Dans les montagnes du Kurdistan avec le PKK


25 octobre 2007 | Monts de Qandil (Kurdistan irakien), envoyé spécial | Patrice Claude

Soudain, à la sortie d'un virage de montagne, aucun doute n'est plus permis : cette immense bouille moustachue, peinte à même la roche sur un contrefort de la chaîne des monts Qandil, est bien celle d'Abdullah Öcalan, président – emprisonné à vie en Turquie depuis 1999 – du Parti des travailleurs kurdes (PKK).


AFP/SAFIN HAMED
Des soldats Kurdes irakiens déployés à la frontière entre l'Irak et la Turquie, le 23 octobre.

Théoriquement, nous sommes encore en Irak, à environ 10 km de la frontière d'Iran. Mais ce territoire-là est d'abord celui des rebelles kurdes de Turquie. Etoile rouge perdue dans un grand soleil jaune sur fond vert, la bannière du PKK claque fièrement au sommet d'un mât gardé par une petite escouade de jeunes combattants, kalachnikov au poing, talkie-walkie et grenades quadrillées à la ceinture.

"Bienvenue à vous !" Ici, ce sont eux qui font la loi, et il n'y a pas de concurrence. L'ultime barrage policier irakien est 20 km plus bas, dans la grande plaine de Sangassar.

Ici commence l'une des plus belles forteresses naturelles de la planète, hautes montagnes pelées à perte de vue, des grottes par milliers, des fortins, et quelques chapelets de hameaux misérables, pierre et boue séchée. Le paysage est pastoral, l'air du temps plutôt à la poudre.

Ces deux dernières semaines, les activités militaires du PKK contre l'armée turque – ou l'inverse, selon la version kurde – ont fait une quarantaine de victimes. Des bombardements et des expéditions militaires turques, qui se poursuivaient encore, mercredi 24 octobre, à l'intérieur même de l'Irak, ont suivi. Se sont également enclenchés, d'abord un très fébrile ballet diplomatique entre Ankara, Bagdad et Washington; ensuite une formidable partie de poker menteur dont nul ne peut encore prévoir l'issue.

A Bagdad, lundi, le chef du gouvernement irakien, Nouri Al-Maliki, a solennellement promis qu'il allait sévir, qu'il ne permettrait plus à "une organisation terroriste comme le PKK d'utiliser le sol irakien" pour attaquer un voisin aussi important que la Turquie.

Sauf qu'il y a bien quinze ans que Bagdad n'a plus aucun contrôle, ni aucun soldat, dans la partie nord du pays. Les monts Qandil appartiennent au Kurdistan irakien et sont du ressort exclusif du gouvernement régional kurde autonome qui siège à Erbil, deux heures de route plus au nord.

"PERSONNE NE NOUS DÉLOGERA"

Et malgré les pressions internationales qui s'accentuent depuis deux semaines, les Kurdes d'Irak n'offrent présentement aucune intention d'envoyer ne serait-ce qu'une division de leurs cent mille peshmergas – leur armée – contre les récalcitrants "cousins" kurdes du PKK. Non pas du tout pour des raisons romantiques de parentèle ethnique – les deux camps se sont étripés dans des batailles qui ont fait des centaines de morts en 1996 et en 2000 – mais tout simplement parce qu'ils savent, pour avoir eux-mêmes expérimenté la chose quand la soldatesque de Saddam Hussein les poursuivait, ils savent, et Masmur Barzani, le directeur de leurs services secrets, l'admettait lundi sur Al-Jazira, que les monts Qandil sont inexpugnables.

"Alexandre le Grand lui-même n'a jamais pu les prendre !" sourit le "commandant" Bozane Tekine, qui nous reçoit dans une casemate en bord de route. La quarantaine svelte, visage sympathique et grand corps noueux perdu dans la traditionnelle tenue kurde – large tunique et immense pantalon bouffant –, l'officier de l'aile militaire du PKK nous décoche une longue harangue de laquelle il ressort, d'abord, qu'en envahissant le Kurdistan irakien, menace qui n'est pas levée, la Turquie ne viserait pas "l'impossible objectif" de déloger les 3 000 à 4 000 combattants du PKK qui y sont retranchés dans une douzaine de camps très mobiles insérés dans les montagnes sur une centaine de kilomètres après sa frontière sud.

Non, Ankara, selon l'officier, chercherait surtout à "mettre un terme" à "l'indépendance" virtuelle dont jouissent les 5 millions de Kurdes irakiens, au grand dam de la Turquie, de la Syrie et de l'Iran, qui craignent la contagion indépendantiste. Avec les Palestiniens, les Kurdes sont parmi les peuples d'importance – 35 millions d'âmes au moins, réparties entre ces quatre pays – à ne jamais avoir pu obtenir leur Etat.

L'idée turque, soutenue par les trois autres pays, poursuit Bozane Tekine, serait de déclencher une nouvelle "guerre fratricide entre Kurdes", les dirigeants d'Erbil estimant de plus en plus ouvertement, par les voix des deux anciens frères ennemis Jalal Talabani – président de l'Irak – et Massoud Barzani – président du Kurdistan autonome – que les activités du PKK mettent leur projet en péril. M.Talabani leur a déjà intimé l'ordre de "déposer les armes ou de quitter le Kurdistan irakien". Certains plaideraient pour un discret marché sur le thème : Ankara reconnaît notre autonomie, en échange de quoi nous donnons aval à une opération d'envergure turco-américaine.

Le "commandant" Tekine tonne : "Ces montagnes sont kurdes, nous n'avons pas à demander la permission de quiconque pour y rester. Personne au monde ne nous en délogera !"

Mizguine Amed, petite jeune femme brune qui nous est aussi présentée comme une "responsable militaire" – le PKK met un point d'honneur à accueillir autant de femmes que d'hommes combattants, étant entendu que toute relation sexuelle est interdite entre eux – intervient. "La Turquie ment. Nous ne lançons pas d'offensives armées, nous ne faisons que nous défendre contre les tueries turques et le génocide qu'ils préparent contre nous."

La petite dizaine de guérilleros – moyenne d'âge, 20 ans – qui nous entoure sous ce pâle soleil d'octobre, approuve silencieusement. "Nous avons déclaré un cessez-le-feu – le cinquième depuis 1993 – en octobre 2006, poursuit-elle. En un an, l'armée turque a mené 485 opérations contre nous. Que pouvons-nous faire ? Nous voulons nos droits dans la paix. Ankara vient de rejeter une nouvelle fois notre offre réitérée de cessez-le-feu. Même les animaux se défendent !"