La mort en garde là vue e 16 septembre de Jina (Mahsa) AMINI, jeune femme kurde originaire de la ville de Saqqez, continue de susciter des vagues d’indignation et de protestations un peu partout en Iran et dans le monde.
Les manifestations sont particulièrement massives et meurtrières au Kurdistan iranien où depuis plus de 80 jours des dizaines de milliers de manifestants pacifiques descendent dans les rues au cri de « A bas le dictateur (Khamenei), A bas la république islamique ! Non au voile islamique ». Des femmes brûlent en public leur voile islamique, lancent le slogan féministe kurde « Jin, Jiyan, Azadi » (Femme, Vie, Liberté). Les forces de répression iraniennes, notamment les gardiens de la révolution, interviennent avec une extrême brutalité contre les manifestants pacifiques, tirant à balles réelles sur les civils.
Le bilan de la répression s’alourdit de jour en jour dans tout l'Iran.
L’ONG Iran Human Rights (IHR) basée à Oslo et généralement bien informée affirme le 7 décembre qu’au moins 458 civils dont 63 enfants ont été tués par les forces de répression iraniennes dans 26 provinces iraniennes dont 37 au Mazandaran, 25 à Guilan, 128 à Sistan-Baluchistan, 46 à Téhéran 133 dans quatre provinces kurdes. 11 manifestants arrêtés ont été condamnés à mort à l'issue de procès expéditifs. De son côté, l’ONG HENGAW, bien implantée au Kurdistan, a publié le 7 décembre une liste réactualisée de 122 victimes au Kurdistan; dont 106 civils abattus par des tirs à balles réelles. Parmi eux 16 civils tués lors des manifestations marquant le 40e jour de la mort de Jîna AMINI.
Voici une liste non exhaustive des noms des civils kurdes tués lors des manifestations par les forces de répression iraniennes :
Sanandaj (17 morts)
Bukan (17 morts):
Mahabad (15 morts)
Kermanshah (8 morts)
Javanrud (7 morts)
Piranshahr (7 morts)
Oshnovieh (5 morts)
Urmia (5 morts)
Islamabad-e Gharb (4 morts)
Divandareh (4 morts)
Saqqez (4 morts)
Baneh (4 morts)
Sonqor (3 morts)
Mariwan (3 morts)
Kamiyaran (3 morts)
Quchan (2 morts)
Ilam (2 morts)
Kangavar (2 morts)
Dehgolan (2 morts)
Salas Babajani (1 mort)
Qorveh (1 mort)
Qasr-e-Shirin (1 mort)
Sahneh (1 mort)
Les tirs à balles réelles ont été régulièrement utilisées lors des manifestations du 8 au 10 octobre et 26 au 30 octobre à Sanandaj, Saqqez, Marivan, Bokan, Baneh, Kermanchah, Mahabad, outrés par la cruauté de la repression les manifestants ont mis le feu aux bâtiments publics et aux postes de police. Les images de ces scènes de guerre circulent sur les réseaux sociaux.
On compte aussi plus de 8.000 blessés, dont certains graves, dans les manifestations qui se déroulent dans les principales villes du Kurdistan iranien : Saqqez, ville natale de Jina AMINI, Sanandaj, Kermanchah, Bokan, Mahabad, Baneh, Ourmia, Kamyaran, Diwandara, Ilam, Naghadeh, Piranshahr, Maku, Bijar, Dehgolan, Marivan, Shino (Oshnovieh).
Une violence décuplée lors des manifestations marquant le 40e jour de son décès qui ont fait 16 morts. Le 5 novembre les funérailles sous haute surveillance de Nasrin Qaderi, jeune doctorante kurde de 35 ans, tuée à Téhéran ont donné lieu à des manifestations massives dans sa ville natale de Marivan où tous les commerçants ont baissé leurs rideaux.
