G. M. [28 septembre 2005] - Relancée après la guerre qui chassa Saddam Hussein du pouvoir à Bagdad en 2003, la coopération sécuritaire secrète entre Israéliens et Kurdes d'Irak a subi un coup d'arrêt ces derniers mois, sous l'influence de Washington.
Après la désignation du dirigeant kurde Jalal Talabani à la présidence de la République d'Irak au printemps 2005, «un conflit d'intérêts est apparu entre les deux alliés», estime un expert des questions de sécurité au Proche-Orient. «Pour ne pas être critiqué par les chiites et les sunnites, ajoute-t-il, Talabani, nouveau chef de l'Etat, ne pouvait plus laisser développer des relations condamnées par l'immense majorité des Irakiens. Le double jeu kurde a été stoppé.» Depuis, une partie des agents israéliens aurait quitté le nord de l'Irak. Il n'en resterait qu'une centaine, et les hommes d'affaires israéliens n'agissent pratiquement plus que via des intermédiaires kurdes ou jordaniens.
Le conflit avait pourtant aidé à resserrer le partenariat entre le Mossad, le service secret israélien, et les responsables kurdes, alliés de trente ans contre le régime nationaliste de Bagdad. Pour Israël, il s'agissait de pousser les aspirations fédérales des Kurdes et de contenir l'influence iranienne en Irak. «Après les hostilités, les Israéliens, inquiets de voir des milliers de soi-disant pèlerins iraniens pénétrer en Irak, ont tenté en vain de convaincre les Américains de fermer la frontière irano-irakienne», explique au Figaro, Patrick Clawson, directeur adjoint du centre de recherches américain Washington Institute for Near East Policy. Mais les Etats-Unis, soucieux de ne pas braquer leurs alliés chiites irakiens, ont fait la sourde oreille.
Les Israéliens, constatant que leurs alliés s'embourbaient, ont alors décidé de prendre les choses en main. A Erbil et Souleymanieh, des instructeurs israéliens, déguisés souvent en hommes d'affaires, ont été chargés d'améliorer la formation des pechmergas, les miliciens kurdes. Début 2004, environ 1 200 agents du Mossad ou des renseignements militaires israéliens opéraient au Kurdistan, selon des estimations militaires françaises. Leur mission : mettre sur pied des commandos kurdes suffisamment forts pour contrer les milices chiites, plus ou moins manipulées par Téhéran, dans le sud de l'Irak, notamment celle du trublion Moqtada al-Sadr. Les dirigeants kurdes renvoient l'ascenseur par des déclarations favorables. Le 6 juin dernier, Massoud Barzani, du Parti démocratique du Kurdistan, estime qu'une relation avec Israël «n'est pas un crime du moment que la plupart des pays arabes entretiennent des rapports» avec l'Etat hébreu.
De tout temps, les montagnes du Kurdistan ont été un nid d'espions. «La présence de beaucoup de monde dans cette région, autonome depuis 1991, permet aux Israéliens de recruter des agents au sein de clientèles qui infiltreront d'autres organisations», analyse l'ancien patron d'un service de renseignements européen. Aujourd'hui, la priorité kurde d'infiltrer la nouvelle armée irakienne, dirigée désormais par un des leurs, ne peut pas desservir les intérêts israéliens. En s'alliant avec les Kurdes d'Irak, l'Etat hébreu a renforcé sa surveillance sur l'Iran et la Syrie, ses deux grands ennemis au Moyen-Orient. Mais l'activisme israélien a fini par déranger Washington. «On reçoit une forte pression de la part de Washington pour que nous arrêtions nos manoeuvres avec les Kurdes», confie un Israélien envoyé à Erbil sous une couverture universitaire. «Les Américains ne sont plus d'accord avec les plans israéliens», affirme-t-il. Washington ne souhaite plus tolérer une présence embarrassante pour ses intérêts.