35 Milions de Kurdes au Moyent-Orient
Des Peshmerga sur le ligne de front, près d'Arbil, en Turquie. - © Safin Hamed - AFP ; montage BFMTV
Bfmtv.com | Adrienne Sigel et Olivier Laffargue
Directement confrontés à l'Etat islamique à Kobané, ville du nord de la Syrie à la frontière turque, les Kurdes d'Irak et de Syrie se retrouvent en première ligne face à l'avancée fulgurante des jihadistes dans la région. Focus sur un peuple écartelé entre quatre pays.
Des milliers d'entre eux ont fui les islamistes de Daesh, et leur avancée fulgurante au Moyen-Orient. En première ligne pour combattre au sol, les Kurdes sont seuls à affronter directement les jihadistes en Syrie et en Irak, où ils ont remporté quelques francs succès. Focus sur le plus grand peuple apatride au monde, qui vit divisé entre quatre pays.
Il s'agit d'un peuple d'origine indo-européenne à grande majorité sunnite, mais dont certaines minorités sont chrétiennes ou Yazidis, qui compte au total près de 35 millions de personnes, et vit à cheval sur quatre pays: la Turquie, la Syrie, l'Irak et l'Iran. Une particularité qui vaut aux Kurdes d'être la plus grande nation sans Etat au monde.
En 1920, après la Première guerre mondiale, le traité de Sèvres organise le démantèlement de l'Empire ottoman et prévoit de créer un Kurdistan indépendant. Mais le traité de Lausanne, rédigé trois ans plus tard, annule cette autonomie: les Kurdes se retrouvent sans Etat, et la communauté se disperse sur plusieurs pays, où apparaissent des mouvements d'indépendance.
Vivant dans un territoire montagneux - géographiquement identifié comme le Kurdistan- qui s'étend de l'est de la Turquie au nord-ouest de l'Iran, en passant par le nord de l'Irak et le nord-est de la Syrie, les Kurdes sont actuellement répartis sur près d'un demi-million de kilomètres carrés.
Douze à quinze millions d'entre eux vivent en Turquie, où ils représentent environ 20% de la population totale du pays. Environ 5 millions se trouvent en Iran (moins de 10% de la population), 4,6 millions en Irak (15 à 20% de la population) et 2,6 millions en Syrie (9% de la population). Par ailleurs, une large diaspora s'est formée en Europe, notamment en Allemagne, où vivent 800.000 Kurdes originaires de Syrie et de Turquie, mais également en Azerbaïdjan, en Arménie et au Liban.
Longtemps persécutés en Turquie, violemment réprimés en Irak sous le régime de Sadam Hussein (5.000 Kurdes ont trouvé la mort en 1988 lors du massacre à l'arme chimique de la ville de Halabja), les Kurdes revendiquent la création d'un Kurdistan unifié, et restent perçus comme une menace envers l'intégrité territoriale des pays où ils sont installés. Ainsi, en Turquie, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), fondé en 1978, a longtemps opté pour la lutte armée contre le pouvoir d'Ankara. Sa guerre d'indépendance contre le régime a fait plus de 40.000 morts, dont 7.000 parmi les forces de sécurité du pays. Une violence qui vaut au PKK d'être considéré comme une organisation terroriste par la Turquie, les Etats-Unis et l'Union européenne.
Toutefois, face à l'échec de cette lutte, cette idée d'un grand Kurdistan indépendant a progressivement fait place à des revendications d'autonomie de la communauté kurde, à l'intérieur de chacun des quatre pays. Ainsi, après la chute de Saddam Hussein, en 2003, les Kurdes d'Irak ont obtenu l'écriture, dans la Constitution, de leur statut d'autonomie. Aujourd'hui, le Gouvernement régional du Kurdistan, dont la capitale est Erbil, est dirigé par Massoud Barzani. Il coexiste aux côtés du gouvernement de Bagdad.
En Turquie, le gouvernement turc a entamé, fin 2012, des pourparlers de paix avec le PKK et une trêve a été décrétée en mars 2013. Mais la chute de Kobané, ville à la frontière syrienne où la Turquie refuse toujours d'intervenir, pourrait mettre à mal ce processus de paix, alors que les Kurdes de Turquie sont descendus dans la rue pour protester violemment contre l'inaction d'Ankara.
Car de l'autre côté de la frontière, la branche syrienne du PKK, le puissant Parti de l'Union démocratique (PYD), dont la branche armée, les Unités de protection du peuple (YPG), lutte pour défendre Kobané, cette ville située à la frontière turque, contre les jihadistes. Et s'emploie par ailleurs à mettre en place ses propres institutions dans le nord-est de la Syrie, à majorité kurde, et à s'émanciper du pouvoir de Damas. Ce qui inquiète considérablement Ankara, qui craint la naissance d'un Etat kurde autonome appuyé par le PKK à sa frontière.
Après la débâcle de l'armée irakienne, dépassée par l'avancée de l'Etat islamique, les combattants kurdes irakiens, les peshmergas (qui sont évalués à 200.000) se sont retrouvés en première ligne des combats, épaulés par des combattants kurdes de Turquie et de Syrie, PKK et YPG, venus en renfort, mais aussi, et surtout, par les frappes de la coalition internationale et les livraisons d'armes effectuées par plusieurs pays occidentaux.
En Syrie, les jihadistes ont pris le contrôle d'une large partie nord-est du pays, où vivent les Kurdes, et mènent depuis le 16 septembre l'assaut contre Kobané, dans le but de contrôler 900 kilomètres de la frontière turco-syrienne. En face, les combattants kurdes syriens les affrontent seuls, au sol. Mais moins nombreux et moins bien équipés que les peshmergas, ils résistent difficilement aux percées de l'Etat islamique dans la ville et sa périphérie, et ce malgré les frappes menées par la coalition. L'avancée des jihadistes près de Kobané et sa région a fait fuir environ 200.000 personnes vers la Turquie, dont plusieurs dizaines de milliers de Kurdes.