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Lemonde.fr | Par Marie Jégo et Allan Kaval
Enquête « 1920-2020 : la mémoire vive des traités de la Grande Guerre » (2/4). Le dépeçage de l’Empire ottoman reste une humiliation pour la Turquie. Le président Erdogan, en déployant ses troupes en Syrie et en Libye, entend rétablir la puissance de son pays.
Un pacte de cette importance ne pouvait être scellé n’importe où. Le président turc Recep Tayyip Erdogan et son nouvel allié libyen, Faïez Sarraj, le chef du gouvernement d’accord national (GAN), avaient besoin d’un lieu solennel et chargé d’histoire pour signer un accord mémorable, une alliance susceptible de changer la donne stratégique en Afrique du Nord et en Méditerranée.
Le palais de Dolmabahçe, sur la rive européenne d’Istanbul, résidence de six sultans jadis et dernière demeure de Mustafa Kemal Atatürk, qui y est mort le 10 novembre 1938, était le lieu tout indiqué. Dans le vieux palais bercé par les eaux du Bosphore, les deux hommes ont, à quatre reprises, entre novembre 2019 et février 2020, façonné le double accord – sécuritaire et maritime – qui les unit.
Tout a commencé le 27 novembre 2019 sous les lourdes tentures de velours rouge à Dolmabahçe. Entre MM. Erdogan et Sarraj, réunis à huis clos, des cartes ont été déployées, celles de la Libye et de la Méditerranée, dotées de nouvelles lignes de partage. A ce moment précis, Faïez Sarraj est en mauvaise posture. Acculé en Libye par l’offensive lancée par le maréchal dissident Khalifa Haftar sur son fief de la Tripolitaine, abandonné par les Occidentaux, il n’a d’autre issue que de s’accrocher à la bouée de sauvetage que lui tend son nouvel allié.
En contrepartie d’une aide militaire et logistique en Libye, le gouvernement de Tripoli accepte le principe d’une délimitation maritime censée satisfaire les ambitions d’Ankara en Méditerranée orientale. Une fois son hôte parti, M. Erdogan savoure sa victoire. « Grâce à cette coopération militaire et énergétique, on a renversé le traité de Sèvres », dira-t-il lors d’une intervention télévisée juste après la deuxième rencontre de Dolmabahçe avec Sarraj, le 16 décembre. Erdogan est habité par l’histoire. Il pense avoir une revanche à prendre sur elle.
Pourquoi sinon évoquer Sèvres ? Signé il y a cent ans, le 10 août 1920, ce traité censé organiser le dépeçage de l’Empire ottoman au sortir de la première guerre mondiale, bien que nul et non avenu, est resté comme une plaie dans l’inconscient collectif turc. L’humiliation de Sèvres va rapidement servir de ferment au mouvement de résistance emmené par Mustafa Kemal, plus tard connu sous le nom d’Atatürk, un général dissident de l’armée ottomane qui organise un gouvernement national à Ankara.
Bientôt, les victoires remportées par les forces kémalistes contre les Français, les Grecs et les Italiens lors de la guerre gréco-turque de 1919-1922 vont obliger les occupants à négocier un nouveau traité, signé à Lausanne le 24 juillet 1923. En opposition à Sèvres, Lausanne symbolise la victoire sur les forces occidentales, l’honneur retrouvé, le combat national. Un Etat turc laïque succède alors à l’empire musulman multinational.
En ravivant le traumatisme de Sèvres, comme bien d’autres avant lui, le président Erdogan met le doigt sur une phobie ancrée dans l’imaginaire turc. Celle de la désintégration, du dépeçage de la nation par des ennemis intérieurs et extérieurs, en majorité occidentaux. Il le dit et le répète, il s’agit toujours d’une menace existentielle.
L’héritage qu’il revendique est double. « Cette évocation lui permet symboliquement de venger les Ottomans, de laver la défaite subie face aux Occidentaux, de se placer dans une perspective d’ouverture à la Méditerranée et au monde musulman. Par la même occasion, il met ses pas dans ceux d’Atatürk, dont le combat contre les Occidentaux a servi de socle à la construction de la République turque », explique Yohanan Benhaïm, chercheur spécialiste de la politique étrangère de la Turquie, cofondateur de Noria Research et associé à l’Istanbul Policy Center.