A l’appel de la coordination des partis politiques kurdes iraniens, une grève générale a été massivement suivie les 17 et 18 septembre dans l’ensemble du Kurdistan le jour des funérailles. Grève suivi aussi fin octobre dans la plupart des villes kurdes. Une grève générale a également été observé à Marivan le 5 novembre lors des obsèques de Nasrin Qaderi. Depuis le 5 décembre une grève générale est massivement suivie au Kurdistan et dans de nombreuses villes en Iran.
Dans une interview accordée à la chaîne d’info kurde irakienne RUDAW, le père de la victime, Amjad AMINI, a affirmé que sa fille était en bonne santé, sans aucun précédent médical, et qu’elle avait reçu des coups mortels à la tête lors de son arrestation et de sa garde à vue par la police des mœurs pour « port inadéquat du voile » car son hidjab ne couvrait pas toute sa chevelure abondante. Il ajoute qu’il a dit cela au président iranien Raïssi qui l’avait appelé pour présenter ses condoléances. Sa demande d’autopsie n’a pas été acceptée par les autorités qui ont publié le 7 octobre un « rapport médical » affirmant que Jina Amini était décédée à la suite d’un « arrêt d’oxygénation du cerveau » donc de maladie. Le père de la victime a le jour même récusé cette version dans une interview à la BBC en persan rappelant l’écoulement du sang des oreilles et du cou de sa fille suite à des coups sur la tête.
Il y a depuis le 20 septembre une extension de ces manifestations à Ispahan, Tabriz, dans les provinces de Caspienne, Mazandaran et Guilan, au Khorassan, Balouchistan et dans une trentaine d’autres villes iraniennes. En raison de la coupure, par le régime, de l’accès aux réseaux sociaux, notamment au Kurdistan et depuis le 21 septembre à Téhéran et dans d’autres villes en ébullition, les informations sur ces manifestations et surtout les images deviennent très difficiles à obtenir.
Le régime iranien s’engage dans une répression féroce à huis clos et mobilise outre les gardiens de la révolution ses multiples milices et auxiliaires dans cette répression contre les manifestants qualifiés d’agents de l’étranger et de contre-révolutionnaires. Dans une intervention le 3 octobre devant l’Académie militaire l’Ayatollah Khamenei a appelé les forces de sécurité à réprimer avec fermeté « ces troubles fomentés par les Américains et le régime sioniste ».
L’émotion de l’opinion politique internationale indignée par le meurtre d’une jeune femme de 22 ans « coupable » du « port inadéquat » du voile islamique a suscité des réactions de condamnation de l’Union européenne, d'Allemagne, du Canada, de la France, des Etats-Unis et d’autres pays occidentaux. Le Haut-Commissariat aux Droits de l’homme de l’ONU a demandé une enquête indépendante sur le meurtre, demande qui risque fort de rester sans suite. Le président américain Joe Biden a tenu à saluer, à la tribune de l’ONU, le courage des femmes iraniennes. L’UE et Washington ont adopté des sanctions symboliques contre les responsables de la police des mœurs e d’autres responsables de l’appareil de répression iranienne.
Le 27 septembre, les Gardiens de la révolution ont lancé une vaste attaque contre les sièges des partis politiques kurdes iraniens réfugiés au Kurdistan irakien. Environ 70 missiles de précision et de nombreux drones suicides ont été utilisés lors de cette attaque massive qui a fait 18 morts dont une femme enceinte, un nouveau né et des civils. Une école primaire et de nombreuses habitations civiles ont été détruites.
