 1923, il a redessiné les frontières du Moyen-Orient, au profit de la Turquie et des grandes puissances d’alors.
FLORIAN CELLA
24heures.ch | Erwan Le Bec
Il y a un siècle, les grandes puissances découpaient le Moyen-Orient au Palais de Rumine. Un colloque doit en rappeler la mémoire et amener la suite, estime Ihsan Kurt.
Ces derniers jours, Ihsan Kurt ne sait plus où donner de la tête. Municipal à Prilly (PS), visage de la communauté kurde, président de l’Association pour la promotion du Fonds kurde Ismet Chérif Vanly, il œuvre depuis maintenant cinq ans à la préparation du centenaire du Traité de Lausanne et à l’organisation d’un grand colloque qui a lieu ce samedi.
Le Traité de Lausanne? Signé en juillet 1923, le texte redessine, au sortir de la guerre, les frontières de l’ancien empire Ottoman et les zones d’influence des puissances d’alors. Un acte fondateur pour la Turquie moderne. Un jour noir pour plusieurs minorités, comme les Arméniens, les Assyro-Chaldéens et les Kurdes. Interview d’un des visages de la communauté kurde.
Injustice. Injustice. Mais on pourrait aussi dire un siècle de répression, d’exil ou même de déportation. Aujourd’hui on garde le sentiment de promesses non tenues. Le Traité de Sèvres, signé en 1920, laissait un petit bout de Kurdistan, c’était un début. Mais, à Lausanne, les grandes puissances l’ont balayé. La France et l’Angleterre ont une responsabilité morale et éthique à assumer. À l’époque, on a amené trois Kurdes, en costume, pour les montrer aux participants. Caricatural, mais ils devaient prouver l’existence d’un peuple, on les a oubliés d’un revers de main. Nous n’étions pas la priorité. Plutôt les champs de pétrole de Mossoul et les intérêts français en Syrie.
Oui, et la conséquence directe, c’est la diaspora de deux millions de Kurdes dans le monde aujourd’hui. J’en suis aussi une conséquence quelque part. À l’époque il y avait peut-être trois Kurdes à Lausanne, aujourd’hui il y en a 140’000 en Suisse. Ce traité devait amener la paix au Moyen-Orient. Est-ce qu’il y a la paix en Irak, en Iran, en Turquie, en Syrie, au Liban? Au contraire. Les conséquences sont partout… Personne ne croit aujourd’hui au score d’Erdogan (ndlr: le sortant Recep Tayyip Erdogan a devancé l’opposant Kemal Kiliçdaroglu, soutenu par beaucoup de Kurdes, de 4% des voix le 28 mai dernier) et je crains le pire pour les années qui viennent. Il y aura quoi, un nouveau coup d’État, le chaos?
Elle n’a pas beaucoup évolué. Je suis ici depuis vingt-sept ans, vingt-sept ans qu’il y a des manifestations chaque année. La mémoire du Traité de Lausanne est ce qui permet de continuer à contester, mais aussi à exister quelque part. Ce n’est pas le cas de tous les perdants du Traité.
Chaque Kurde connaît le nom de Lausanne, avant même de savoir que c’est en Suisse ou d’entendre parler de Heidi et du chocolat (sourire). Dans la mémoire collective, le nom reste associé aux grandes puissances occidentales, ce que la Suisse n’est pas. L’image est plutôt celle d’un pays où la communauté kurde est bien intégrée, et de longue date.