Ces échos historiques se font entendre au moment où la politique régionale d’Ankara est en pleine mutation. Une diplomatie de la canonnière et du drone qui n’a plus seulement pour objectif de protéger le territoire national, dont les limites ont été tracées par le traité de Lausanne, mais de projeter par-delà les frontières l’ancienne puissance impériale retrouvée. On est loin de la politique « zéro problème avec les voisins » menée par l’ancien ministre des affaires étrangères de M. Erdogan, Ahmet Davutoglu, en poste de 2009 à 2014 avant d’occuper la fonction de premier ministre jusqu’en 2016. Ce théoricien de la « profondeur stratégique », apparatchik devenu opposant au président turc après avoir été remercié, avait brossé en son temps un tableau enthousiaste. La Turquie était appelée à propager son influence par le dynamisme de ses entreprises manufacturières, les vertus de son soft power culturel dans son environnement naturel, c’est-à-dire les anciennes provinces ottomanes du Moyen-Orient arabe et des Balkans.
A la veille des « printemps arabes », qui ont démarré début 2011, cette politique se développait de manière efficace dans deux pays où les efforts d’Ankara, dix ans plus tard, se concentrent à nouveau. La Libye du colonel Kadhafi convertissait alors sa rente pétrolière en juteux contrats pour les entreprises de construction turques, tandis qu’en Syrie le régime affairiste et opportuniste de Bachar Al-Assad ouvrait le marché aux négociants anatoliens qui, en Turquie, avaient porté Erdogan au pouvoir.
La vague révolutionnaire de 2011 allait pourtant bouleverser ces relations promises à un avenir radieux. Surprise par la chute de Kadhafi en Libye, la Turquie jette tout son poids derrière l’opposition armée au régime de Bachar Al-Assad. Son territoire lui sert de base arrière. En septembre 2012, M. Erdogan annonce qu’il ira prier bientôt à Damas, à la mosquée des Omeyyades. Et sur la tombe de Saladin. L’histoire, la mémoire, déjà convoquées… Mais, dans son mausolée ouvragé, le conquérant de Jérusalem au XIIe siècle attend toujours… Faute d’avoir pu aller prier à Damas, M. Erdogan a jeté huit ans plus tard son dévolu sur Sainte-Sophie, l’ancienne basilique byzantine d’Istanbul, transformée en mosquée par ses soins le 10 juillet 2020.
Car, en 2015, l’intervention russe en Syrie au côté de Bachar Al-Assad modifie le cours de la guerre. L’horizon d’un changement de régime s’éloigne. Et disparaît. Le dictateur peut dès lors lancer avec assurance sa reconquête sanglante du pays. Dans le même temps, Européens et Américains se désintéressent d’une opposition armée divisée et idéologiquement suspecte, passée sous la coupe d’islamistes de diverses obédiences. Dans sa politique syrienne, la Turquie se retrouve alors isolée. Pire, elle se sent encerclée.
Pour combattre l’organisation Etat islamique (EI) en Syrie, ses alliés européens et américains au sein de l’OTAN ont forgé un pacte avec son ennemi intime, le mouvement kurde formé par les diverses émanations du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui gagne du terrain au sud de la frontière turque. Vu d’Ankara, c’est un cauchemar devenu réalité. L’organisation que la Turquie combat depuis trois décennies sur son propre sol se taille un canton dans son environnement immédiat avec le soutien de Washington, Paris et Londres. Une alliance des puissances occidentales avec l’ennemi intérieur de l’Etat turc ? Le « syndrome de Sèvres » est ressuscité. Dès l’été 2015, des foyers insurrectionnels fleurissent même dans des villes kurdes de Turquie. La politique régionale d’Ankara doit changer… Un an plus tard, le coup d’Etat manqué de juillet 2016 va précipiter les choses.