Cette agression enfreignant sans retenue la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Irak a été fermement condamnée par Bagdad et par le Gouvernement régional du Kurdistan qui déplore les destructions causées dans la ville de Koya et dans de nombreux villages frontaliers causant le déplacement de plus de 500 civils. Les Etats-Unis, la France, l’UE et plusieurs pays arabes ont condamné l’attaque meurtrière des forces iraniennes au Kurdistan irakien. A l’appel des partis kurdes iraniens, une grève générale a été massivement suivie le 1er octobre dans l’ensemble du Kurdistan iranien. De nombreuses universités y compris l’université de technologie Sharifi de Téhéran, qui forme l’élite scientifique du pays, se sont associées à cette grève. La contestation gagne désormais les lycées et les écoles où les portraits des ayatollah Khomeiny et Khamanei sont brûlés
A l’étranger, du Chili en Italie, de Norvège jusqu’en Australie, dans une centaine de pays des Iraniens et leurs amis ont manifesté pour exprimer leur solidarité avec le combat des femmes kurdes et iraniennes. Ainsi à Paris, plusieurs milliers de personnes, dont des représentants des partis politiques et syndicats français ont, le dimanche 2 octobre, défilé de la République à la Nation en sc andant le slogan « Femme, Vie, Liberté ». D’autres manifestations ont eu lieu un peu partout dont à Paris les 8 et 9 octobre. Ces manifestations sont appelées à se poursuivre. Le 5 octobre, une parlementaire européenne suédoise a coupé en séance ses cheveux en signe de solidarité. Geste de solidarité repris le même jour par plusieurs actrices françaises dont Sophie Marceau, Juliette Binoche, Marion Cotillard. Le 6 octobre, dans une conférence de presse la maire de Paris, Mme Anne Hidalgo, a exprimé la solidarité de sa ville avec les femmes iraniennes en lutte et a coupé devant les journalistes une mèche de ses cheveux. La façade de la mairie a été ornée d’un portrait de Jina Mahsa Amini qui a été faite citoyenne d’honneur de Paris, à titre posthume lors du Conseil du 11 octobre où Mme Hidalgo lui a rendu un vibrant hommage.
Vidéo YouTube Intervenant au nom de la majorité municipale Paris en commun, Mme Geneviève Garrigos, adjointe à la maire, a évoqué son identité kurde et salué le combat des femmes kurdes et iraniennes pour la liberté
Le port du voile islamique par les femmes a été imposé par la République islamique dès son avènement en 1979. Cependant l’application de cette obligation a été plus ou moins stricte selon l’air du temps. Depuis l’élection de l’ultra conservateur Raïssi à la présidence la police des mœurs a été considérablement renforcée et la répression est devenue encore plus sévère. Aussi, selon le chef de la police de Kermanchah, Ali Akbar Javidan, cité par l’agence iranienne HRANA le 13 août dernier, on ne compte pas moins de 26 checkpoints publics de la police des mœurs et 6 autres opérant sous couvertures diverses dans cette grande ville kurde. Le policier en chef annonce fièrement que depuis le début du printemps 1700 femmes ont été arrêtées par la police des mœurs pour « infraction au port obligatoire du voile ».
Les femmes kurdes, de tradition laïque et jouissant traditionnellement d’une plus grande liberté par rapport à leurs consoeurs de la plupart des sociétés musulmanes, sont très rétives au port du voile. Elles sont très engagées dans les mouvements politiques, associatifs et sociaux du Kurdistan. Elles paient un prix fort pour la défense de leurs droits dans cette république liberticide.
Il y a environ 12 millions de Kurdes en Iran répartis entre les provinces (ostan) de Kurdistan (capitale Sanandaj), Kermanchah, Ilam et Azerbaidjan occidental où les campagnes sont à grande majorité kurde mais certaines villes (Ourmia, Naghadeh) ont des populations mixtes kurdes et azéries. Il y a aussi près de 2 millions de Kurdes dans la province orientale de Khorassan, au nord de Mashhad, où leurs ancêtres avaient été déportés par Nadir Shah (17ème siècle) pour défendre les marches de l’empire iranien contre les invasions turco-mongoles. Ils ont conservé leur langue et leur culture.
Les Kurdes résistent depuis 1979 à la République islamique et luttent pour un Iran démocratique, laïc et fédéral reconnaissant sur un pied d’égalité les divers peuples (arabe, azeri, balouche, kurde, persan, turkmène) qui composent l’Iran.
Les partis politiques kurdes, dont certains (PDKI, Komala) continuent la résistance armée au régime, sont tous de tradition laïque.