10.07.06 | 14h10 • Mis à jour le 10.07.06 | 19h17
a guerre interconfessionnelle qui sévit entre chiites et sunnites irakiens depuis des mois a enregistré, dimanche 9 juillet à Bagdad, une escalade sans précédent. Pour la première fois, dans une action apparemment concertée et organisée, plusieurs groupes de miliciens chiites masqués ont pénétré, le matin, à Al-Jihad, faubourg à majorité sunnite composé de petites villas prospères, situé dans l'ouest de la capitale, sur la route de l'aéroport.
Vêtus de l'uniforme noir caractéristique de l'Armée du Mahdi, la puissante milice du prêcheur radical Moqtada Al-Sadr, les hommes masqués ont dressé des barrages, stoppé véhicules et piétons, exigé les papiers d'identité des personnes et ont systématiquement abattu tous ceux présumés de confession sunnite. Selon la police, au moins 42 personnes ont été assassinées, dont plusieurs femmes et enfants.
REUTERS/NAMIR NOOR-ELDEEN Deux personnes abattues par des hommes masqués à Bagdad, le 9 juillet 2006 |
Par ailleurs, deux voitures piégées ont explosé, dimanche, devant une mosquée chiite du quartier de Kasra, au nord de la ville, tuant au moins 19 personnes et en blessant 59. Et des obus de mortier ont été tirés par des inconnus sur le quartier, naguère mixte et aujourd'hui presque intégralement sunnite d'Al-Dora, dans le sud-ouest de Bagdad, provoquant la mort de plusieurs civils.
Confrontée à cette nouvelle dégradation de la sécurité, la classe politique irakienne apparaît dépassée et impuissante. Bien que théoriquement réunie dans un "gouvernement d'unité nationale", ses réactions ont été contradictoires. Vice-premier ministre, Salam Al-Zubaïe, sunnite, a dénoncé "un véritable et horrible massacre", accusant les milices chiites dont le gouvernement ne cesse d'annoncer la "prochaine dissolution", mais aussi les forces de l'ordre, notamment la police et les commandos spéciaux du ministère de l'intérieur, commandés par des chiites et infiltrés par les milices. "Il y a des officiers qui devraient être interrogés et traduits en justice", a-t-il dit.
"Cette position ne reflète pas celle du gouvernement", a répliqué un porte-parole du premier ministre Nouri Al-Maliki, avant que l'un de ses alliés politiques de la coalition chiite qui domine le pouvoir (Alliance unifiée irakienne) fasse savoir que M. Maliki allait demander, lors d'une visite à Washington, qu'"une plus grande latitude d'action soit laissée aux forces de l'ordre irakiennes". "Tout, a ajouté ce responsable à l'agence Reuters, tout est entre les mains de la Force multinationale, et la situation empire." De fait, a dit Wafiq Al-Samarraïe, conseiller de sécurité du président (kurde) de la République Jalal Talabani, "nous sommes aux portes de la guerre civile".
Les scènes rapportées par les témoins des tueries d'Al-Jihad sont d'une violence extrême. Un commerçant chiite du quartier a raconté à l'agence Associated Press avoir vu "des hommes lourdement armés sortir quatre personnes d'une voiture qui passait. Ils leur ont mis un bandeau sur les yeux et les ont emmenées un peu plus loin. Ils ont sorti cinq autres passagers d'un minibus et ont regroupé les neuf avant de les arroser au fusil d'assaut".
FAUSSE CARTE D'IDENTITÉ
Wissam Mohammad Al-Ani, jeune calligraphe sunnite de 27 ans, a expliqué comment il avait eu la vie sauve en sortant de sa poche une fausse carte d'identité faisant de lui un chiite de Kerbala...
Selon la police, les tueries auraient été déclenchées après l'attaque, samedi, d'une mosquée chiite d'Al-Jihad, qui avait fait sept morts. L'imam de la mosquée, cheikh Mahmoud Al-Soudani, proche de Moqtada Al-Sadr qui a, pour sa part, juré de "punir" ses miliciens s'il était prouvé qu'ils avaient perpétré les tueries, a expliqué à l'Agence France-Presse que "beaucoup de chiites ont été chassés ces derniers mois d'Al-Jihad. Beaucoup appartiennent à des tribus du Sud qui ont sans doute voulu prendre leur revanche. Cela fait partie de la tradition".
Patrice Claude
Article paru dans l'édition du 11.07.06