« Au sommet de l’Etat, la culture sécuritaire s’est transformée après la tentative de coup d’Etat », relève un bon connaisseur des appareils militaire et diplomatique turcs. « Les purges ciblant les putschistes ont mis sur la touche ceux qui, au sein de l’armée, étaient hostiles à une intervention en Syrie permettant d’affaiblir le mouvement kurde, poursuit-il. Ce verrou a sauté et l’intervention en Syrie est rapidement devenue prioritaire à l’été 2016. » Quelques semaines après le coup d’Etat manqué, l’armée turque traverse la frontière pour couper la route aux forces kurdes. Entre alors en scène un attelage devenu depuis familier en Syrie ainsi qu’en Libye : celui que forment les forces armées turques et des combattants syriens de divers groupes à coloration islamiste qui sont désormais des mercenaires au service d’Ankara.
« Il y a eu à cette période une crainte réelle de voir le réveil de la question kurde menacer l’intégrité territoriale de la Turquie. Vu d’Ankara, il s’agissait d’une action défensive. Erdogan a jugé que pour sauvegarder le territoire turc il fallait se déployer au-delà », commente Asli Aydintasbas, chercheuse à l’European Council on Foreign Relations et spécialiste de la politique étrangère turque. Dans l’esprit d’Erdogan et de ses partenaires d’extrême droite ralliés après le coup d’Etat manqué, il s’agit de déjouer le piège d’un « nouveau traité de Sèvres ».
Du point de vue turc, l’objectif a été rempli. Bloquées par l’offensive, les forces kurdes ne réussiront jamais à prendre le contrôle d’un territoire contigu le long de la frontière turque. Et Ankara va plus loin en bousculant l’ordre hérité de la première guerre mondiale et de la guerre d’indépendance turque. Au fil de plusieurs opérations militaires dont la dernière en date remonte à octobre 2019, la Turquie a fait reculer de facto sa frontière de plusieurs dizaines de kilomètres. Dans les territoires syriens conquis au cours de ces incursions militaires menées avec des supplétifs syriens à grand renfort de références aux conquêtes ottomanes, Erdogan fait régner un ordre nationaliste et islamiste, reflet du tournant idéologique qu’il a amorcé en 2016.
A Afrin, dans le nord-ouest de la Syrie, une large partie de la population kurde a été remplacée par des familles arabes liées aux groupes armés utilisés par Ankara. Là-bas, comme dans les régions arabes du gouvernorat d’Alep et dans les derniers territoires conquis du Nord-Est, la livre turque a cours, les programmes scolaires sont visés par le ministère turc de l’éducation. La langue turque jouit du statut de langue officielle, au même titre que l’arabe. L’électricité est connectée au réseau turc et l’étendard de la révolution syrienne flotte au côté du drapeau rouge frappé de l’étoile et du croissant… Une annexion est en cours. Entre les 3,5 millions de réfugiés qui se trouvent sur le territoire turc et les 4 millions d’habitants de ces nouveaux protectorats, un tiers de la population syrienne se trouve désormais sous le contrôle direct ou indirect d’Ankara. La Turquie s’est donné les moyens d’imposer son ordre.
« La politique étrangère turque est de plus en plus coercitive et maximaliste. Elle fait écho à ce que l’on voit dans d’autres pays, à la position d’Israël qui veut annexer la Cisjordanie, à celle de la Russie qui a annexé la Crimée. L’ordre international est remis en cause. Ce à quoi nous assistons en Turquie n’est que la traduction d’un phénomène global, la remise en question du statu quo et de l’ordre international qui prévalaient jusqu’alors », estime Yohanan Benhaïm. « On est passé à un nouveau stade. Le militaire est devenu un outil de politique étrangère », relève le chercheur.
Voyant la Russie de Vladimir Poutine parvenir à ses fins en Syrie grâce au recours à la force, M. Erdogan a décidé d’en faire autant. Cette méthode, testée en Syrie, a permis de préserver les intérêts turcs dans la région, notamment en brisant l’élan kurde à l’extérieur et à l’intérieur des frontières de la Turquie. Elle est désormais reproduite en Libye et en Méditerranée orientale. Ankara veut remédier à la principale injustice que constitue à ses yeux le statu quo hérité de la fin de la première guerre mondiale : son accès contrarié à la mer.
