Mis à jour le 27.09.06 | 14h52
Silence ! Personne ne parle ! Saddam dehors !", a hurlé le juge à l'accusé. Pour la seconde fois en une semaine, le juge Mohamed Al-Oreibi Al-Majid Al-Khalifa a ordonné, mardi 26 septembre, l'expulsion de Saddam Hussein. Depuis l'ouverture du procès de l'ex-raïs, jugé pour génocide contre les Kurdes dans l'affaire des campagnes "Anfal" en 1988, les cris et les gesticulations font plus de bruit que les témoignages des victimes qui se succèdent à la barre.
Un premier juge, Abdallah Al-Amiri, a été révoqué, le 19 septembre, après avoir déclaré au tribunal que "Saddam Hussein n'était pas un dictateur". Sa révocation a entraîné le boycottage des avocats de la défense, l'arrivée d'avocats commis d'office par le nouveau juge. Et, finalement, une confusion totale qui a conduit, mardi, le juge à suspendre les audiences jusqu'au 9 octobre.
"Ce n'est pas le procès que nous attendions, déplore Seywan Barzani, représentant des Kurdes d'Irak en France. Il devait être retentissant. Nous voulions que tous les Irakiens apprennent notre histoire. Au final, c'est du sabotage ! Ce procès reflète l'état actuel de l'Irak. Il est chaotique, mal foutu et communautariste."
SOULAGEMENT CHEZ LES KURDES
Outre les incidents liés au renvoi du premier juge, M. Barzani critique le choix des juges, opéré, selon lui, d'après des critères confessionnels. Lors du premier procès de Saddam Hussein, qui concernait l'assassinat de 218 chiites à Doujaïl en 1982 et dont le verdict est attendu en octobre, le juge était kurde. Aujourd'hui, où l'on juge un "génocide" contre les Kurdes, le juge est chiite. "Comme si c'était un gage d'intégrité ! s'insurge M. Barzani. Pourquoi n'est-il pas kurde, chrétien ou sunnite ? Ce choix institutionnalise, dans l'enceinte du tribunal, les divisions communautaires de l'Irak. Le dialogue de sourds que se livrent la défense et la partie civile est également significatif. Les uns dénoncent "les crimes d'un monstre", les autres "des traîtres à la solde de l'Iran". Les témoins évoquent les "peshmergas", la défense les "rebelles"... Les avocats ne sont même pas parvenus à s'accorder sur un lexique commun. Comment, dans ces conditions, espérer un résultat ?"
Un enjeu du procès repose en partie sur les termes utilisés. Pour prouver qu'il y a eu génocide, les avocats de la partie civile doivent démontrer que les Kurdes ont été visés en tant que groupe ethnique. Outre que les traductions des témoignages sont, selon M. Barzani, "lentes et incorrectes", les témoins ont été choisis au hasard. "L'un d'eux raconte qu'il a perdu sept de ses proches, un autre vingt-cinq, commente-t-il. Sur le plan juridique, cela ne fait pas avancer le procès."
Chris Kutschera, expert du Kurdistan, porte un regard plus positif sur le procès de l'ancien raïs. De retour d'un voyage dans le Kurdistan irakien, il décrit "la fièvre qui s'est emparée des Kurdes, cloués devant leurs postes de télévision chez eux ou, en foule, dans les tchaïkhané, "les maisons de thé". Pour la génération qui a vécu les campagnes d'Anfal, entendre les détails de ce qu'elle a subi est un grand soulagement. "Ce que nous avons souffert est en train de rentrer dans l'Histoire", m'a dit un Kurde de Dohouk."
Les élites locales, en revanche, regrettent les lacunes du procès. "Ils estiment que les experts ne sont pas suffisamment armés juridiquement pour mener un procès pour génocide, explique M. Kutschera. Pour eux, ce tribunal n'est pas à la hauteur du défi posé." "J'espère que ce procès révélera qu'il a existé des soldats irakiens qui ont déposé leur fusil et refusé les ordres, conclut-il. On sait pratiquement tout sur Saddam Hussein. Mais on ignore comment sa machine à tuer a pu fonctionner si longtemps, sans le moindre grain de sable pour la faire vaciller."
Article paru dans l'édition du 28.09.06