Donald Trump et Emmanuel Macron, lors d’une rencontre la veille des 70 ans de l’OTAN, à Londres, le 3 décembre. EVAN VUCCI / AP
lemonde.fr | Par Gilles Paris , Nathalie Guibert et Jean-Pierre Stroobants | Le 04/12/2019
Les divergences occidentales n’avaient sans doute jamais été affichées aussi clairement à l’occasion d’un anniversaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). A la veille de la cérémonie marquant les 70 ans de l’Alliance, elles ont été mises en évidence, mardi 3 décembre, dans un face-à-face sans concession entre le président des Etats-Unis, Donald Trump, et son homologue français, Emmanuel Macron, le premier s’accrochant à la comptabilité, pointant les pays « mauvais payeurs » qui ne dépensent pas assez pour la défense, lorsque le second parlait stratégie.
Avant cette rencontre, de hauts responsables de l’administration américaine, interrogés sur les relations entre les deux hommes, avaient mis en avant « le grand respect que les deux ont l’un pour l’autre ». Un « respect » mis à rude épreuve, lundi en tout début de journée, par Donald Trump, qui a multiplié les critiques contre Emmanuel Macron, en réponse tardive à l’entretien accordé à la mi-novembre à l’hebdomadaire britannique The Economist dans lequel ce dernier avait argué de la « mort cérébrale » de l’OTAN, une critique à peine voilée contre son plus puissant membre.
Macron : « Mes propos sur l’OTAN, je les maintiens »
Avant son arrivée à la Maison Blanche, le président des Etats-Unis avait lui-même jugé l’OTAN « obsolète ». Il s’est réconcilié avec son utilité depuis qu’elle lui permet de revendiquer la paternité de la hausse des dépenses en matière de défense des pays membres, une demande ancienne des administrations américaines, toutes couleurs confondues, mais qui prend une signification particulière avec la volonté de désengagement exprimée par M. Trump.
« Nous avons augmenté les chiffres que paient les autres pays de 130 milliards de dollars [117 milliards d’euros]. [Le budget de l’Alliance] avait baissé pendant près de vingt ans. Si vous regardez un graphique, c’était comme une montagne russe, rien de plus. Et cela durait depuis longtemps. Il n’y aurait plus eu d’OTAN si cela avait continué ainsi », a d’abord assuré le locataire de la Maison Blanche, mardi, à l’occasion d’une rencontre avec son secrétaire général, Jens Stoltenberg. « Je ne pense franchement pas qu’avant nous [elle] était en train de changer, alors qu’elle est vraiment en train de le faire », a-t-il ajouté, se posant en sauveur inattendu.
Puis Donald Trump est passé à l’attaque, jugeant la formule d’Emmanuel Macron livrée à The Economist « très insultante », « très, très désagréable vis-à-vis des vingt-huit pays » membres de l’Alliance, émanant en outre d’un pays qui a « un taux de chômage très élevé » et qui « ne va pas du tout économiquement ». Il a même assuré que « personne n’a plus besoin de l’OTAN que la France », « c’est une déclaration très dangereuse pour ce qui les concerne ».
Quatre heures plus tard, à l’issue de leur rencontre bilatérale, Emmanuel Macron n’a cependant pas cédé un pouce de terrain. « Je sais que mes propos ont suscité des réactions, qu’ils ont un peu secoué, mais je les maintiens », a-t-il dit alors que Donald Trump, changeant de ton, vantait la « très bonne relation » entre les deux pays, qualifiant même de « différend mineur (…) que nous allons probablement pouvoir surmonter » le contentieux lié à l’adoption par Paris d’une taxe visant les géants du numérique. Les Etats-Unis envisagent de sanctionner lourdement des produits d’importation français en représailles.
La Turquie, la Syrie et la question kurde
« Quand on parle de l’OTAN, il ne s’agit pas que d’argent », a assuré le président français, prenant le contre-pied de son homologue américain qui a demandé à deux reprises lors de sa rencontre avec le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, un peu plus tard, quel pourcentage de son produit intérieur brut son pays dépensait pour sa défense.
« Nous devons être respectueux de nos soldats. Le premier fardeau que nous partageons, le premier coût que nous payons, c’est leur vie », a poursuivi M. Macron. « Nous avons aujourd’hui des clarifications à apporter concernant la stratégie (…). Il est impossible de dire : nous devons investir de l’argent, nous devons affecter des soldats. Nous devons définir clairement les principes fondamentaux de ce que devrait être l’OTAN. Et ce n’est pas le cas aujourd’hui. Qu’en est-il de la paix en Europe ? Je veux des éclaircissements à ce sujet », a-t-il dit, évoquant l’incertitude liée à la sortie des Etats-Unis du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire.
« Quand on parle de l’ennemi, je dirais, quel est l’objectif ? Protéger nos partenaires contre les menaces externes. La France le fera et nous serons pleinement solidaires vis-à-vis des Etats de l’est et du nord de l’Europe. Mais l’ennemi commun aujourd’hui est les groupes terroristes. (…) Et je suis désolé de dire que nous n’avons pas la même définition du terrorisme autour de la table », a poursuivi le président français.
Il a déploré l’attitude de la Turquie, « en train de combattre ceux qui se sont battus avec nous » contre l’organisation Etat islamique (EI), dans une allusion à l’offensive militaire lancée en octobre par Ankara dans le nord-est de la Syrie contre les milices kurdes alliées aux Etats-Unis, et à laquelle Washington ne s’est pas opposé.
Donald Trump la tête ailleurs
Impassible pendant la tirade, Donald Trump a pris la parole pour vanter une nouvelle fois la hausse des dépenses de défense des pays membres, déplorant un fardeau financier longtemps trop lourd pour les Etats-Unis, sans évoquer aucune des « clarifications » demandées par son interlocuteur. Il s’est saisi au contraire d’une question d’un journaliste, sur le sort des combattants étrangers de l’EI, pour tenter de le mettre en difficulté.
« Nous avons [dans des centres de détention situés dans le nord-est de la Syrie] un nombre considérable de combattants capturés (…), beaucoup viennent de France, beaucoup d’Allemagne, beaucoup d’Angleterre. Ils viennent principalement d’Europe (…). Je n’en ai pas parlé au président à ce sujet. Voudriez-vous de charmants combattants de l’EI ? Je peux vous les donner. Vous pouvez les prendre – vous pouvez prendre tous ceux que vous pourrez », a-t-il dit sur un ton badin.
« Soyons sérieux », a rétorqué le président français, relativisant le nombre de combattants de l’EI venus d’Europe. « Pour moi, le premier objectif c’est de finir le travail » contre l’EI, a-t-il poursuivi. Le « problème numéro un n’est pas les combattants étrangers [détenus]. Ce sont les combattants de l’EI dans la région et vous avez de plus en plus de ces combattants en raison de la situation actuelle », a-t-il ajouté. « C’est pour cela qu’il est un grand responsable politique. C’est la meilleure non-réponse que j’ai jamais entendue, mais ça va », a grincé Donald Trump.
Le président des Etats-Unis avait sans doute en partie la tête ailleurs, ce mardi. Il savait qu’avant la fin de la journée, la commission du renseignement de la Chambre des représentants devait rendre un rapport à charge, voté par les seuls démocrates, sur l’affaire ukrainienne qui lui vaut une procédure de mise en accusation. Il a été publié alors que Donald Trump dînait à Buckingham Palace, dans ce qui a constitué sa dernière contrariété de la journée.
Gilles Paris (Washington, correspondant), Nathalie Guibert (Londres, envoyée spéciale) et Jean-Pierre Stroobants (Londres, envoyé spécial)