La découverte récente de gisements de gaz en Méditerranée n’a fait que raviver des tensions anciennes autour de cette zone, où la Turquie voit ses adversaires se coaliser pour la mettre à l’écart. Liés entre eux par des grands chantiers énergétiques, la Grèce, Chypre, Israël et l’Egypte ont conçu un projet de gazoduc, l’« EastMed », censé acheminer le gaz méditerranéen vers l’Europe via la Grèce, qui a reçu le soutien des Etats-Unis. Ankara crie à l’émergence d’un « front anti-turc ». Le partage des ressources en hydrocarbures dans cette zone ne peut se faire au détriment de ses intérêts. C’est la principale raison d’être de l’accord maritime signé avec le GAN de Tripoli.
Le 27 novembre 2019, lors de la rencontre entre MM. Erdogan et Sarraj, sur les cartes visées par les deux hommes au palais de Dolmabahçe, les nouvelles limites des eaux territoriales turques apparaissent considérablement élargies, aux dépens de Chypre mais aussi de la Grèce et de ses îles. Se sentant exclue du partage gazier, la Turquie a commencé ses propres forages au large de Chypre. Et tout récemment, au large de Kastellorizo, dans les eaux maritimes grecques. A chaque fois, des navires militaires escortent les navires d’exploration, ce qui fait de ce dossier une véritable bombe à retardement.
Cette nouvelle politique méditerranéenne marque un changement dans la fabrique de la politique étrangère turque. Depuis la tentative de coup d’Etat de 2016, le président Erdogan a mis l’armée au service de sa diplomatie offensive, notamment en Syrie où la Turquie s’est taillé des protectorats. Sa politique méditerranéenne est le deuxième volet de ce projet expansionniste. Tout est prévu dans la doctrine militaire appelée « patrie bleue ».
Théorisée en 2006 par Cem Gürdeniz, un amiral nationaliste souverainiste ayant des affinités avec le courant eurasien, qui prône le resserrement des liens avec la Chine et la Russie, cette idéologie a désormais le vent en poupe au sein de l’armée, dans l’élite islamo-conservatrice, chez les ultranationalistes. Ce courant eurasien, hostile à l’OTAN, a désormais l’oreille du président. Parmi ses représentants se trouvent des généraux haut gradés qui l’ont aidé à vaincre les putschistes en 2016.
L’objectif de la doctrine de la « patrie bleue » est de garantir, au nom de la sécurité du pays, y compris énergétique, « le contrôle d’un vaste espace maritime comprenant la mer Noire, la mer Egée et la Méditerranée orientale », explique Yohanan Benhaïm. Les adeptes de cette politique poussent pour une remise en cause de l’ordre hérité de la première guerre mondiale. L’idée que le traité de Lausanne serait un deuxième Sèvres, qui enferme la Turquie dans un cadre trop petit par rapport à ses ambitions, fait son chemin. D’ailleurs, pour sa première prière islamique en présentiel à Sainte-Sophie, la basilique-musée redevenue mosquée, Erdogan n’a pas choisi la date du 24 juillet au hasard. Elle marquait le 97e anniversaire de la signature du traité de Lausanne, que le président turc invite sans cesse à réviser.
M. Erdogan n’a d’ailleurs pas lésiné sur la mise en scène orchestrée dans l’ancienne « grande église » byzantine, laissant Ali Erbas, le chef de la direction des affaires religieuses, dire la prière, avec dans sa main un sabre, symbolisant le thème de la reconquête omniprésent dans le discours turc sur la politique extérieure depuis la tentative de coup d’Etat. En s’affirmant comme le phare mondial de l’islam sunnite, la Turquie ne cherche même plus à apparaître comme un Etat laïque, partenaire de l’Occident, mais veut montrer qu’elle suit sa propre voie.
