Chantage, séquestration, torture, préparation de meurtres - tous ces crimes et délits figuraient dans l'acte d'accusation contre le médecin et homme d'affaires kurde Yektu Uzunoglu. Mardi, le prétendu criminel a été acquitté. Son affaire a duré treize ans et révélé les dessous inavouables de la justice tchèque.
Pour retracer l'affaire, il faut remonter jusqu'en 1994. A l'époque, le ressortissant étranger Gürken Gönen accuse Yektu Uzunoglu et ses complices de l'avoir battu, ligoté, volé et séquestré pendant plusieurs jours. Uzunoglu est écroué et passe deux ans et demi en prison. Il a beau affirmer que Gürken Gönen est un faux témoin manipulé par des personnes cherchant à nuire aux activités commerciales d'Uzunoglu et agissant de concert avec des policiers corrompus, rien n'y fait. La police fait la sourde oreille. Treize ans après, en avril 2007, Yektu Uzunoglu expliquera les raisons de son arrestation à notre collègue Alexis Rosenzweig :
« Le chef de la police qui m'a arrêté s'appelle Opava. Entre-temps, il a été condamné à l4 ans parce que le juge pense qu'il a été le chef du plus grand gang de ce pays, le gang de Berdych. C'est lui qui m'a arrêté... Mes avocats ont longuement tenté de montrer dans mon affaire que ce type était « discutable », mais personne n'a réagi : ils l'ont laissé encore dix ans en exercice, le temps pour lui et son gang de tuer des gens et de commettre tous les crimes. Il a été arrêté en 2004 seulement.... »
L'affaire traîne en longueur et suscite de plus en plus de critiques. Entre-temps, Uzunoglu reçoit la citoyenneté allemande mais aussi le prix Frantisek Kriegel de la Fondation de la Charte 77 qui lui est attribué pour son courage civique. Une pétition en sa faveur est signée par de nombreuses personnalités politiques tchèques. L'ancien président Vaclav Havel lui manifeste son soutien et se joint à sa grève de la faim. Le verdict attendu pendant treize ans ne tombe que le 31 juillet 2007. Selon la présidente de la Cour municipale de Prague, Felicia Hruskova, rien ne prouve que Yektu Uzunoglu ait pris part aux crimes dont il a été accusé. L'acquitté ne cache pas sa satisfaction :
« Je suis très content que la vérité ait finalement vaincu, même si cela a pris treize ans, donc plus que l'affaire Dreyfus. C'est la preuve que cela vaut la peine de lutter. »
L'affaire montre cependant sous un mauvais jour les coulisses de la police et de la justice tchèques. Selon Eva Dobrovolna, d'Amnesty International, son organisation a constaté plusieurs vices de procédure :
« Outre les atermoiements du procès, nous avons constaté aussi d'autres vices de procédure, notamment en ce qui concerne le droit de convoquer et d'interroger les témoins ainsi que le droit à une défense efficace. Le docteur Uzunoglu affirme également avoir été soumis au cours de l'instruction à la torture et à la terreur psychique. »
Fort de sa victoire, Yektu Uzunoglu va maintenant demander un dédommagement pour les préjudices causés par cette affaire interminable. Il promet de faire don de l'argent ainsi obtenu aux organisations militant pour le respect du droit et de la justice en République tchèque.