Erdogan/Barosso
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Le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan et le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, lors d'une conférence de presse, le 19 janvier.
21 janvier 2009 | Philippe Ricard
Le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a bouclé, mardi 20 janvier, une visite de trois jours à Bruxelles destinée à revigorer le processus d'adhésion de son pays à l'Union européenne (UE) et d'éviter l'enlisement de négociations déjà très laborieuses
Lancés fin 2005, les pourparlers traînent en longueur, et la défiance n'a cessé de croître entre les deux parties. A ce jour, seuls dix chapitres sur trente-cinq ont été ouverts ; un seul a été refermé. Les Européens s'interrogent sur le rythme des réformes menées par le gouvernement islamiste modéré dans la perspective, lointaine, de son intégration européenne. En face, M. Erdogan soupçonne certains dirigeants européens, dont le président français, Nicolas Sarkozy, et les chrétiens-démocrates allemands, de tout faire pour retarder le processus.
M. Erdogan n'était pas venu à Bruxelles depuis 2004. Dans la capitale européenne, certains se demandaient s'il n'avait pas "perdu la foi" après une année, à Ankara, riche en tensions avec les camps laïc et nationaliste. L'adhésion demeure "la priorité numéro un" du gouvernement, s'est employé à expliquer le dirigeant turc. En prélude à la visite, Ankara a d'ailleurs tenté d'envoyer différents signaux pour convaincre les Vingt-Sept de sa bonne volonté. Pour la première fois, un canal en kurde a été mis en place par la télévision publique. Un négociateur en chef, l'ex-député Egemen Bagis, a été nommé pour accélérer le rapprochement avec l'Union.
A Bruxelles, M. Erdogan a également mis en avant les avantages que l'UE pourrait retirer d'une adhésion de la Turquie. Sur le terrain diplomatique, Ankara se targue de jouer un rôle de méditation de premier plan au Proche-Orient, en tant qu'allié d'Israël, et interlocuteur du Hamas. En 2008, les efforts de la diplomatie turque ont facilité l'émergence d'un dialogue indirect entre la Syrie et l'Etat juif. Un entregent que même Nicolas Sarkozy - toujours farouchement opposé à l'entrée de la Turquie dans l'UE - a salué en fin de présidence française.
Le premier ministre turc a, par ailleurs, insisté sur l'importance de son pays en matière d'approvisionnement énergétique. Il a menacé de revoir sa position au sujet du gazoduc Nabucco (censé relier en 2012 les champs de la Caspienne à l'Europe via la Turquie) afin d'obtenir l'ouverture du chapitre sur l'énergie. Chypre s'y refuse en raison d'un contentieux avec Ankara sur l'exploration pétrolière en mer Egée. Or le projet Nabucco figure plus que jamais parmi les priorités de l'UE, dans le contexte de la "guerre du gaz" entre la Russie et l'Ukraine. "Nous nous sommes entendus sur la nécessité de ce gazoduc", a assuré, lundi, José Manuel Barroso. Le président de la Commission européenne a laissé entendre qu'il n'apprécie pas le chantage turc : "Nous ne devrions pas lier la question de la sécurité énergétique avec un élément particulier dont nous discutons dans le cadre des négociations d'adhésion."
L'accélération des négociations d'adhésion est cependant très incertaine. Comme ses prédécesseurs, la présidence tchèque de l'Union ne devrait pas être en mesure d'ouvrir plus de deux ou trois chapitres supplémentaires d'ici à juin. La France continue de refuser l'ouverture de cinq chapitres qui présupposent, selon elle, une adhésion à l'Union, comme l'euro, les institutions ou le budget.
En raison de la non-reconnaissance de Chypre, huit chapitres économiques sont de surcroît bloqués. D'ici à fin 2009, l'UE exige, avant d'envisager d'aller de l'avant, que la Turquie étende les accords d'union douanière à l'ensemble de ses membres, dont Chypre. Mais rien ne devrait évoluer tant que les pourparlers sur la réunification de l'île, dont l'armée turque occupe la partie nord depuis 1974, n'ont pas abouti. Relancées pendant l'été sous l'égide de l'ONU, ces discussions piétinent elles aussi.