Depuis près de 10 ans, 3 000 femmes sont entrées dans la guérilla du Parti des travailleurs kurdes (PKK), en lutte armée contre la Turquie depuis 1978. L’armée du PKK compte 30% de femmes qui ont tout quitté pour rejoindre la guérilla, unique solution à leurs yeux pour échapper à une vie qu’elles n’avaient pas choisie. Pour elles, la lutte armée est une voie d’émancipation.
Parlez-moi d'elles - [1ère diffusion : 03/02/2006]
De notre envoyée spéciale au Kurdistan irakien
Ces jeunes recrues de l'académie militaire des femmes du PKK viennent tout juste de commencer leur formation qui durera quatre mois. (Photo: Paulina Zidi/RFI) |
Ekin et Berrivan ont déjà une expérience de la guerre. Elles sont arrivées dans ces montagnes il y a 6 ans. La première avait 20 ans et la seconde tout juste 17. Comme toutes les nouvelles recrues, elles sont d’abord passées par l’académie militaire, quatre mois de formation où elles ont appris à se battre et où on leur a enseigné l’idéologie du parti. « C’est important, bien sûr, qu’elles apprennent à se battre mais ce n’est pas tout, commente l’éducatrice Delal Avin. On veut vraiment leur inculquer les valeurs qui comptent à nos yeux, on veut qu’elles deviennent libres, à la fois en tant que Kurdes mais aussi en tant que femmes. »
Rejet du modèle oriental, mais aussi occidental
Elles sont prêtes à donner leur vie pour leur peuple d’abord, pour avoir le droit d’être kurdes. Elles se battent surtout contre l’armée turque, aux cotés des hommes du PKK. Mais elles parlent de liberté et non pas d’indépendance. Depuis quelques années, en effet, le PKK ne revendique plus la création d’un Etat kurde. Il milite désormais pour la reconnaissance des Kurdes en tant que minorité. « Nous, ce que nous voulons, c’est qu’il y ait une vraie démocratie dans tous les pays où il y a des Kurdes, précise Evin, une jeune Iranienne de 25 ans. Nous ne voulons pas l’indépendance parce que ça ne protège pas de la corruption et de la dictature. En plus, il n’y a pas qu’un seul Kurdistan. Nous sommes à cheval sur quatre pays [Turquie, Syrie, Iran et Irak], nous n’avons ni la même culture, ni la même langue. »
Ce sont des jeunes soldates, et un autre combat leur tient particulièrement à cœur : la lutte pour la liberté des femmes. Et cela, au Kurdistan, où les règles sociales demeurent féodales, mais aussi, au plan universel, où elles rejettent le modèle oriental des femmes placées sous la domination des hommes, comme aussi le modèle occidental qui, à leurs yeux, tient les femmes pour de simples objets sexuels. Les femmes de la guérilla ont d’ailleurs créé des camps où elles vivent à l’écart de toute présence masculine pour mieux organiser leur lutte.
Fuir la condition de femme
La majorité des jeunes soldates kurdes a souffert de la condition de femme et voulu lui échapper. Certaines ont pourtant grandi en Europe, aux Etats-Unis ou encore en Australie, à l’image de Dijle, 26 ans, qui est venue d’Allemagne où elle est née. « J’étais très malheureuse chez moi et surtout je ne voyais aucun avenir possible », dit-elle. « J’avais comme exemple mes trois sœurs aînées dont les vies avaient été gâchées. Les deux plus grandes ont été mariées de force à des hommes dont elles ne voulaient pas. La troisième s’est enfuie de la maison et a trouvé refuge dans une maison close de Cologne, poursuit Dijle. »
« Je pensais que ma vie ne valait pas la peine d’être vécue, j’ai essayé deux fois de me suicider mais ça a raté et j’ai décidé qu’il valait mieux partir dans les montagnes », explique Dijle, finalement décidée à vivre une vie où les hommes sont tenus à l’écart, persuadée qu’il lui faut d’abord se reconstruire en tant que femme avant de pouvoir aider les hommes à devenir plus libres. A l’instar de Dijle, c’est dans la guerre que nombre de jeunes Kurdes espèrent gagner leur indépendance, en prouvant qu’elles ont leur place de combattant, sans pour autant perdre leur particularité de femme.
« Moi quand je me bats, ce n’est pas comme un homme, confie Zeynep. Nous sommes plus sensibles. Quand je tue quelqu’un, je sais que c’est un être humain. Je pense à sa famille et ça me rend triste.» Loin de l’image stéréotypée de l’amazone, la guerre, les femmes du PKK n’aiment pas ça. Elles la voient comme la seule façon d’échapper au destin que leur père aurait choisi pour elles, tout en risquant chaque jour d’y laisser la vie.
par Paulina Zidi Article publié le 03/02/2006
Dernière mise à jour le 03/02/2006 à 14:13 TU