cinq ans d’engagement de la France en Irak et en Syrie

mis à jour le Jeudi 19 septembre 2019 à 14h28

lemonde.fr | Par Nathalie Guibert | 19/09/2019

« L’objectif qui était de vaincre Daech n’est pas atteint » : retour sur cinq ans d’engagement de la France en Irak et en Syrie

Alors que Paris estime avoir consolidé sa relation avec son allié américain, l’armée française est toujours confrontée à la résistance de l’ennemi djihadiste.

Quand on évoque les cinq ans de l’opération française « Chammal » lancée le 19 septembre 2014 en Irak, puis en Syrie douze mois plus tard, un commentaire revient dans la bouche des militaires français : « On a réussi à très bien travailler avec les Américains. » Intégrée à la coalition internationale dirigée par Washington contre l’organisation Etat islamique, la France estime que sa modeste participation – 1 000 hommes actuellement – est payée de retour. En dépit des errements stratégiques de la présidence Trump et de la résistance de l’ennemi djihadiste, la relation militaire avec le grand allié a été consolidée, estime-t-on à Paris.

« La caractéristique de cette opération est qu’on s’est aligné sur les modes de fonctionnement américains, avec un modèle alliant frappes aériennes et forces spéciales, en favorisant les appuis indirects aux forces locales pour une empreinte légère au sol », résume l’historien militaire Michel Goya. Cet ancien colonel note que, « cinq ans, cela commence à être une des guerres les plus longues que la France aie mené. Si on voulait un rapport coût humain/efficacité correct, cela a été réussi. Mais l’objectif qui était de vaincre Daech n’est pas atteint ».

Selon les éléments collectés par Le Monde, l’armée française, qui a participé à quelque 2 500 bombardements aériens, a tiré 100 missiles de croisière Scalp et 3 000 bombes. Au sol, les canons Caesar ont lancé 18 000 obus de 155 mm. Un bilan à la fois faible – 5 % des frappes de la coalition – et significatif – seuls la France et le Royaume-Uni ont participé durablement à la campagne aérienne de l’opération « Inherent Resolve » (OIR).

Tournant en 2016

La France commence ses opérations sur le théâtre irako-syrien en 2014. Elle installe son Transall Gabriel bourré de capteurs sur la base Prince-Hassan de Jordanie, ainsi que des opérateurs à Bagdad et des forces spéciales à Erbil. Elle déploie ses moyens propres de renseignement, dont des avions légers de surveillance. Mais elle occupe, avec ses officiers dans les états-majors d’OIR au Qatar, à Koweit et à Bagdad, une place de simple exécutant dans la coalition, un « coéquipier », selon le langage officiel.

Les Mirage 2000 basés en Jordanie volent d’abord hors des zones de combat. Après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, le président François Hollande promet qu’il mettra « tous les moyens » pour détruire l’EI, qui a organisé le carnage depuis Rakka. Et, le 15 novembre 2015, Paris lance un raid sur la ville syrienne avec dix avions. Mais les « raids massifs contre l’EI » promis à l’opinion ne se sont pas répétés. L’état-major français a voulu préserver les moyens de son opération majeure, « Barkhane », au Sahel. Et le porte-avions, envoyé sur zone à partir de fin 2015, ce qui permet de « tripler » l’effectif français engagé, dépend des ravitailleurs américains. Selon les informations du Monde, à l’automne 2016, l’état-major d’OIR refuse tout net les tankers indispensables pour mettre en œuvre ses 24 Rafale embarqués depuis Toulon. L’affaire se règle, après discussion.

Surtout, les plans américains ne satisfont pas Paris, en ce qu’ils visent à libérer Mossoul avant de s’attaquer à Rakka. L’année 2016 est heureusement un tournant. Le général Stephen Townsend, nouveau commandant d’OIR, décide d’unifier les théâtres syrien et irakien. On frappera les deux fiefs de l’EI en même temps. L’armée française négocie alors de pouvoir placer un général de l’armée de l’air dans le command group de Bagdad. Sa mission sera de peser sur la conception de la manœuvre générale. La France se trouvait naturellement exclue des réunions « Five Eyes » – les Etats-Unis et leurs quatre alliés du renseignement, Canada, Royaume-Uni, Australie, Nouvelle-Zélande. Depuis 2016, l’état-major d’OIR fonctionne avec des réunions « Five eyes + France ».

Paris annonce fin 2016 avoir tué 2 500 djihadistes. Un groupe d’artillerie, la « Task Force Wagram » avec des canons Caesar, est aussi envoyé en Irak, tandis que l’armée de terre forme des forces irakiennes. Les canons ne sont retirés qu’à l’été 2019 : le fait d’être le seul allié à fournir un tel moyen d’appui aux combats du terrain, en sus des forces spéciales, a été vu d’un bon œil par les Américains. « Ils nous fournissent en retour des avions de transport et des ravitailleurs au Sahel. La bonne coopération d’un côté crée la bonne coopération de l’autre », souligne une source militaire.

Retenue jugée excessive

« La composante aérienne a été décisive », assurent aujourd’hui sans surprise les aviateurs. Mais, une fois encore, l’armée française a mesuré ses lacunes. Outre le manque de ravitailleurs : des stocks de munitions bas et des munitions trop puissantes pour le combat urbain ; des drones en nombre insuffisant et des armes antidrones inexistantes ; des capteurs pas assez performants.

Le colonel Legrier, chef de la « TF Wagram », a provoqué la colère de l’état-major sur un autre point, en dénonçant en février 2019 l’échec de la stratégie menée lors de la bataille d’Hajin fin 2018. Les destructions civiles, que les Américains assument selon lui « sans complexe », ont été excessives et ont semé « les germes d’une résurgence prochaine d’un nouvel adversaire », assurait-il. En participant à la planification des frappes, l’armée française assure avoir conservé son « autonomie ». Selon plusieurs officiers, la retenue imposée a même pu être excessive. En pleine mission d’appui aux Forces démocratiques syriennes, des pilotes de Rafale ont dû demander l’autorisation du centre des opérations à Paris pour lâcher une bombe, conduisant les opérateurs au sol à préférer l’appui de F-18 américains.

Mais l’armée ne fournit pas le nombre de cas où le « carton rouge » a été levé par son officier du centre des opérations du Qatar pour s’opposer à une frappe en raison des risques sur la population civile. Ni d’estimation des dommages collatéraux causés par ses avions ou ses canons. « Il fallait, si l’on voulait obtenir une victoire face à un ennemi qui est délibérément s’installer dans les villes et au milieu de la population civile, le déloger de là où il était. Cela passait par des destructions », a indiqué le chef d’état-major, François Lecointre, lors d’une audition parlementaire en juin. « C’est certes terrible. (…) Mais il arrive un moment où l’on fait la guerre et où il faut vaincre l’ennemi. » Selon un aviateur, « les Etats-Unis nous ont fait de la place, pour qu’on puisse participer normalement ».