Pour se donner les moyens de sa politique, Recep Tayyip Erdogan a réorienté l’industrie de défense vers deux priorités : les équipements navals et les drones. La décennie à venir doit ainsi voir entrer en service six nouveaux sous-marins, une production nationale. De nouvelles frégates équipées de radars et de missiles produits localement sont aussi attendues. Mais surtout, la Turquie devrait inaugurer avant la fin de l’année son nouveau vaisseau-amiral : le navire d’assaut amphibie Anadolu, premier porte-aéronefs de la marine turque et symbole des nouvelles ambitions maritimes d’Ankara…
En Syrie puis en Libye, les drones armés turcs Bayraktar TB2 et Anka-S sont entrés en scène. En mars, à la suite d’une escalade militaire contre le régime de Damas dans la région d’Idlib (nord-ouest de la Syrie), ils ont été déployés dans une contre-attaque foudroyante qui a durement touché les forces loyalistes, pulvérisant plusieurs Pantsir-S1, un système russe de défense antiaérienne de courte portée.
Les mêmes drones ont volé au secours du GAN en Libye. Juste après la signature du double accord turco-libyen, Ankara a renforcé son dispositif sur place. Des conseillers militaires, équipements, armes, drones, radars, systèmes de brouillage et munitions n’ont cessé d’affluer à Tripoli et à Misrata. Au même moment, des navires turcs positionnés au large des côtes libyennes servaient de rampes de lancement à des missiles visant les positions de l’Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Haftar. Les Turcs sont aux commandes, ils arment, conçoivent les plans d’attaque, coordonnent l’action militaire sur le terrain.
L’intervention turque en Libye a payé, du moins pour le moment. Elle a sauvé M. Sarraj in extremis, contraignant les forces fidèles à Haftar, soutenues par l’Egypte, les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite, la France et la Russie, à battre en retraite. Erdogan a désormais la main en Libye. Profitant de l’effet de sidération sur ses adversaires, il veut consolider ses gains.
L’établissement d’une forme de protectorat permanent fondé sur des arrangements militaires, sécuritaires, économiques n’est plus qu’une question de temps. Des accords viennent d’être conclus entre le GAN et le ministre turc de la défense, Hulusi Akar, en visite le 17 juin à Tripoli. La Turquie s’installe durablement en Libye, avec la présence d’une base militaire, la possibilité d’y maintenir ses soldats, ses experts et ses instructeurs chargés de former les forces armées du GAN. Samedi 25 juillet, une nouvelle rencontre à huis clos a eu lieu à Istanbul entre MM. Sarraj et Erdogan, cette fois au palais Vahdettin, sur la rive asiatique d’Istanbul.
Nouvelles bases, nouvelles capacités militaires, envoi de mercenaires, instrumentalisation de l’OTAN : la Turquie montre les dents, allant jusqu’à s’opposer frontalement à ses alliés occidentaux. C’est le cas avec la Grèce, mais aussi avec la France. Craignant l’infiltration de groupes djihadistes dans le sud de la Libye ainsi que la mainmise d’Erdogan sur le flux migratoire, Paris s’oppose à l’expansionnisme turc dans le nord de l’Afrique. Les ennemis d’Ankara, les adversaires égyptien et émirati, ont son soutien. Le 10 juin, un face-à-face tendu a eu lieu en haute mer après qu’une frégate française a tenté d’inspecter un cargo suspecté de violer l’embargo sur les armes contre la Libye, escorté par des vaisseaux turcs. Paris a déposé une plainte auprès de l’OTAN, mais l’enquête n’a pas confirmé sa version de l’incident.
Plus étonnant, la Turquie n’a pas été rappelée à l’ordre alors que ses navires font régulièrement usage des codes otaniens pour mener à bien des livraisons d’armes vers la Libye, sous couvert de cargaison humanitaire. Ses alliés traditionnels semblent démunis. Ils ne savent que faire de ce voisin expansionniste à l’étroit dans ses frontières. La question va se poser de façon accrue d’ici au 24 juillet 2023, date du centenaire du traité de Lausanne, quelques mois avant le centenaire de la République turque. A moins que le président Erdogan, qui doit remettre son mandat présidentiel en jeu en juin 2023, ne perde l’élection et, avec elle, son rêve de reconquête.