Le site d'Hasankeyf se trouve au coeur de la polémique.
«Le barrage va détruire douze mille ans d'Histoire», se désole Abdulvahap Kusen, le maire du village. Accroché à la falaise au bord du fleuve et utilisé par les Romains comme forteresse pour repousser les Perses, Hasankeyf présente un intérêt archéologique majeur. Les vestiges des civilisations byzantine et ayyoubide du XIV
e siècle, condamnés à disparaître sous les eaux du lac, s'y superposent : les piliers du pont érigé il y a huit cents ans avec son arche large de 40 mètres, les ruines des anciennes églises chrétiennes, le tombeau conique couvert de céramiques turquoise du XV
e siècle...
En 2013, date prévue de sa mise en service, le barrage produira 3,8 milliards de kilowattheures par an. La construction de la deuxième plus grande réserve d'eau du pays s'inscrit à la fois dans la politique globale de la Turquie qui cherche par tous les moyens à augmenter sa capacité de production énergétique.
Projet de 22 retenues d'eau
Ilisu fait partie du Projet pour le Sud-Est anatolien (GAP), un programme qui prévoit la construction de 22 retenues d'eau et 19 centrales électriques pour tenter de développer la région la plus déshéritée du pays. Recep Tayyip Erdogan a affirmé que la réalisation d'Ilisu entraînerait la création de 20 000 emplois. Et l'irrigation de 121 000 hectares de terres permettra le développement de l'agriculture selon ses partisans.
«L'étude d'impact sur la population locale menée par le consortium chargé des travaux (NDLR : des entreprises allemande, suisse et autrichienne
) est totalement insuffisante selon les normes internationales», dénonce Christine Eberlein de l'ONG suisse la Déclaration de Berne. «Kurdish Human Rights Project», une organisation kurde basée à Londres, a déposé plainte auprès de la Cour européenne des droits de l'homme. En 2001 déjà, la société britannique Balfour Beatty s'était désengagée du projet, découragée par
«les complexités environnementales, économiques et sociales». Deux cents villages peuplés majoritairement par des Kurdes seront engloutis et 54 000 personnes déplacées. Les autorités turques annoncent l'érection d'une nouvelle ville pour reloger les habitants d'Hasankeyf et des indemnités pour tous les expropriés. Le collectif d'associations et de municipalités locales redoute un exil dans les bidonvilles de Diyarbakir ou de Batman dans lesquels s'entassent des dizaines de milliers de réfugiés chassés de leur maison par la guerre civile entre les séparatistes du PKK et l'armée turque.