Pari(s) d'Exil
Zirek
Zîrek, qui fut acteur chez le Turc Yilmaz Güney, réalise son premier long-métrage
LE MONDE - jeudi 2 MAI 2013
Pari(s) d'exil
Poursuivi pour ses activités culturelles jugées « terroristes », Zirek s'est exilé en France dans les années 1980. Il y vit depuis lors, doté du statut singulier d'« apatride ex-Turc». Dans son pays natal, son nom est rayé des registres. Ne pouvant y revenir lui-même, il se montre fidèle à la promesse faite à son père .en envoyant au. Kurdistan son fils, qui ne parle pas un mot de la langue et n'a jamais rencontré sa famille... L'absence de l'adolescent et leurs conversations téléphoniques d'un monde à l'autre replongent Zîrek dans ses souvenirs, et ravivent en lui le rêve déjà vieux d'un retour auprès des siens.
Réalisateur et protagoniste du film, Zîrek est avant tout connu comme comédien: très présent sur les planches, il a fait sa première apparition sur les écrans français lorsque Yilmaz Güney, le grand réalisateur turc d'origine kurde, présenta Le Mur en 1983 au Festival de Cannes. Zirek y interprétait le rôle d'un terrible gardien chargé de surveiller les jeunes délinquants du pénitencier d'Ankara. Il fut destitué de sa nationalité turque à la suite de cette collaboration.
Si Zirek a continué de fréquenter les planches et d'apparaître au cinéma et à la télévision, Pari(s) d'exil est sa première expérience en tant que réalisateur. Mais" c'est le Zîrek comédien qui se met ici en scène, aussi bien l'exilé aux souvenirs douloureux que le saltimbanque déguisé en Charlot, qui se livre au bord d'une fontaine à un bel exercice de déséquilibre. Le film se construit dans- une alternance de plans sur la ville et de plans sur sa silhouette ou son visage, et ce tête-à-tête pourrait sembler narcissique si l'on ne sentait pas une grande humilité dans son travail sur la forme et un recul critique constant vis-à-vis de lui-même.
Une aventure humaine
C'est modestement que Zîrek se présente à l'objectif: un exilé parmi la foule des autres, errant dans les rues de Paris, collectionnant misérablement les coupures de presse qui lui parlent du pays natal, accostant plus misérablement encore, à la veille de Noël, une prostituée chinoise dont il tombe un peu amoureux, parce qu'elle est exilée comme lui et que tous les exilés se ressemblent. Entre les quelques scènes tentées par l'onirisme (la danse traditionnelle turque hallucinée en bord de Seine), les délires conscients de l'homme resté seul et la voix off qui, çà et là, dit calmement quelques lignes poético-méditatives, son film semble fait de bric et de broc. Mais l'aventure humaine qui lui tient lieu de fil rouge se décline avec une telle sincérité qu'il s'avère aisé, et très émouvant, de suivre l'exilé dans son labyrinthe.
Noémie Luciani
Film français de Zirek. Avec Zîrek, Simon Cohen, Gurgun Argan, Lin Liao-Yi (1h10).