A Bagdad, un embryon de Constitution sans les sunnites

Image 23 août 2005

La forme a été respectée, mais le pari des responsables politiques irakiens de s'entendre, dans les délais, sur une nouvelle Constitution pour leur pays est, pour l'heure, un demi-échec.Comme promis il y a une semaine, les dirigeants irakiens ont de fait remis au Parlement le projet de texte constitutionnel, lundi 22 août peu avant l'heure limite de minuit. Mais ils se sont donné un délai de trois jours pour aplanir les divergences qui les séparent encore sur le contenu.

Il s'agit, selon les déclarations faites publiquement par des députés, de la question du fédéralisme, de celle des pouvoirs impartis aux présidents de l'Etat, du gouvernement et du Parlement, ainsi que du droit ou non du parti Baas à renaître de ses cendres maintenant que la dictature a été éliminée. Les objecteurs sont les (ou des) représentants de la communauté arabe sunnite, chiites et Kurdes ayant finalement réussi à s'entendre, après d'âpres marchandages et concessions réciproques, sur l'ensemble des chapitres.

Les questions du fédéralisme et des prérogatives imparties aux chefs des pouvoirs exécutif et législatif sont essentielles à un double titre : d'une part, elles définissent la structure et le type de l'Etat à construire ; d'autre part, elles recoupent la composition communautaire du pays, dont le président est kurde, le premier ministre arabe chiite, et le président du Parlement arabe sunnite.

Si les sunnites ou une partie d'entre eux demeurent définitivement hostiles au projet, le risque existe de voir le texte rejeté lors du référendum constitutionnel prévu en principe le 15 octobre. La Loi fondamentale, qui régit aujourd'hui l'Irak, prévoit en effet que le rejet par les deux tiers des électeurs de trois provinces du projet de Constitution suffit pour le rendre caduc. Cette disposition, qui était supposée bénéficier aux Kurdes et qui avait, en son temps, soulevé des protestations de la communauté chiite ­ majoritaire ­ peut aussi jouer en faveur des sunnites. Ils sont en effet majoritaires dans au moins trois provinces, Al-Anbar, Ninive et Salaheddine.

En dépit des ratés de la procédure, la Maison Blanche s'est félicitée du nouveau "pas en avant franchi dans le processus constitutionnel" . L'administration américaine tenait à voir les délais respectés. Le report d'une semaine de la date du dépôt au Parlement du projet constitutionnel, initialement prévu le 15 août, l'avait déjà contrariée. Mais, dans le même temps, Washington tient à intégrer à tout prix les sunnites dans la vie politique, consciente des risques de voir grossir les rangs des insurgés ­ qui se recrutent principalement dans cette communauté ­ s'ils restaient au bord du chemin. L'ambassadeur des Etats-Unis en Irak, Zalmay Khalilzad, qui n'a pas ménagé ses efforts pour faire aboutir le projet de Constitution, a réaffirmé, lundi, l'importance de les voir associés à l'avenir de l'Irak.

"IDENTITÉ MUSULMANE"

Jusqu'à lundi, les questions qui posaient surtout problème étaient la place de l'islam comme source du droit, le système fédéral, la distribution des richesses ­ le pétrole dont regorgent les régions sud et nord du pays ­ et la langue officielle. La principale objection des sunnites concernait le système fédéral et la distribution des ressources naturelles ­ le pétrole dont leurs régions sont quasi dépourvues. Les Kurdes, sunnites eux aussi, tenaient au fédéralisme et à certains droits régionaux sur le pétrole et refusaient la référence à l'islam comme principale source du droit. Les chiites étaient divisés sur les deux questions.

D'après l'agence américaine Associated Press, les grandes lignes du projet de Constitution présenté au Parlement indiquent qu'il s'agit d'un "régime républicain, parlementaire, démocratique et fédéral" . Sous l'intitulé indiquant que "l'islam est la principale source de la législation" ­ formulation à laquelle les Kurdes étaient jusqu'à peu farouchement opposés ­, il est précisé qu'"aucune loi ne peut contredire les normes islamiques" , ni les "normes démocratiques" , ni non plus "les droits et libertés fondamentales définis par la Constitution" . "L'identité musulmane du peuple irakien" est garantie, mais chacun est "libre de pratiquer les usages de son idéologie" .

L'arabe et le kurde sont les deux langues officielles, le turcoman et l'assyrien étant les langues officielles dans les régions où se trouvent ces deux communautés. "Le gouvernement fédéral doit garantir l'unité, la sécurité, l'indépendance, la souveraineté et le système démocratique fédéral du pays" , le pétrole et le gaz étant "la propriété de tout le peuple irakien" , ses revenus devant être distribués selon un schéma qui correspond "à la répartition de la population à travers le pays" .

Mouna Naïm
Washington se félicite

La Maison Blanche a salué, lundi 22 août, "un autre pas en avant dans le processus constitutionnel en Irak" . "Les progrès accomplis au cours de la semaine passée ont été impressionnants" , a estimé la Maison Blanche dans un communiqué. Elle s'est félicitée de "l'esprit de coopération" , du "dialogue" et de la recherche du "compromis" entre les différentes parties irakiennes. "Les Américains ont hâte de voir le projet de Constitution finalisé d'ici à jeudi" , ajoute le texte, qui précise que "les Etats-Unis apportent leur plein soutien au travail des Irakiens pour achever leur transition démocratiqu e". Pour la secrétaire d'Etat Condoleezza Rice, c'est un moment "historique dans la meilleure tradition démocratique" . "Des premières élections libres d'Irak en janvier à la création d'un gouvernement transitoire représentant toutes les tendances au printemps et la présentation du projet de Constitution aujourd'hui , les Irakiens libres ont montré leur détermination face à l'extrémisme et à la violence" , a-t-elle estimé. ­ (AFP.)


Article paru dans l'édition du 24.08.05