Des troupes turques font route vers la Syrie, à Hassa, dans la province d'Hatay, dimanche. Photo BULLENT KILIC AFP
liberation.fr | Par Quentin Raverdy, correpondant à Istanbul | 22/01/2018
La Turquie, appuyée par des combattants de l’Armée syrienne libre, a lancé une offensive dans le canton d’Afrin. Une action menée avec l’aval de la Russie qui confirme la fragilisation du lien avec Washington.
Après une semaine de sommations et de menaces, la Turquie a annoncé samedi le lancement de l’opération «Rameau d’olivier». L’objectif est de prendre le contrôle du canton d’Afrin, dans le nord-ouest de la Syrie, accolé à la frontière turque. Un territoire où vivraient près de 500 000 personnes, dont nombre de déplacés internes. Il est sous contrôle depuis 2012 - et le retrait des troupes du régime de Damas - du Parti de l’union démocratique (PYD) et de ses milices armées, les YPG. Des forces kurdes considérées par Ankara comme terroristes en raison de leurs liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), que l’Etat turc combat depuis plus de trente ans.
Tirs d’artillerie puis bombardements aériens : plus d’une centaine de cibles ont été visées dans le canton. Selon un premier bilan communiqué par les YPG et des ONG, au moins 18 personnes (dont 15 civils) auraient été tuées samedi et dimanche. De l’autre côté, dimanche, des tirs de roquettes contre la ville turque de Reyhanli, proche de la frontière, ont tué une personne et en ont blessé 32 autres. Dimanche matin, le Premier ministre turc, Binali Yildirim, a annoncé que des forces turques et des combattants de l’Armée syrienne libre (entraînés et équipés par Ankara) ont pénétré dans le canton en vue de sécuriser une zone de 30 km depuis la frontière.
Enclaves. La France a appelé la Turquie à la « retenue». D’autant plus que les combattants kurdes sont en première ligne dans la lutte contre l’Etat islamique dans le nord-est de la Syrie. Ce sont eux qui ont mené les combats pour reprendre Raqqa.
Avec cette opération, Ankara veut empêcher à tout prix la formation à sa frontière d’un «corridor» reliant Afrin aux cantons de Kobané et Qamishli, à l’est de l’Euphrate, eux aussi sous contrôle des forces kurdes. En août 2016, l’armée turque et les rebelles syriens avaient déjà lancé dans le nord du pays l’opération «Bouclier de l’Euphrate» pour prévenir la jonction des enclaves kurdes. Et ce week-end, le président Erdogan promettait déjà de s’attaquer à Manbij (à 100 km à l’est d’Afrin).
«Cette opération est un message fort envoyé par la Turquie aux Etats-Unis qui, en choisissant de s’appuyer sur les forces kurdes pour combattre l’Etat islamique en Syrie, ont sérieusement fragilisé leur lien avec Ankara», souligne Ilter Turan, spécialiste des relations internationales à l’université Bilgi d’Istanbul. Les tensions sont montées d’un cran la semaine dernière lorsque la coalition anti-EI, menée par Washington a annoncé la formation prochaine d’une force frontalière dans le nord de la Syrie, comptant 30 000 hommes (dont une moitié de YPG) pour maintenir la sécurité dans les zones nettoyées des jihadistes. Le leader turc avait sans attendre promis de «tuer dans l’œuf» cette «armée de terroristes».
Désescalade. Par ailleurs, l’opération «Rameau d’olivier» met en lumière une nouvelle phase dans les relations entre la Russie, alliée de Damas, et la Turquie, déjà garantes (avec l’Iran) du cessez-le-feu en vigueur en Syrie. De l’avis de nombre d’observateurs, les bombardements turcs, ce week-end, n’ont été rendus possibles qu’avec l’accord de la Russie - qui contrôle l’espace aérien dans la région - et le retrait samedi de ses troupes stationnées à Afrin. Par ce geste, le Kremlin pourrait chercher à apaiser Ankara, mécontent de l’avancée des troupes de Bachar al-Assad, appuyées par les Russes, en direction de la zone de désescalade syrienne d’Idlib (nord-ouest), où sont déployées des troupes turques.
Alors que Moscou entretenait de bons rapports avec les Kurdes de Syrie, «Rameau d’olivier» pourrait rebattre les cartes. «Nous savons très bien que l’armée turque n’aurait pas mené cette attaque sans l’accord des puissances internationales, en premier lieu de la Russie, ont rappelé ce week-end les combattants kurdes. «En donnant son aval, la Russie savait que l’opération allait créer de la discorde entre alliés de l’Otan, explique Nihat Ali Özcan, spécialiste turc des questions de sécurité. Elle a aussi voulu faire comprendre aux Kurdes qu’elle n’appréciait pas leur rapprochement avec les Etats-Unis. Un rapprochement qui pourrait créer une menace à terme pour le régime syrien.»
En Turquie, des voix s’interrogent sur la capacité de l’armée nationale à mener à bien «Rameau d’olivier», alors qu’à Afrin les YPG compteraient entre 8 000 et 10 000 combattants, selon le Premier ministre turc. Les forces d’Ankara avaient affiché certaines difficultés lors de l’opération «Bouclier de l’Euphrate». Une fragilité à laquelle les purges menées au lendemain du coup d’Etat manqué de juillet 2016 n’étaient pas étrangères.