Ismet Chériff Vanly
24heures.ch | Gilbert Salem
A l’approche de ses nonante ans, il est fringant comme un gardon et la malice de son regard est celle d’un adolescent au cœur révolté.
Celui qu’il fut dans un quartier pittoresque du Vieux-Damas, en Syrie, où son père qu’il perdit tôt avait été un militaire influent. La voûte sourcilière qui en accentue l’expression – pour fustiger ses adversaires ou les brocarder – est floconneuse comme neige. Or Chérif Vanly s’amuse des idéaux forcenés de sa jeunesse autant que des épisodes tragiques qui ont jalonné son long combat pour les droits du peuple kurde. Le 7 octobre 1976 notamment, il fut victime d’une tentative d’assassinat à Lausanne, chemin du Levant: des sicaires à la solde de Saddam Hussein (alors vice-président de l’Irak) lui logèrent deux balles dans le cou. Il survécut et actionna en justice le commanditaire du crime. Le futur tyran de Bagdad fut défendu par l’avocat Christian Grobet, lui-même futur membre du Conseil d’Etat genevois! Les tribunaux vaudois conclurent l’affaire par un non-lieu, puis la classèrent après qu’un paiement pour tort moral fut concédé par les autorités irakiennes à leur hôte kurde en exil.
Le train de vie de Vanly est pourtant resté modeste, même s’il vit désormais dans un autre quartier de sa ville d’adoption, et sous une identité d’emprunt. Il ne reproche rien à nos instances judiciaires et se dit très attaché à sa terre d’accueil. Il y a étudié le droit, puis les sciences-po. Durant 16 ans, il a été greffier au Tribunal de district de Lausanne («un gagne-pain»). Même si la condition du peuple kurde semble s’améliorer au Moyen-Orient, il n’y retournerait pas durablement: «Je suis trop âgé, je ne pourrais plus vivre à l’orientale, je suis d’ici maintenant». Preuve de son intégration, c’est à la Bibliothèque cantonale universitaire de la Riponne qu’il vient de léguer toutes ses archives. Un fonds de 3500 documents, consultables en français, anglais, allemand, russe, arabe, turc, et en kurde - une langue indo-européenne, parlée par 30 millions d’âmes, qui se ramifie en deux dialectes principaux: le sorani et le kurmandji.
Ce nouvel enrichissement de la BCU offre un champ d’investigations inédites aux historiens que le Kurdistan intéresse. Depuis son antiquité glorieuse, quand son peuple était apparenté aux Mèdes, jusqu’à son déchirement actuel, cette nation fantôme est écartelée, comme on sait, entre la Turquie, le nord de la Syrie, le nord de l’Irak et l’Iran occidental. Un rêve d’unification et d’autodétermination s’était ébauché au début du XXe siècle autour de tables diplomatiques européennes, helvétiques aussi, où des Kurdes exilés furent invités en négociateurs à part entière. Patatras! le fameux Traité de Lausanne, signé en 1923 par la Turquie, la France, la Grande-Bretagne et l’Italie, fit voler cet idéal en éclats. «En débarquant en Suisse à 25 ans, j’étais une tête brûlée: je ne réclamais rien moins que l’invalidation dudit traité!» Quelques mois après, il fonde avec Noureddine Zaza, décédé en 1988, l’Association des étudiants kurdes en Europe. Suivent des décennies de militance très engagée et tentaculaire: Vanly voyage constamment, en tant que porte-parole à l’étranger du général Mustafa Barzani 1903-1979, le légendaire leader du mouvement nationaliste kurde d’Irak, avec lequel il entretient une correspondance d’importance historique. «Elle constitue probablement le joyau du fonds remis à la BCU», souligne le journaliste Ihsan Kurt, président d’une association créée récemment pour veiller à l’enrichissement de ce dernier*.
Vanly se déplace se rend plusieurs fois à Moscou, en Turquie, à Téhéran, il rencontre les dignitaires du shah, puis Khomeiny. A Paris, il s’exprime en Sorbonne. A Rome, il s’entretient avec Jean-Paul II. Homme d’action, plus que théoricien, il n’en est pas moins l’auteur d’articles et de livres qui marqueront l’histoire de son peuple. Son encre vitriolée éreinte quelques chefs de file, dont certains furent ses amis: «Ils sont actuellement au pouvoir en Irak, et ils me boudent. Je les boude aussi.»
Association pour le fonds kurde d’Ismet Chérif Vanly.
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