[Reuters , AFP - Édition du vendredi 13 mai 2005]
Le gouvernement turc a laissé entendre hier qu'il pourrait rejuger Abdullah Öcalan après l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme confirmant la condamnation d'Ankara pour le caractère inéquitable du procès de l'ancien leader séparatiste kurde en 1999. S'exprimant sur la chaîne de télévision publique TRT, Cemil Cicek, porte-parole du gouvernement, a déclaré que la Turquie ferait «ce qu'elle a à faire», ouvrant la voie à un nouveau procès d'Öcalan, dont la condamnation à mort prononcée le 29 juin 1999 a depuis été commuée en peine de prison à perpétuité.
Dengir Mir Mehmet Firat, vice-président du Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir, a indiqué que les autorités judiciaires turques décideraient des suites à donner à ce dossier, affirmant que cette procédure pourrait nécessiter certains amendements aux lois.
Le ministre de la Justice, Cemil Cicek, a de son côté indiqué à la chaîne de télévision privée NTV que les objections de la cour de Strasbourg concernaient essentiellement des vices de procédure et ne contestaient pas l'essence de la sentence qui a condamné Öcalan pour «séparatisme et trahison».
En visite en Hongrie, le premier ministre Tayyip Erdogan a pour sa part assuré que «l'affaire [Öcalan] était close pour la conscience de la nation» turque même si le dossier était rouvert. «La Turquie est un État de droit, il n'y a aucun doute là-dessus. La décision finale reviendra à notre tribunal et ne pourra faire l'objet d'aucun appel.»
La décision de la Cour européenne survient à quelques mois de l'ouverture, en octobre, des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Bruxelles fait pression sur Ankara pour qu'elle se conforme aux normes occidentales en matière de respect des droits de l'homme.
Satisfaction dans le camp Öcalan
L'arrêt rendu hier par la Cour européenne des droits de l'homme, qui succède à un premier arrêt du 12 mars 2003 dont les deux parties avaient fait appel, est définitif.
«Je suis très satisfait de ce jugement. Notre grief principal était qu'il n'avait pas bénéficié d'un procès équitable. Dans ces circonstances, la cour ouvre la voie à un nouveau jugement», a estimé à Strasbourg Mark Muller, l'un des avocats de l'ancien président du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
«L'article 90 de la Constitution turque oblige le gouvernement à mettre en oeuvre les jugements de la cour. Le remède est très clair, c'est un nouveau jugement», a renchéri Yildiz Kerim, autre défenseur de l'ancien leader kurde.
Le PKK dirigé par Öcalan, 56 ans, est considéré comme une organisation terroriste par la Turquie et nombre de pays occidentaux, dont les États-Unis. Il a mené entre 1984 et 1999 une lutte armée pour la création d'un État kurde indépendant dans le Sud-Est anatolien.
La peine d'Öcalan avait été commuée à la prison à vie en 2002 après l'abolition de la peine de mort, une des nombreuses mesures en matière de démocratie adoptées en Turquie dans le cadre de ses aspirations européennes.
Un nouveau procès pour Öcalan, toujours considéré comme l'ennemi public no 1 en Turquie, s'avérera un casse-tête pour le gouvernement du premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Il sera confronté à de nombreuses critiques sur le plan intérieur alors que son pays est pris dans une vague nationaliste en raison notamment des réformes proeuropéennes qu'il a engagées.
Arrêté en février 1999 au Kenya et transféré en Turquie, Abdullah Öcalan avait été condamné quatre mois plus tard par la Cour de sûreté d'Ankara pour menées séparatistes et pour sa responsabilité dans la guerre civile qui a fait plus de 30 000 morts dans le sud-est de la Turquie entre 1984 et 1999.
http://www.ledevoir.com/2005/05/13/81705.html